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Requiem pour la télévision de contenu?

Publié le 03 décembre 2014 par _nicolas @BranchezVous
Requiem pour la télévision de contenu? Québec Exclusif

La perte de M. Net est un symptôme d’une tendance lourde dans le monde de la télévision québécoise : le contenu s’en va chez le diable. Voici pourquoi.

Comme tout le monde, j’ai été secoué d’apprendre la mise à mort de l’émission M. Net. D’abord parce que j’y compte plusieurs amis précieux qui perdent des emplois qu’ils aiment. Ensuite, parce qu’il s’agit d’un autre pilier de notre communauté qui disparaît et qu’il faudrait être bien optimiste pour croire qu’il sera remplacé à brève échéance.

Aujourd’hui, je voudrais vous faire part de mes inquiétudes pour l’avenir de la télévision de contenu en général. Ou peut-être devrais-je dire : pour ce qu’il en reste.

Aussi, je dois l’avouer, parce que la nouvelle m’a rappelé de bien mauvais souvenirs de la fermeture brutale du premier Branchez-vous, pour lequel j’écrivais alors deux billets par jour, et dont j’avais aussi appris la fin sur les réseaux sociaux – lors de mes vacances à l’extérieur du pays.

Mais je ne m’attarderai pas plus longtemps sur le sujet, puisque l’ami Benoît Gagnon a déjà expliqué les circonstances de la fin de M. Net de manière plus éloquente que je ne pourrais le faire. Non, aujourd’hui, je voudrais vous faire part de mes inquiétudes pour l’avenir de la télévision de contenu en général. Ou peut-être devrais-je dire : pour ce qu’il en reste.

Pourquoi c’est si difficile de faire du contenu

Imaginez que vous êtes le responsable de la programmation d’une chaîne de télévision. Vous savez qu’à moins de diffuser du sport, des bulletins de nouvelles ou un show-événement dont «tout le monde parle» en direct sur Twitter, votre auditoire va probablement enregistrer vos émissions et passer les 12 ou 18 minutes de pub à l’heure sans les regarder. Vous le savez. Votre auditoire le sait. Et surtout, vos annonceurs le savent, ce qui fait qu’ils vous paient de moins en moins cher pour acheter votre temps d’antenne.

Qu’est-ce que vous faites pour rentabiliser votre chaîne et garder votre job?

Première option : le placement de produits

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Ah, le placement de produits. Pour vos émissions de fiction, ça marche : c’est payant, faire boire une marque de bière spécifique au héros d’une sitcom et la mettre bien en évidence à l’écran à un moment où personne ne pensera à appuyer sur fast forward. Faire commanditer l’épreuve de la semaine dans votre concours de chefs-cuisiniers semi-professionnels par une compagnie agroalimentaire aussi, ça fonctionne. Voilà une grosse partie de votre grille-horaire qui est sauvée.

Mais du placement publicitaire dans votre émission de critiques et d’information, c’est plus délicat. Disons que ça passe plus difficilement aux yeux de l’auditoire – et de l’équipe de production. Mieux vaut chercher une autre solution.

Deuxième option : couper dans les dépenses

Dans une vieille bande dessinée de Dilbert, le boss aux cheveux pointus disait qu’en théorie, si la compagnie coupait suffisamment dans les dépenses, elle pourrait être profitable sans rien vendre. Essayons ça!

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On peut d’abord remplacer des téléséries à gros budgets par des téléréalités ou par des quiz. Pas besoin de comédiens coûteux, et les prix remis aux gagnants peuvent être commandités. Yes sir!

Le problème, c’est que ça aussi, ça fonctionne moins bien pour les émissions de contenu. Engagez moins de recherchistes, faites moins de reportages, diffusez plus de reprises, et ça va paraître sur vos cotes d’écoute parce que le contenu informatif, d’habitude, c’est périssable. Surtout en techno, bien sûr, mais dans bien d’autres domaines aussi. Vous n’êtes donc pas plus avancé.

Troisième option : il n’y a pas de troisième option

Puisque produire et diffuser une émission à contenu représente un défi complexe au rendement potentiel limité, bien des diffuseurs ont tout simplement décidé de faire autre chose. C’est triste, mais on peut difficilement les blâmer.

Pire : non seulement y a-t-il une limite inférieure au coût d’une émission à contenu, mais il y a aussi une limite supérieure à son auditoire. Allez trop en profondeur et vous perdez le grand public. Restez trop en surface et vous perdez les mordus.

Pendant mes dernières années aux NerdZ, nous tentions de résoudre la quadrature du cercle en couvrant un maximum de sujets dans chaque épisode pour rejoindre le plus de centres d’intérêts possibles, en traitant ces sujets de manière assez légère pour que notre contenu reste accessible pour tout le monde, et en faisant assez de gags pour que les vrais geeks qui connaissaient déjà tout ce que l’on disait nous regardent quand même. Vous n’avez pas idée de jusqu’à quel point c’était épuisant.

Alors, puisque produire et diffuser une émission à contenu représente un défi complexe au rendement potentiel limité, bien des diffuseurs ont tout simplement décidé de faire autre chose. C’est triste, mais on peut difficilement les blâmer.

En guise de conclusion, une petite lettre au CRTC

Celui qu’on peut probablement blâmer, par contre, c’est le CRTC.

Pourquoi? Parce que dans le fond, une bonne émission à contenu ne semble chère et compliquée à produire que lorsqu’on la compare avec quelque chose d’encore moins cher et moins compliqué.

Dans le meilleur des cas, ce quelque chose de moins cher et de moins compliqué est un produit ultra original qui rejoint un public mal servi autrement. On ne peut alors que s’incliner.

Mais dans le pire des cas, il s’agit plutôt d’une Kardashiannerie boboche sous-titrée tout croche par des traducteurs dépressifs qui se demandent chaque jour pourquoi ils n’ont pas étudié dans un autre domaine. Le genre d’émissions dont la seule valeur réside dans les 52$ qu’il suffit de payer pour avoir le droit de les rediffuser ad nauseam jusqu’à la fin des temps.

Bien que nous n’en soyons pas encore au même point que les Américains, qui ont longtemps laissé sévir Honey Boo Boo et sa famille de morons sur une chaîne appelée The Learning Channel (!), il y a de quoi se poser des questions sur les conditions de licences qui semblent permettre à certains diffuseurs de présenter absolument n’importe quoi à condition que ça ne coûte pas cher et de faire ainsi une concurrence déloyale à ceux qui font encore l’effort de produire de la qualité et de créer des emplois chez nous.

Si le CRTC faisait un peu le ménage dans ce foutoir, peut-être que les marges bénéficiaires limitées générées par les émissions à contenu sembleraient plus alléchantes aux yeux des diffuseurs. Et peut-être que des groupes d’artisans dévoués comme ceux de M. Net ne se retrouveraient pas au chômage 6 jours avant Noël.


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