On aurait pu donner ce sous-titre à cette nouvelle gazette de Ban Pangkhan :
« Les vents tournent. »
En effet, la mousson emmenant ses portes pluies, lissant ses vents de sud sud-est est enterrée. Nous sommes désormais aux premiers frimas, même s'ils restent et resteront pour les semaines à venir, une sorte de léger refroidissement aux aurores. Il ne fait jamais vraiment froid en Thaïlande, ni en Isan à condition de rester dans la plaine. Mes voisins vont me alors me poser la question fatale : "Eh ! Pou Ni Jeff, fait froid ?" Je leur répondrai alors par un "Oui" condescendant, ne revêtant un tee-shirt (au village, au quotidien il n'est pas obligé de se couvrir sans cesse) durant les quelques nuits et matins où les vents du nord apporteront un semblant d'hiver sur les rizières d'Isan.
Les vents ont donc virés, les jours sont devenus plus court, encore plus court que durant l'été. Lever du soleil vers 5H45 et nuit noire à 17H45 !
Où l'on se préparait à effrayer les oiseaux pour les empêcher de manger les grains de riz qui commençaient à germer, on a moissonné la récolte qui d'ailleurs est excellente cette année ; opéré un brûlis des mottes de riz coupés, labouré de nouveau puis remis en eau, lissé la rizière pour semer une nouvelle fois pour la future récolte intermédiaire. Tout cela en un rien de temps...
La récolte fut abondante, certes mais je sens déjà l'angoisse de mes voisins, de ma famille, à l'idée de vendre leur riz. Leur préoccupation est de savoir à quel prix? De savoir, quelle sera la valeur du cours, de cette matière première qui leur permettra ou non de passer une année confortable ou de se serrer la ceinture? Exit, le prix du riz subventionné comme du temps de « l'ancien régime », n'en déplaise à certains, cela aura permis à de nombreux riziculteurs (mes voisins et gents de Ban Pangkhan) de s'élever dans le rang, d'envoyer leurs progénitures dans des écoles supérieures, voire de ne pas être obliger de les déscolariser trop tôt pour amener du gras à la ration de riz quotidienne (mais aussi, ne l'oublions pas de s'endetter lourdement). Pour l'instant, je dirai que la plupart, enfin ceux qui ont les en ont les moyens, attendent de voir quel négociant va payer le bon prix...
Donc les vents tournent, et en Isan, terres des "rouges", la révolte ne gronde pas encore. À l'époque du 22 mai lors du coup d'état, la population était restée muette, passive. Désormais, on commence à entendre, par ci par là, des critiques, sans qu'elles ne soient réellement argumentées, nous avons affaire à des gens simples mais qui veulent commencer à l'ouvrir. Sur la route menant à Sélaphum, le portrait de 5 mètres sur 2 du «Général Sourire» affiché sur un promontoire à 5 mètres de hauteur, général retraité (mais devient-on réellement retraité de l'armée lorsque l'on est Général?) devenu premier ministre depuis, élu à l'unanimité par une assemblée toute désignée, a été vandalisé. Il y a du avoir quelques lézards ou geckos passant sur son visage et ses épaules galonnées pour que certains visent ces p'tites bêtes grâce à leur lance-pierre projetant des cailloux aiguisés ! Rentrant un jour de Sélaphum, le faisant remarquer à Ma Dame Oy, ne la voilà-t-elle pas se laisser aller à des «pen kwai» et j'en passe. Apparemment, elle ne l'aime pas. Même ma femme ! Que des étudiants se permettent de faire le fameux salut au trois doigts, index, majeur et annulaire levé vers le ciel, référence au signe de ralliement des rebelles dans la saga «Hunger Game» et se fassent alors arrêter, passe encore mais Oy ! Les militaires au pouvoir (ah non, pardon, ce ne sont plus les militaires!) doivent se sentir menacer (quelle menace !) par ce signe hautement dangereux puisqu'ils arrêtent à tour de bras tous ceux qui feraient ce signe "révolutionnaire" et voudraient les rééduquer !
C'est un signe, le vent tourne.
La passivité des derniers mois voire peut-être l'approbation de beaucoup de cette reprise en main des armées et polices des rênes du pouvoir mettant fin (peut-être, ne serait-ce qu'une pause ?) à cette querelle entre deux peuples, deux opinions distinctes, deux sociétés radicalement différentes, "les rouges" contre "les jaunes"...Ce "consensus" semble révolu.
