Patrick Mahé, La télévision autrefois, Paris, Editions Hoëbeke, 2006-2014, 168 p., 12,9 €
Ceci n'est pas une histoire de la télévision. C'est, à l'aide d'images, une évocation de la télévision française depuis ses débuts, vers 1950, jusqu'aux années 1980. Période que domine presque exclusivement la télévision de secteur public et de service public. L'ouvrage arrête son évocation un peu avant le lancement de chaînes privées en France : Canal Plus en 1984, TV6 en 1986 et la privatisation de TF1 en 1987.
Ce siècle avait 50 ans. On repère le virage des années 1960 : la télé est en couleurs (1967), la publicité débarque en 1968 ("Du pain, du vin et du Boursin"), le magazine Télé 60 devient Télé 7 Jours. Plutôt qu'un livre d'histoire, c'est plutôt un livre de souvenirs comme s'il avait été composé pour ou par des téléspectateurs nostalgiques. En huit chapitres, des photos, quelques anecdotes, on parcourt ce qui reste de la mémoire de la télévision.
D'abord les emblêmes : les speakerines, potiches que le féminisme aurait pu dénoncer, le téléviseur qui rassemble la famille au salon ou à la cuisine, la pendule qui ne tourne pas rond, le petit train et son rébus, en attendant, les habillages d'antenne... Ensuite, on traite l'information, le 20 heures et ses hommes troncs, JT qui paraît dès juin 1949 et ne dure qu'un quart d'heure, à 21 heures ; le merveilleux "Téléchat" raillera gentiment le rituel d'infos qui s'est installé. "Cinq colonnes à la une" et puis les élections, les candidats ; parmi eux, De Gaulle, acteur formidable du théâtre politique. Pour le rire et les jeux, l'ouvrage évoque le cirque avec "La Piste aux étoiles", "Les Shadocks" (mai 1968) ; pour les variétés l'Eurovision, le Petit Conservatoire de Mireille, Discorama, Jean-Christophe Averty... Les émissions de jeunesse pour "Bonne nuit les petits", "Le manège enchanté", Thierry la Fronde, "Les chevaliers du ciel", Goldorak et Dorothée. "Laissez-les regarder la télé", dira-t-on !
La "culture" a-t-elle sa place à la télé ? Peut-être avec "Lectures pour tous" et "Apostrophes", avec "Les Perses" d'Eschyle, si fameux. Un chapitre sur les séries, la plupart américaines, déjà, mais il y a toutefois "Maigret", "Belphégor", "Les saintes chéries", "Vidocq"... Un chapitre sur le sport pour finir : le Tour de France d'abord qui se terminait depuis 1948 par l'entrée triomphale au Parc des Princes, alors temple des sports populaires, le football avec les Verts et le stade Reims, les JO de Grenoble, le catch...
Toutes ces émissions avaient deux vies : une vie en direct, sur rendez-vous, puis une vie sociale, ensuite ; sans Facebook ni Twitter, ces émissions meublaient les conversations, les imaginaires, les jeux des enfants, les rêves aussi. Etoffe des vies quotidiennes.
Le livre donne l'image, peut-être fantasmatique, d'une France unie par sa télé qui réunit en de nombreux grands spectacles la majorité de la population. Télévision pour tous qui n'a pas l'obsession publicitaire du ciblage qui sépare et trie ; cette télévision inculque à tous sa grille, son emploi du temps, l'heure des repas, du coucher... Pas plus qu'aujourd'hui, elle ne faisait pas l'élection mais elle donnait à tous un contenu de référence, de quoi débattre à table, au bistro, à l'usine ou au bureau.
Télé dénoncée dès ses débuts, mal-aimée par les enseignants, les "intellectuels" (elle "tend vers le bas"), les politiques (surtout lorsqu'ils perdent les élections). Télé que l'on aime détester. Quelques voix discordantes ; lucide, Louis Porcher qui vante "l'école parallèle".
Durant cette période, qui semble pré-histoire, des formats télé se mettent en place, souvent hérités de la radio, des genres télévisuels, des cadrages, des personnages, des rôles (le présentateur, l'animatrice, le journaliste sportif ou météo, l'artiste de variétés, le reporter), des rhétoriques aussi ; beaucoup de ces codes et métiers de ne passeront pas le siècle et seront balayés par l'abondance télévisuelle, par le numérique, par YouTube ou Facebook. Certains subsistent, inchangés... Ce livre d'images fait voir aux lecteurs une rupture à l'œuvre, la première dans l'histoire de la télévision. La deuxième rupture est en cours.
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