Climat : analyse du "Lima call for climate action" de la 20ème Conférence des parties

Publié le 14 décembre 2014 par Arnaudgossement

La 20ème conférence des parties (COP20) à la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) s'est achevée, ce par la décision de poursuivre les négociations faute de vrai consensus sur les éléments d'un accord international pour lutter contre le changement climatique. Seule certitude pour l'instant : la 21ème conférence des parties à Paris pourra avoir lieue.


Le texte de la décision de la COP20 de Lima, appelée "Lima call for climate action" peut être téléchargé ici sur le site de l'UNFCC, le secrétariat de la Convention cadre des Nations Unies pour le changement climatique. 

Verre à moitié plein. Il est sans doute plus difficile de regarder le verre à moitié plein. Difficile en effet de se réjouir de la seule existence d'une décision tant une COP, depuis 1995, ne peut aboutir qu'à une décision, quel que soit son contenu. De plus, cette décision de la COP 20 était très attendue pour assurer la réussite de la COP 21 qui doit se tenir à Paris en décembre 2015.

Malgré cette déception, il est possible de souligner que cette décision permet :

1. de confirmer le consensus mondial sur la réalité du changement climatique et sur la contribution de l'Homme à ce dernier,

2. de confirmer la volonté du monde de maintenir (si possible) le changement climatique en dessous de la barre dangereuse des 2°C,

3. de confirmer le principe d'une responsabilité commune mais différenciée des Etats (même si son contenu exact apparaît confus)  : "Underscores its commitment to reaching an ambitious agreement in 2015 that reflects the principle of common but differentiated responsibilities and respective capabilities, in light of different national circumstances;"

4. de faire preuve de réalisme sur l'écart actuel entre le niveau réel des émissions de GES et ce qu'il faudrait faire :"Noting with grave concern the significant gap between the aggregate effect of Parties’ mitigation pledges in terms of global annual emissions of greenhouse gases by 2020 and aggregate emission pathways consistent with having a likely chance of holding the increase in global average temperature below 2 °C or 1.5 °C above pre-industrial levels,"

5. de confirmer le principe d'un Green fund : a) prioritairement abondé par les pays développés et b) consacré tant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre qu'aux politiques d'adaptation au changement climatique en cours : "4. Urges developed country Parties to provide and mobilize enhanced financial support to developing country Parties for ambitious mitigation and adaptation actions, especially to Parties that are particularly vulnerable to the adverse effects of climate change; and recognizes complementary support by other Parties"

6. d'engager les Parties à communiquer, avant la fin du premier semestre 2015, leurs contributions à la réduction de leurs émissions de GES : "Reiterates its invitation to all Parties to communicate their intended nationally determined contributions well in advance of the twenty-first session of the Conference of the Parties (by the first quarter of 2015 by those Parties ready to do so) in a manner that facilitates the clarity, transparency and understanding of the intended nationally determined contributions;"

Si la décision de la COP 20 n'impose pas une méthode particulière pour la rédaction de ces contributions nationales, elle offre un faisceau d'indices : "Agrees that the information to be provided by Parties communicating their intended nationally determined contributions, in order to facilitate clarity, transparency and understanding, may include, as appropriate, inter alia, quantifiable information on the reference point (including, as appropriate, a base year), time frames and/or periods for implementation, scope and coverage, planning processes, assumptions and methodological approaches including those for estimating and accounting for anthropogenic greenhouse gas emissions and, as appropriate, removals, and how the Party considers that its intended nationally determined contribution is fair and ambitious, in light of its national circumstances, and how it contributes towards achieving the objective of the Convention as set out in its Article 2;"

7. de confirmer le processus onusien comme seul processus possible pour parvenir à un accord mondial. On regrettera l'absence de toute ouverture de ces négociations : elles demeurent le monopole des exécutifs nationaux et, plus précisément, de la diplomatie. La méthode pourrait évoluer.

8. de confirmer l'objectif d'un accord mondial, de de poursuivre les négociations.