Le vent tournera-t-il réellement ?
Étudiants, journalistes, personnalités politiques commencent en avoir marre ! Le peuple, ça ne saurait tarder ? Le prix du gazole va augmenter, le prix des transports de personnes et marchandises avec, le passage de la TVA de 7 à 10 % fera le reste, le prix du riz va inexorablement être payé au vrai prix du marché (seules quelques subventions conséquentes seront distribuées aux plus gros propriétaires terriens, pour les plus petits, ce ne sera que peccadille !), les reformes promises à la traine et une date pour de futures élections repoussée à la saint-glinglin terminera le travail. N'oublions pas les scandales des villages (en Isan principalement où les "rouges" y étaient plus que présent) où de petits paysans profitaient de lopins de terre sans chanot (acte de propriété), expropriés, leur maigre récolte de survivance et "leur cabane" supprimées du jour au lendemain. Les pauvres vendeurs de plage, interdits de commercer pour le plus grand bien de la vue sur mer sans se préoccuper des plages où l’accès est réservé, bloqué par les hôtels appartenant à de grands groupes hôteliers qui se sont appropriés ce bien commun. Sans parler des purges dans les ministères et dans les instances policières (dont d'ailleurs certains expurgés meurent mystérieusement «suicidés»), sans omettre, la mise sur la touche des anciens élus, cela finira par exaspérer la grande majorité des Thaïs, paysans, classe moyenne et même la classe "Hi so". La mayonnaise est prise, elle ne retombera pas, quelques virevoltes supplémentaires et cette émulsion à la mode thaïe montera inexorablement !
Qui vivra verra...
À Ban Pangkhan aussi, ça parle, ça gigote et mais la vie continue...Revenons donc sur les potins et sur l'actualité de ces deux derniers mois au village !
Le 15 septembre, cela lui trottinait dans la tête depuis un petit moment, Oy est parti rejoindre sa sœur à Bo Win dans la province de Chonburi. Travaillant sur un marché de bouche situé au milieu des usines qui pullulent dans le coin, sa famille débordée de clients, il fallait aller donner un coup de main ou, peut-être Oy avait-elle envie de changer d'air ? Résultat, nous nous retrouvons à deux avec Tangmoo, la grande sœur Tan ne revenant plus de l'université tous les vendredis pour passer le week-end (cours supplémentaires les samedis afin de rattraper le retard des débuts des cours dus au remous politique du printemps). Pensions-nous être seuls ? Non, pas vraiment ! Au village, vous ne l'êtes jamais. Les voisines et Mac la nièce venant nous visiter matin et soir au départ, inquiets ou curieux de savoir si nous allions pouvoir rester ainsi, si nous allions "survuvre" ; nous apportant le riz gluant (que je ne cuis pas) pour que Tangmoo puisse emmener sa ration à l'école pour la cantine. Nous avons été de vrais chefs, pas un pet de jeu, on est paré si un jour... !
Nous avons fêté le Õk Phansa sans Môman; Littéralement, cette célébration importante du calendrier Bouddhique veut dire « sortir de la saison des pluies », la fin du "Carême" om pendant trois mois lunaires, les moines prennent retraite dans les temples...La mousson allait se faner et les moissons se dessinaient à l'horizon !
Après, la sortie scolaire annuelle, fin septembre, les écoliers pouvaient alors profiter des vacances de mi-parcours et nous avions décidé de nous rendre à Koh Chang cette année, d'oublier Hua Hin pour quelques temps. Nous en profiterions de récupérer "mea Oy" au passage. Eh ! Il ne faut pas exagérer... ma chère et tendre veut bien aller bosser avec sa frangine mais, aller au bord de la mer, elle ne voudrait en aucun cas louper « cette belle affaire »!
À ce propos d'ailleurs, j'écrivais deux articles :
En Thaïlande : Koh Chang, la cambodgienne !
&
Bo Win (province de Chonburi) : La Thaïlande industrieuse !
Pour ceux qui ne suivent pas (et j'ai les noms!) j'ai aussi rajouté une nouvelle rubrique au blog : La gazette du web thaï . Elle permet de partager avec les non-pratiquants dezs réseaux sociaux ce que j'y échange principalement sur facebook &YouTube... Auparavant, je le faisais au sein des pages de la gazette de Ban Pangkhan, déjà fourni, j'ai regroupé ces trouvailles du web et continuerai à le faire. En attendant ces deux derniers mois je débutais cette rubrique avec plusieurs articles :
Thaïlande... d'un autre temps !
