Un livre est en passe de devenir culte, c’est 5 000 ans de dettes de David Graeber. En fait il l’est déjà dans le monde anglo-saxon mais il continue de percer lentement en France.
Un des passages parle justement du père Noël et de la violence qu’il y a à recevoir des cadeaux sans pouvoir rendre. En d’autres termes, le Père Noël est le symétrique du cambrioleur : il s’introduit chez nous non pas pour dérober mais pour offrir. Et nous ne pourrons jamais « rendre la monnaie de sa pièce » à ce délinquant masqué.
A noter d’ailleurs que dans la tradition populaire, les êtres fantastiques tels les lutins remplissent ces deux rôles à la fois : tantôt malicieux, tantôt bienveillant. Ils cachent vos clés de voiture ou déposent des trésors sur le trottoir. Mais il reste toujours insaisissable.
En ce moment, je me dis que, de la même manière que [ATTENTION SPOIL: ELOIGNEZ LES ENFANTS] le père Noël n’existe pas, la possibilité d’un Noël éthique relève également de l’imaginaire. Noël ne peut pas être éthique.
En effet, offrir quelque chose à quelqu’un constitue fondamentalement à créer un déséquilibre. La personne me sera redevable… au moins jusqu’à ce qu’elle m’offre quelque chose en retour. Mais comme ce quelque chose sera toujours différent de ce que j’ai offert, il sera impossible de savoir si la valeur des deux présents échangés se valent. Et ainsi commence l’escalade des cadeaux et du rituel annuel. Le bon côté des choses étant naturellement que ces cadeaux fournissent un prétexte pour se réunir et entretenir nos communautés.
Noël approchant, nous voilà comme chaque année envahis et submergés par les réclames pour tel ou tel « incontournable ». On a parlé des drones et des tablettes (un Noël à l’abri du déferlement numérique). Je me demande parfois, et innocemment, si toute cette débauche d’énergie, si toutes ces stratégies marketing qui connaissent là leur acmé, si donc au final tout cet étalement d’opulence n’est pas plutôt le symptôme d’une détresse des annonceurs. S’ils étaient davantage sereins sur la qualité de leurs produits, ils n’auraient pas à acheter des 4 par 3 et des spots sur tous les écrans.
Dans la vraie vie, difficile donc d’échapper à ce matraquage. Reste Internet où l’on peut bloquer les pubs. Ça c’était avant…
Devant la montée en force des utilisateurs de bloqueurs de publicité sur Internet (Adblock, à installer d’urgence) on voit également une émulation incroyable et perverse visant à contourner ces dispositifs anti-pub. Une start-up française s’apprête donc à générer des codes encryptés et personnalisés pour chaque annonceur/utilisateur qui permettrait de fournir la pub à l’internaute… qui n’en voulait pas. Ne riez pas, l’affaire est suffisamment sérieuse pour que les annonceurs s’apprêtent à porter plainte contre le module opensource Adblock.Un Noël éthique, c’est donc un renoncement à toute cette débauche consommatoire. En se voulant « éthique », votre Noël sera pa-thétique. Il n’aura pas participé au « grand rituel », celui où l’on a droit de gaspiller, d’être démesuré, d’offrir du gadget et de l’obsolète. Noël est la fête païenne devenue religieuse (d’abord la religion du Christ puis la religion de la Croissance) qui nous rassemble tous. En adoptant pour un Noël éthique (cadeaux immatériels, faits maison, récup, écologique, équitable, …) vous faites déjà violence à la communauté qui adopte le Noël commercial. Vous ne récompensez pas les efforts fournis par cette armée de commerciaux, marketeurs, publi-rédacteurs…
J’aime à répéter qu’un achat « eco-SAPIENS » est un achat où l’on peut raconter l’histoire de l’objet. On a une anecdote sur le producteur, sur la fabrication, sur le transporteur, sur le revendeur. La caissière de supermarché est bien embêtée si vous lui demandez qui a fabriqué ceci ou comment est fabriqué cela ? C’est d’ailleurs pour cela que les articles ont des emballages avec une quantité énorme d’informations indigestes : ingrédients, logos, pictos, labels, étiquette nutritionnelle ou énergie, photos, code barre…
Donc assurément, ces produits impersonnels, décontextualisés, anhistoriques, collent bien avec ce père Noël anonyme évoqué tout à l’heure. Le père Noël furtif qui dépose des cadeaux pour lequel nous n’aurons pas d’explication. En fait c’est plutôt au père Noël d’écrire une lettre à chacun d’entre nous. Et dans laquelle il nous expliquerait pourquoi il a pensé que ce cadeau là en particulier, avec son histoire propre, correspondait à ce que nous sommes.
Pour être honnête, je ressens encore une pression fantasmée quand je pioche mes cadeaux parmi notre guide d’achat eco-SAPIENS. Je me dis qu’un drone ou une GoPro ce serait vraiment fun… mais je sais que le déplaisir pour moi à acheter cela sera plus fort que le plaisir de celui qui le recevra. C’est très égoïste. Un Noël éthique est peut-être un Noël égoïste après tout.Comme je suis bon prince, je vous livre par exemple ce que j’ai offert/compte offrir/pourrais offrir:
- un abonnement à La Salamandre parce que vraiment, j’ai rarement vu une revue d’une telle beauté (texte, images, choix des sujets). Cible 15-50 ans.
Maintenant, cela aurait pu être un abonnement aux Editions Pour Penser ou à Kaizen. - un jeu coopératif nommé ANDOR, parce que pour une fois que l’on me certifie qu’il existe un jeu à la fois ludique, prenant et éthique, j’ai bien envie de tester
- Un jeu de construction en bois, type chalet parce que cela me rappelle aussi mon enfance…
- Et donc le livre de David Graeber 5 000 ans de dette !
- Un sarouel
- Un diffuseur d’huiles essentielles Quésack (le meilleur selon moi)
- Et en cadeau collectif un matelas qui se la raconte
- Un jeu de Mölky (quilles finlandaises)
- Pour les bébés, chaussures Veja, body Quat’rues
- Une Poupée made in France
Au final ma liste eco-SAPIENS est disponible ici. D’ailleurs, si vous voulez créer la votre c’est assez simple, il vous suffit de vous inscrire comme membre et de vous laisser guider.
Joyeux Noël à tous et bon courage pour vos achats (ou pas) !