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Delanoë réhabilite le libéralisme

Publié le 26 mai 2008 par Argoul

Bertrand Delanoë, réélu Maire de Paris, se positionne pour le Congrès socialiste d’automne, mais aussi pour la Présidentielle de 2012. En fin politique, il se pose en rassembleur, en leader d’une équipe, mais aussi en opposant. Rien de tel pour se faire connaître que de balancer un pétard dans la mare aux grenouilles. Et tous les batraciens confits en débats vaseux de marigots de sauter en l’air de surprise ! Surtout ceux tentés par le chiffon rouge de la ligne Besancenot. Gamins dans les campagnes, vous n’avez jamais pêché aux grenouilles ? Les bêtes ainsi crochées se retrouvent en bocal, exposées devant la classe enfantine. La maîtresse, en bonne pédagogue, nous apprend la météo en plaçant une échelle. Si la grenouille monte et se gonfle d’aise, il va faire beau ; si elle replonge dans son eau amniotique un peu trouble, elle se replie sur elle-même, il va pleuvoir. Intéressantes, les grenouilles, surtout pour mesurer la versatilité du peuple français. La Fontaine l’avait bien dit.

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Delanoë, qui est lettré, a trouvé ce biais de culture pour donner un coup de chauffe au bouillon. Dans un livre qui vient de paraître sous le titre provocateur « De l’audace », main en avant à la limite de « faire le doigt » sur la couverture. Dans quelques bonnes feuilles parues au Journal Officiel de la gauche de gouvernement, Le Nouvel Observateur. Dans l’émission d’Europe1 dimanche soir sous la houlette courtisane et impatiente d’Elkabbach. Il faut faire la part du blabla électoraliste auprès des militants PS, des grands mots qui ronflent bien à la radio, de l’évanescence de la nouvelle Déclaration socialiste récente. Mais la nouveauté est bel et bien la réhabilitation du mot « libéral » !

« Je vous le dis tout net : je ne réfute pas mécaniquement ce vocable, “libéral”. Et quand il s’applique à une doctrine politique, au sens global, je crois même qu’un militant socialiste devrait le revendiquer. En revanche, ce qui est inacceptable pour un progressiste, c’est de hisser le “libéralisme” au rang de fondement économique et même sociétal, avec ses corollaires : désengagement de l’État et laisser-faire économique et commercial. Il est donc temps que nous cessions de nous acharner sur un mot. »

Dictionnaire Petit Robert 1973 = « Libéral : généreux, qui donne facilement, largement ; arts libéraux : arts dignes d’un homme libre ; professions libérales : de caractère intellectuel, qu’on exerce librement ; (1750) favorable aux libertés individuelles dans le domaine politique – par ext. idées libérales : larges, tolérantes. »
« Libéralisme : (1821, de libéral), attitude, doctrine des libéraux partisans de la liberté politique, de la liberté de conscience. – Ensemble des doctrines qui tendent à garantir les libertés individuelles dans la société. – Doctrine selon la quelle la liberté économique, le libre jeu de l’entreprise ne doivent pas être entravés. – Attitude de respect à l’égard de l’indépendance d’autrui, de tolérance envers ses opinions.
ANTONYMES : absolutisme, despotisme, dirigisme, étatisme, socialisme. »

On voit donc ce qui attire Delanoë : générosité, aspect intellectuel, tolérance et choix individuels de vie, respect de l’indépendance. Reconnaissance de l’économie de marché, mais société qui laisse le primat au politique (ce que disaient les libéraux fondateurs). Et ce qu’il récuse : le despotisme, le dirigisme, en bref… le socialisme ! Dans son sens classique, celui « réalisé » par les pays socialistes comme par le règne Mitterrand dont on se souvient que le mentor de Delanoë, Jospin, avait dit qu’il était nécessaire d’en « faire un bilan ». Définition par Bertrand Delanoë : « une idéologie de la liberté, qui a permis l’accomplissement de grandes conquêtes politiques et sociales. Le principe en est simple : il n’y a pas d’oppression juste, il n’y a pas de chaîne qui ne doive être brisée, il n’y a pas de légitimité, ni donc de fatalité, à la servitude. Et le libéralisme, c’est dans le même temps l’idée que la liberté est une responsabilité, qu’être libre ce n’est pas faire ce que l’on veut mais vouloir ce que l’on fait. » Aucune chaîne n’est « juste » en soi, ni divine, ni « de nature », ni par le « c’est comme ça » social.