La décision de la COP20 traduit la pérennité d'un consensus international sur la réalité du risque que court l'humanité et sur la nécessité de poursuivre les négociations. En ces temps de crise économique, ce n'est pas tout à fait rien. Ce n'est pas non plus suffisant.

Verre à moitié vide

Aucune des questions qui étaient posée à cette conférence des parties n'a trouvé de réponse précise. Or, il était important de trouver un accord sur ces points pour jeter les bases solides d'un accord possible à la 21ème conférence des Parties qui se tiendra à Paris du 30 novembre au 11 décembre 2015. On en est encore loin. L'espoir est désormais celui d'une réussite des inter sessions qui seront organisées au premier semestre 2015.

1. Le premier enjeu était celui de la création d'une relation de confiance entre les Etats parties à la CCNUC.

Or, cette confiance n'existe pas encore. En témoignent certains développements de la décision de la COP 20 dont celui rédigé au paragraphe 8. Certaines parties craignaient en effet que la communication, au secrétariat de la Convention, de leurs engagements de réduction des émissions de GES ne puissent ensuite leur être opposée. La décision prend soin de préciser que cette communication ne dira rien du contenu et de la forme juridique de l'accord à négocier à Paris : "8. Notes that the arrangements specified in this decision in relation to intended nationally determined contributions are without prejudice to the legal nature and content of the intended nationally determined contributions of Parties or to the content of the protocol, another legal instrument or agreed outcome with legal force under the Convention applicable to all Parties;

2. Le deuxième enjeu était celle de la mobilisation citoyenne et des moyens de la créer.

Or, la Conférence de Lima s'est, pour l'essentiel, déroulée dans l'indifférence générale. En France, presque aucun responsable politique, à l'exception des ministres concernés et des parlementaires membres de la délégation présidentielle, ne s'est exprimé au cours des quinze jours de négociation. Les manifestations contre le projet de loi Macron ont bien plus mobilisé et le travail du dimanche a bien plus intéressé. Les négociations internationales sur le climat sont encore un processus hors sol et d'experts, parlant trop souvent une langue spécifique faite de jargon et d'acronymes. Reste que personne n'a encore proposé d'alternative crédible si ce n'est celui d'une organisation mondiale pour l'environnement. Mais la création de cette dernière, en germe depuis des années, prendrait encore des années pour être réalisée. Et la lutte contre le changement climatique ne peut attendre autant.

3. Le troisième enjeu était celui du financement de l'action contre le changement climatique.

Un récent rapport souligne que 775 milliards de dollars de subventions ont été versées dans le monde pour la production et l'utilisation des énergies fossiles en 2012 – contre 101 milliards pour les énergies renouvelables en 2013. En comparaison, les 10 milliards de vagues promesses pour le "Green fund" paraissent dérisoires. La décision de la COP20 elle-même ne comporte aucune précision à ce sujet.

4. Le quatrième enjeu était celui du format des "engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre".

Or, sur ce point, on vient de le voir, la décision de la COP 20 propose mais n'impose pas une méthode uniforme d'élaboration des contributions nationales.

5. Le cinquième enjeu était celui de la nature et de la valeur juridique de l'accord à venir à Paris.

Sur ce point aussi, la Conférence de Lima n'a pas permis d'avancer. Pourtant, une question essentielle est  celle-ci : faut-il encore rechercher un "accord juridiquement contraignant" contre le changement climatique ?

Depuis l'adoption du Protocole de Kyoto en 1997, la signature d'un "accord juridiquement contraignant" est devenu le but premier des négociations organisées dans le cadre de la convention climat de 1992. Pourtant, la question même de savoir ce que pourrait être "un accord juridiquement contraignant" reste sans réponse. Généralement, référence est faite au protocole de Kyoto de 1997, lequel prévoit des possibilités de sanctions par un organisme ad hoc. Ce protocole qui n'est entré en vigueur qu'en 2005 n'a cependant été signé que par un nombre restreint d'Etats (55) parmi les 194 signataires de la Convention cadre de 1992. Son mécanisme de sanction demeure symbolique et les effets mêmes du protocole sont controversés. Faut-il donc encore s'attacher à la rédaction d'un "protocole" ou d'une nouvelle convention qui ne produirait pas d'effets avant plusieurs années ?

