Magazine Société
A partir de janvier 2015, un groupe de neuf chefs d'entreprises évaluera l'impact de toute nouvelle loi sur les entreprises, avant même que le Parlement examine le texte. Ce qui m'ennuie beaucoup dans cette histoire, c'est que je me souviens bien de mes cours d'éducation civique : les Français élisent des députés qui font leurs lois. Or à aucun moment, je me souviens d'avoir voté pour des chefs d'entreprise, pour quoi que ce soit, mais surtout pas pour faire les lois. Alors, je me sens trahi. Si les chefs d’entreprise peuvent fabriquer leurs lois sur mesure, pourquoi les autres citoyens ne peuvent-ils pas en faire autant ? Et puis d'abord, c'est écrit où, dans la Constitution ?
Pourquoi les chefs de famille qui font laborieusement vivre leur maisonnée avec des CDD qui ne s'enchaînent pas toujours ne peuvent-ils pas, eux non plus, arranger un peu les lois qui les régissent ? Sans parler de ceux qui n'ont pas de CDD ? Pourquoi les braves gens qui ne finissent jamais leur mois avec leur compte en banque dans le vert ne peuvent-ils pas, eux non plus, aménager les créances qui les oppressent ? Pourquoi les SDF ne peuvent-ils pas se réunir en comité pour faire simplement appliquer à la lettre la loi sur le droit au logement ? Sans parler du droit au travail, gravé dans la constitution, et qui est bafoué à chaque fin de contrat et à chaque licenciement ?
Comment vont-être choisis ces neuf chefs d'entreprise qui vont nous gouverner sans avoir été élus ? Ont-ils fréquenté le Fouquet's dans une vie antérieure ? Ont-ils installé une crèche dans le hall de leurs bureaux ?
Les Français n'avaient déjà pas une image très gratifiante de leurs entreprises, qui, il faut bien le dire, les prennent trop souvent pour des paramètres d'ajustement, sinon pour des consommables. Si en plus, elles prennent le pouvoir et se fabriquent des lois sur mesure, ils vont carrément les détester.
Déjà, la France est le pays où les dividendes versés aux actionnaires ont le plus augmenté au détriment des salaires et des investissements. Ce putch du patronat est propre à réveiller la lutte des classes. Avec un tel levier, Gattaz a gagné : quoi qu'il sorte des urnes, le Medef possède maintenant officiellement la clé du pouvoir.
Est-ce pour cela que nous avions "voté à gauche" ?
La république a touché l'iceberg. Pouvons-nous rester sans réagir ?