Se démarquer de la vieille gauche : Point de yaka ! Liberté = responsabilité – c’est ça être adulte, « mature » comme dit cet anglicisme à la mode. « J’aime les peuples libres qui défient la rigueur de l’histoire, j’aime que, collectivement, s’exprime le désir d’avancer fièrement dans la voie que l’on s’est souverainement tracée. Et ce que je dis des peuples vaut pour les personnes. Chaque individu a droit au bonheur, et il a le droit de le rechercher par les moyens qu’il souhaite. » « Voilà la différence avec la vieille gauche : nous ne nous contentons pas de rêver et d’accuser les autres de trahison parce que ce qu’ils font est imparfait. Et si nous admettions que le courage, le vrai, celui qui justifie les efforts et que récompensent les victoires, ce n’est pas d’appeler à la révolution impossible, mais de préparer la réforme possible ? Le courage, ce n’est pas l’incantation, c’est l’action. » Le bras armé de l’action, c’est l’Etat : « La gauche a toujours été le parti des fonctionnaires, c’est-à-dire des agents de l’Etat. Elle le reste, et elle n’a pas à s’en excuser ». Pas d’Etat sans moyens : « La gauche a toujours été le parti de l’impôt, c’est-à-dire des revenus de l’Etat » Mais pas d’Etat sans gestion de l’Etat : « Nous devons être des managers. Des managers du changement, de la réforme du dialogue social, des managers de l’espoir. Mais des managers. » Et le rôle de l’Etat est d’inciter et de réguler : « Notre stratégie doit consister à obliger le capitalisme à s’adapter, par un mélange de contraintes, d’incitations fiscales et d’opportunités d’investissements. » « C’est le propre du capitalisme de s’adapter pour trouver de nouvelles sources de richesses. A nous de l’y contraindre. » « La logique du marché doit être limitée par le double souci de l’humain et de la nature, qui sont deux modalités du sens collectif. C’est la bonne méthode. »

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Se démarquer des conservateurs : S’il est un libéralisme de gauche, il en est un aussi de droite, celui de l’immobilisme. Laisser faire non parce que cela encourage les initiatives individuelles et émule par la compétition – ce qui est positif – mais laisser faire parce que cela conforte les situations établies, les rentes de castes, les monopoles de pouvoir. « Ce sont les conservateurs qui l’ont dévoyé au service d’une idéologie du laisser faire économique et de la perpétuation des rentes et des privilèges dont ils bénéficient déjà. Au nom d’un principe de liberté, leur dessein est en réalité celui de l’immobilisme, qui prolonge leurs avantages » Sarkozy : « étatiste, protectionniste, il impose à tous les échelons l’omniprésence d’un Etat que dans le même temps il désarme. » Pas du tout libéral ! Je l’ai dit il y a des mois… Il fait de l’autoritarisme brouillon, du bonapartisme télévisuel mais, sur le fond, pas grand chose ne change, surtout pas les situations établies.

Se démarquer de Ségolène : « J’ai approuvé son débat public avec Bayrou. » A noter que Delanoë ne l’a pas suivie à Paris. Il aurait pu s’allier au centre dans la capitale d’autant plus qu’il n’en avait PAS besoin pour gagner. Il laisse poindre par là un côté sectaire qui ne va pas l’aider, un côté léniniste, focalisé sur le petit groupe activiste de professionnels de la politique, seul apte à prendre le pouvoir et à verrouiller. Il s’en défend, évidemment, laissant la porte ouverte à François Bayrou, à condition que celui-ci ne soit pas « le faux-nez de la droite ». Mais PS d’abord (en bonne tactique léniniste) : « Tout cela demande une réflexion sérieuse, qui ne peut venir qu’après une redéfinition de l’identité et de la stratégie des socialistes. »

Bertrand Delanoë recevra-t-il la Palme d’Or des militants socialistes au prochain Congrès ? Observons qu’à Cannes, ladite Palme a récompensé les films « conscients du monde qui les entoure ». Ne serait-ce pas le cas de Bertrand plutôt que de Ségolène ?

Bertrand Delanoë, De l’audace, Robert Laffont, 2008

Les bases théoriques, Monique Canto-Sperber, Les règles de la liberté, plon 2003. La digne philosophe du CNRS et de France Culture va-t-elle passer outre la bien-pensance de ses amis de vielle gauche pour enfin rééditer cette étude, épuisée depuis des années après un gros succès ?


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