La gazette du web en vrac (1). Avant 2010.
La page facebook de รักษ์อีสาน รักบ้านเกิด.
La gazette du web en vrac (2) : Fin de mousson & Õk Phansa !
La gazette du web en vrac (3) : Entre Õk Phansa et Lõi Krathogn.
En partant au bord la mer, nous rations les Boun ka thin respectifs des deux temples de Ban Pangkhan (le 19 octobre pour le temple du village et le 25 pour celui de la forêt) qui eurent lieu même en notre absence, vous rendez-vous compte ! Entre Õk Phansa et Lõi krathogn, cela se passe dans chaque temple de Thaïlande. On apporte alors au temple de nombreuses offrandes, ce qui donne lieu à de grandes processions, les pétards (quelque fois de vrais bombes) tonnent, et c'est aussi le début de la saison des molam. De nombreuses familles, la plupart du temps en souvenir d'un défunt (souvent le père voire le grand-père) pratiquent le Boun Ka thin donnant lieu quelques fois à de grandes débauches ostentatoires afin d'acquérir des mérites. Plus la fête est grande, plus le mérite sera grand !
La vie du village est aussi réglée par les mariages et les funérailles. Si le plus vieux sage/chaman du village est parti, un jeune, le fils du maire de MOO 3 s'est suicidé alors que nous étions encore sur les bords du Golfe de Thaïlande. 20 ans, c'est jeune...Il aurait tiré la mauvaise couleur (le rouge) pour la conscription et devait partir faire ses deux ans d'armée. Lorsque, nous sommes revenus, l'étage de la maison en bois où il s'était pendu avait été démonté puis brûlé afin de ne pas permettre aux esprits malins de s'installer dans la maison... Du coup, deux petits jeunes, de ses amis qui avaient tiré respectivement la carte noire, les dispensant du service militaire, ne sachant que faire de leur peau, peut-être voulant échappé aux travail des rizières, ont décidé de s'engager ce qui a donné lieu à la cérémonie du Phout Khen (Sai Sin) accompagnée d'une ripaille (obligatoire) où chacun leur a noué autour du poignet le petit cordon blanc sacré pour leur souhaiter bonne chance et vraisemblablement pour les protéger des dangers... En effet, ils iront sans aucun détour vers le sud de la Thaïlande où si officiellement ce n'est pas une guerre qui s'y déroule, cela y ressemble fortement !
À peine étions nous donc revenus du bord de mer, que ma femme apprenait que sa meilleure copine qui avait été pris avec du Yaba à la frontière du Laos, en avait pris pour 25 ans... elle a 51 ans et... mais d'après son mari elle ne fera que 6 ou 7 ans, si les commanditaires tombent, si bien-sur elle aide les autorités à le faire et comme tout le monde les connait... nous reverrons bientôt Phugn. (voir mon article sur les ravages du Yaba).
Si je n'ai aucun doute sur mon degré d'intégration au sein du village de Ban Pangkhan, le mois passé avec Tangmoo sans Oy, a renforcé ce sentiment sans oublier qu'il y a quelques années, le futur maire du village était venu solliciter mon vote, déçu qu'il fut alors que je ne puisse pas voter pour lui et si cela ne suffisait pas, le dernier jour du dernier mois, ils sont venus me chercher pour me vacciner contre la grippe, toute personne de plus de 45 ans y ayant le droit...Merci tout de même de votre sollicitude, mais je n'aime pas les piqûres !
Le premier et le deux novembre, Tan s'est enfin libérée de son université de Ubon pour le temps d'un week-end, pour passer en coup de vent à la maison, parce qu'elle est tenace, elle s'est rendu en compagnie de sa mère à Khon Kean pour passer un examen complémentaire d'entrée à la faculté de médecine. L'année dernière n'ayant pas été dans les premières au concours mais pas dans les dernières, une sorte de repêchage à lieu en cours d'année afin de remplacer les futures défections et réorientations des premières années vers des carrières annexes de la médecine. Elle ne lâche rien Tan... Plutôt têtue et volontaire ! On aura les résultats dans le courant du mois de décembre et je sens déjà mon porte-feuille vaciller si elle réussit le concours !
