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Consacrons Miami Art BAsel 2014, avec l’interview sans langue de bois de l’icône contemporaine du Street-Art: JonOne

Publié le 03 décembre 2014 par Darkplanneur @darkplanneur

Pour consacrer l’ouverture cette semaine du plus grand évènement mondial dédié à l’art contemporain, j’ai nommé Miami Art Basel, Darkplanneur est allé à la rencontre d’un de ses plus illustres représentants en France.. un nom nickname, un personnage, mais surtout un mythe du street-art. JonOne m’a reçu dans son atelier pour un entretien sans langue de bois et tout en chorégraphies pour parler de son histoire, de son art, de ses observations.

Darkplanneur: Qui êtes vous JonOne ?

jononemedaille

JonOne: En montrant sa médaille de la mairie de Marseille…  Je suis citoyen d’honneur de la Ville de Marseille !  Ça c’est JonOne (RIRES)

D: Tu n’es plus parisien ? Tu es Marseillais ? (RIRES)

JO: À Marseille, à Paris, ou ailleurs… JonOne c’est d’abord un artiste qui peint depuis longtemps ; qui a une très longue histoire avec la peinture. Pas seulement une histoire d’ailleurs, mais sa propre relation avec celle-ci. Une vraie relation d’évolution et intime, qui a commencé il y a près de 40 ans, jusqu’aux toiles d’aujourd’hui. Nombreuses sont les personnes qui les apprécient, essayent de les mettre en valeur, et essayent de faire de Jon One un grand artiste, notamment en France parce qu’ils croient en ce que je fais, et croient surtout au futur de mes toiles.

D: Quelle différence fais-tu, toi qui es de cette génération, qui es l’incarnation de ce mouvement, entre Graffeur, Tagueur, Street Artist ?

jononefight

JO: Pour moi la meilleure école c’est celle de la rue. Je ne suis pas allé dans les écoles d’arts, les célèbres  Visual Arts, University of Arts, etc … L’école de la rue a une valeur. C’est la meilleure école si tu veux apprendre la peinture et si tu es vraiment motivé. Tu dois être un bon élève dans la rue.

Graffeurs, Street Artistes, etc.. ce ne sont que des moyens d’expression..qui aujourd’hui ont d’ailleurs un sens ‘propret’… Moi je viens d’une autre génération, d’une autre époque, Je ne suis pas de la génération des gentils, des « tout va bien et tout est beau ». Je suis né à NY en 1963, période remplie de nombreux problèmes géopolitiques, entre la guerre froide, les problèmes nucléaires, les problèmes sociaux, raciaux… c’était une période très tendue. Notre génération refusait d’être victime de ces injustices sociales, et nous avons pris les pinceaux, nous nous sommes battus pour changer les choses. Aujourd’hui le résultat tu le vois aux Etats-Unis : le président est noir. CHANGE IS A POSSIBLE ART

D: Que signifie JonOne ?

JO: C’est un mec qui essaye de se comprendre. La vraie histoire me revient, je vais te la raconter.

Je voulais attirer l’attention d’une fille, j’écrivais dans tout mon quartier John avec un petit cœur, « loves » Rosanna… Après des mois de bombardement dans son immeuble, dans les stations de métro, elle a fini par me rencontrer. Elle est sortie avec moi et j’étais l’homme le plus heureux qui voyait son avenir dans la vision américaine, très traditionnelle, très cadrée : « tu as ta copine, tu es diplomé, tu es bien habillé…rangé ». Mais elle m’a trompé avec un autre mec, elle m’a largué, je me suis senti brisé. Comme elle était la plus belle fille du quartier, tout après était fade. Les amis eux avaient des copines, ils étaient amoureux, moi j’étais un mec brisé en deux. Je pouvais pas continuer à écrire John loves Rosanna. Je restais tout seul et je continuais à taguer, j’essayais de taguer juste JON, mais ça ne collait pas, ça restait fade. Pour regagner ma propre estime, j’ai écrit JonOne, pour dire : « I AM SOMEBODY ! » JonOne c’est quelqu’un qui s’est construit avec de nombreux échecs, et vu que je les affrontais ils ont construit qui je suis aujourd’hui.

D: Pourquoi avez-vous commencé la peinture (ou le graff) dans la rue ?

JO: J’aimais ça ! Au lieu de lire le journal je lisais les tags dans la rue, je trouvais ça tellement beau, poétique et mystérieux en même temps, je voulais participer à ce mouvement Hip Hop qui était vraiment à l’époque très underground, c’était une manière d’être déjà branché à l’époque.