Dans ces circonstances faut-il s'entêter à rechercher un "legally binding agreement" sachant que les principaux pollueurs de la planète, Etats-Unis et Chine en tête, n'accepteront jamais ce qu'ils considèrent comme une atteinte à leur souveraineté nationale ?

Sur ce point la décision de la COP20 souligne, plusieurs reprises la volonté des Parties de rechercher un accord "juridique" ("with legal force") tout en laissant ouvertes toutes les options :

"Affirming its determination to strengthen adaptation action through the protocol, another legal instrument or agreed outcome with legal force under the Convention to be adopted at the twenty-first session of the Conference of the Parties (November-December 2015),"

(...) 1. Confirms that the Ad Hoc Working Group on the Durban Platform for Enhanced Action shall complete the work referred to in decision 1/CP.17, paragraph 2, as early as possible in order for the Conference of the Parties at its twenty-first session to adopt a protocol, another legal instrument or an agreed outcome with legal force under the Convention applicable to all Parties;

2. Decides that the protocol, another legal instrument or agreed outcome with legal force under the Convention applicable to all Parties shall address in a balanced manner, inter alia, mitigation, adaptation, finance, technology development and transfer, and capacity-building, and transparency of action and support;"

On citera surtout le paragraphe 6 de cette décision, sans doute le plus important :

"6. Decides that the Ad Hoc Working Group on the Durban Platform for Enhanced Action will intensify its work, with a view to making available a negotiating text for a protocol, another legal instrument or an agreed outcome with legal force under the Convention applicable to all Parties before May 2015;"

Ce paragraphe est important à deux titres. D'une part, il permet au processus de ce négociation de se poursuivre, grâce à l'organisation d'inter sessions, au premier semestre 2015, de manière à tenter d'ouvrir la conférence de Paris avec un projet de texte. Un brouillon a d'ores et déjà été annexé à la décision de la COP20 mais sans valeur juridique. D'autre part, il démontre malheureusement qu'à ce stade, le choix du contenant n'a pas été fait. Que signifie ici un acte "with legal force" ?

Il serait cependant faux d'en déduire l'absence de toute avancée. D'une part, cette rédaction démontre que tous les Etats souhaitent continuer à négocier dans le cadre onusien de la convention de 1992, ce qui est déjà notable. D'autre part, elle démontre que les Parties ne souhaitent pas, à ce stade, que la lutte contre le changement climatique repose uniquement sur une multiplication d'accords bilatéraux ou régionaux mais puisse être organisée au moyen d'un accord global.

Enfin, la décision de la COP20 fixe une date butoir : mai 2015. C'est en réalité à cette date qu'il sera possible de faire des pronostics plus fiables sur les chances de succès de la COP21.  

De cette conférence de Lima, on retiendra notamment la déclaration de Lord Nicholas Stern remettant en cause l'utilité de conclure un "accord juridiquement contraignant : "Some may fear that commitments that are not internationally legally-binding may lack credibility. That, in my view, is a serious mistake. The sanctions available under the Kyoto Protocol, for example, were notionally legally-binding but were simply not credible and failed to guarantee domestic implementation of commitments."

L'appel de Lima est donc aussi un appel aux juristes pour faire preuve de créativité.

Arnaud Gossement

Selarl Gossement Avocats

Pour aller plus loin

Le texte du projet de décision de la COP peut être consulté ici.

L'analyse de l'appel de Lima par "The Carbon Brief"

Le communiqué du Réseau Action Climat France

Ci-dessous, mon intervention sur LCI

Sommet sur le climat : "Si Lima est un échec, il peut y avoir un sursaut" sur WAT.tv