Repartie dans ses amphithéâtres de physiques et chimies, Tan nous laissera fêter Lõi Krathogn, le 6 novembre, sur le bord du petit étang derrière chez nous, loin des molam et concours des miss Amphoe (district) qui ont lieu chaque année à Sélaphum ou plus proche de chez nous à Ban Kwao et encore plus éloigné des superbes et fameuses célébrations de Sukhotai voire Chiang Mai entre autres...
Le Lõi Krathogn annonce aussi le début des moissons comme je l'ai dit en début d'article, alors Oy de retour parmi nous a décidé de rouvrir son petit restaurant sur la parvis de la maison de sa sœur, contiguë à notre maison. Les moissonneurs ne cuisinant pas en cette période, elle compte faire sa petite affaire. Elle propose toujours le Yam mun sen une salade tiède de nouilles translucides ajustée d'une sauce au citron (lime et kafir) et piments servi avec du calamar et des louk tchin (boulettes de viandes) mais ce coup-ci, nouveauté à la carte, le Khao khao (souéi) mou/kai kap pak phat kap ka phrao (avec ou sans)kap kai dao... j'ai un peu exagéré le nom du plat (sur-exagéré même), donc ne le commandez jamais de cette manière, on vous regardera comme un extra terrestre. Privilégiez de commander un mou/kai phat kap ka phao. C'est la variante très prisée du très populaire et passe-partout Khao Phat consistant en du riz blanc accompagné d'un hachis de viandes et légumes au basilic thaï sauté au wok avec un œuf au plat (ou non !) sur le dessus... Le tout, très très "assaisonné", explosif, chauds les gosiers !
À peine le resto ouvert, Toy, la sœur de Oy, propriétaire de la maison où sied le resto est arrivée au village. Pas seulement pour venir prêter main forte pour les moissons comme une autre sœur, l'aînée Chu, mais pour revenir s'installer définitivement au village. Elle est donc arrivée à la fraîche à bord d'un pick-up à bloc de matos, une moto, et j'en passe. Un cœur à prendre, elle a quitté Boo, mon ex beau frère suédois désormais et par la même occasion, elle a pliée bagages de Hua Hin ! De son désir premier, de rester tranquille au village, à peine deux semaines par ici et elle parle déjà de repartir travailler à Bangkok ! Finance oblige ou ennuie lancinant ? Ce sont des choses que l'on ne dit pas !
Nous nous quitterons avec Tangmoo et la fête du sport de l'école de Ban Pangkhan qui eu lieu le 13 novembre dernier et la semaine qui suivit des Rencontres Olympiques des villages du sous-district de Na Ngam. Je n'aurais d'ailleurs pas eu l'occasion de croiser sur les stades pou ni pouy venu vendre ses cacahuètes, ce cycliste atypique à qui je dédiais cet article dernièrement :
Isan en Thaïlande : Pou Ni Pouy, l'anti olympien.
Tangmoo et ses camarades ont donc, dans une ambiance de kermesse, pratiqué football, volley, basket ball, course, takraew (football-volley) et petonc (pétanque) sans oublier les traditionnelles défilés des sportifs accompagnés des « pompom girl » et des fanfares ! Le dernier jour de ces 8 jours de fêtes se sont terminés par les remises des médailles, levée des drapeaux, chants patriotiques sans oublier les discours des directeurs d'école et ceux des officiels où étrangement nous avons assisté au retour des deux anciens députés du Puay Thaï (rouge) de Sélaphum qui se faisaient plutôt discret depuis le 22 mai !
Le diaporama de la fête des écoles :
Le doux hiver est donc aux portes de l'Isan avec ses migrations saisonnières. pas seulement les hirondelles mais aussi Greg, mon ami la boulange, qui a éteint ses fours du coté de Noirmoutier et qui est aussi arrivé "au pays" avec femme et quelques amis ainsi que sa famille française ; valises chargés de délices hexagonaux, nous avons festoyé ! Une quinzaine de « farang set » lâchée à Sélaphum, ça se remarque ! Une sorte de « french fair made in Isan » pour le plaisir de tous les habitants du quartier !
Paille Kheundheu...
Postscriptum : le dernier article paru de ces deux derniers mois est "I hate Thailande"(je déteste la Thaïlande) qui ne manquera pas de vous interpeller dans le contexte politique actuel du pays !
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