D: Y a t-il selon vous, une différence entre Street Art à New York et à Paris ?

JO: Non, aujourd’hui c’est devenu un langage international. Il n’y a pas de frontière, comme tu peux en avoir avec d’autres mouvements artistiques. Tu en trouves en Iran, en Chine, partout. La génération d’aujourd’hui, a l’avantage d’avoir Internet : les médias sociaux, Instagram… Il n’y a plus de différence. JUST ONE WORLD

D: Pourquoi vous êtes-vous installés à Paris, alors que NY était la capitale du Street Art ?

JO: Ce n’était pas du Street Art, car à l’époque on était juste considérés comme des vandales qui faisaient des Graffitis. Je suis venu à Paris car j’étais fatigué de New York. J’étais à bout ! J’ai été invité par d’autres graffeurs à venir m’éclater à Paris, et j’ai trouvé cette ville tellement géniale et cool… Je n’avais pas les mêmes problèmes qu’à New York ! L’air parisien est différent, même sa lumière. Regarde comme il fait gris ! Tu as l’espérance que le soleil va sortir demain. A New York, il fait soleil mais tu es toujours dans le speed. (Il regarde à la fenêtre et il chante) « The sun will come up tomorrow ! Tomorrow ! » À New York il n’y avait plus d’espoir, ici oui.

D: Quelle est votre vision sur le Street Art en 2014 ?

JO: Aujourd’hui on parle du mouvement du Street Art, comme d’un cirque, c’est du ‘Bandwagging’ (c’est l’idée d’être suiveur, de prendre le train déjà en marche) . Je pense que le futur du Street Art c’est de ne plus être perçu comme une forme artistique individuelle, on n’en parlera plus dans le terme de ‘Street Art’, mais juste d’Art ! Aujourd’hui mon travail est exposé dans des expositions de Street Art, mes œuvres côtoient celles de Kiki One et d’autres… Des gens qui n’ont rien à voir avec mon travail. Bien sûr nous sommes de la même école mais notre travail n’est pas le même. Les gens vont commencer à voir le travail individuel de chaque artiste, et leur propre dimension, c’est tout ce qu’il faut espérer.

D: En octobre a eu lieu la FIAC Paris, comment vous voyez l’arrivée du Street Art dans les musées et les galeries ?

JO: C’est très sérieux la Fiac (rires)…Le Street Art était un peu snobé, car déjà quand je commençais à peindre, le milieu de l’art était très fermé, ils avaient le gâteau et ils ne voulaient pas le partager. Ils voient des gens qui n’ont jamais fait d’école, qui viennent de la rue, et qui prennent la lumière…bien sûr ils n’ont pas voulu la partager avec d’autres que leurs amis, et avec ceux qui correspondent à leurs codes sociaux. Aujourd’hui, par contre, le mouvement devient de plus en plus fort jusqu’à être, d’une manière alternative, autonome…Je pense que des lieux comme la FIAC sont importants, car ils ont ouvert la porte, etde plus en plus de galeries suivent.

D: Certains puristes disent que le Street Art (graffiti, Tag etc… ) n’a vocation à être que dans la rue, et pas dans les musées, et surtout pas associé aux marques, qu’en pensez-vous ?

JO: Oui ce discours existe depuis longtemps. Pour certains artistes bien sûr le travail marche mieux dans le format de la rue, ils n’ont pas une dimension en toile, parce que le travail a besoin d’un certain recul, dans l’esprit politique, la revendication politique fonctionne mieux dans le mural pour toucher son public, que sur une toile. Mon travail fonctionne sur une toile car ce n’est ni graphique, ni illustratif, c’est une expression personnelle. Mon travail se développe dans un atelier, et dans des galeries. Certains artistes, par exemple, ont besoin de faire 10 M d’affiches, comme ça leur travail sur toile a un sen…Mon travail à moi peut évoluer dans un atelier où il y a la même énergie et le même type de lumière.

D: De quelle œuvre êtes-vous le plus fier ?

Hommage-typographique-labbé-pierre-par-JonOne

JO: Celle que j’ai faite pour la Fondation Abbé Pierre à Metz. Parceque c’est bien placé, et la gentillesse des gens m’a touché. Cette oeuvre était faite pour une bonne cause, et elle semble touchée par la grâce de monsieur l’abbé.

D: L’art contemporain est au summum de sa désirabilité, Jeff Koons, Damien Hirst…leurs œuvres créent aujourd’hui une bulle spéculative, est-ce bon pour le monde de l’art ?

JO: Oui je pense, c’est bien quand la peinture a une valeur. Ca vaut plus des fois je pense. (rires)

D: 70 M de dollar pour une peinture ce n’est pas cher ?

JO: Non! Pourquoi ?

D: Pourquoi avoir accepté de collaborer avec Perrier ?

JonOne Perrier

JO: Perrier est une marque qui a déjà travaillé avec des artistes, comme par exemple : Andy Warhol. Quand tu travailles avec une marque, c’est une collaboration, et j’aimais bien l’idée de m’inscrire dans les pas d’une personne aussi illustre qu’Andy et d’avoir à étalonner mon travail pour la marque, pour moi et pour le public.

D: S’agit-il d’une démarche Warholienne, au sens tel que Warhol le voyait avec les « Soups », « les Coca Cola Cans », de travailler avec un format particulier ?

JO: C’est en effet un challenge. Travailler sur une bouteille de Perrier offre une très petite surface pour s’exprimer, il faut donc arriver à être créatif mais dans un format différent. Un défi donc, mais aussi l’accès à un autre public qui ne connaissait peut-être pas mon travail avant.

D: Qu’avez-vous pensé du documentaire « Faites le mur », et de l’émergence de Mister Brainwash ?

JO: Mister Brainwash c’est la nouvelle génération. Ca fait connaître le mouvement à des gens. C’est bien. Je n’ai pas la même démarche artistique, je ne peux pas me comparer à lui, mais je suis respectueux de la démarche.

D: Qu’y a t-il de plus admirable : sa démarche pour devenir un artiste ou son art ?

JO: C’est un peu des deux. Chaque personne a son propre parcours, ou son propre déclic. On ne peut pas généraliser une formule de réussite. Son processus a été rapide : il a collé quelques affiches et Boum ! Ca ne veut pas dire que ça va marcher comme ça pour tout le monde. Il n’est pas de la nouvelle génération car il est un peu plus âgé mais il participe à ce renouveau, à cet âge d’or de notre Art.

D: Que pensez-vous de la démarche d’un Bansky ?

JO: C’est un très bon homme d’affaires!

D: C’est intéressant car il ne veut surtout pas être perçu comme un homme d’affaires. C’est pour cela qu’il dit que « son art doit être libre ». Quand il va à NY et qu’il vend ses œuvres dans un truck à 15 dollars ! Il dit Fuck les galeries, Fuck le système..non ?

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JO: Oui et je persiste c’est un très bon businessman, car il doit avoir un atelier et payer ses employés ! Le rapport de l’artiste à l’argent est délicat, et il ne faut surtout pas être hypocrite..moi je ne le suis pas en tout cas. Bansky peut adopter une démarche anti-système, comme cette idée de la vente de ses œuvres à 15$ dans un truck à 2 pas de Central Park, mais il n’empêche que tu dois être capable d’entrer dans le système, prendre ce que tu souhaites et en ressortir ! On a toujours besoin du système dans un sens, ou dans l’autre : tu peux suivre les règles ou au contraire les transgresser… mais malgré tout tu es obligé de faire partie du système pour pouvoir le critiquer..le jour où tu en sors vraiment, on t’oublie et c’est GAME OVER. Plus qu’un Bansky ce que je déteste par-dessus tout, c’est les artistes qui se sont laissés corrompre, qui travaillent de moins en moins et roulent en porsche

D: Est-ce que ça veut dire qu’un artiste ne peut pas être dans une Porsche? Un artiste doit toujours être dans une forme d’insécurité ?

JO: C’est une question intéressante. Le réflexe des gens est de se concentrer sur ce que tu AS, et non sur ce que tu FAIS. C’est cela qui m’effraie. Ce que je fais est plus important que laisser les gens estimer ce que je peux posséder. Je préfère intéresser les gens sur ce que je suis et sur mon art. Le but est que les gens voient mon travail, et que mon travail arrive dans les musées. Que ça marche assez pour avoir A PIECE OF THE CAKE ! Quand je parle du gâteau je parle des clés du musée. Ils me mettent au défi d’accéder à la reconnaissance de l’establishement et d’acquérir une légitimité, et bien ça me motive pour aller de l’avant.

D: Quelle est votre œuvre ultime, celle dont vous voudriez qu’on se souvienne à jamais ?

 JO: La première toile que j’ai faite. Je l’ai, elle est chez ma mère. Quand je vois cette toile, et que je vois ma vie aujourd’hui, je me dis : « Putain, je viens de loin moi ! » C’était comme un rêve de gamin. Le rêve de pouvoir peindre tous les jours, d’être un artiste, avoir un atelier… Il y a tout ce rêve dans cette toile. Il y avait toujours cette soif.

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