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Vis ma vie: d’avocat à juriste, les pérégrinations d’un homme droit

Publié le 19 décembre 2014 par Emmanuel S. @auxangesetc

Vis ma vie: d’avocat à juriste, les pérégrinations d’un homme droit

Quand je m’arrête un peu pour m’apitoyer sur mon triste sort (je me demande d’ailleurs pourquoi on m’appelle Caliméro), me disant que la nature est vraiment cruelle et ne m’a pas gâtée, ni physiquement ni intellectuellement, que la vie est une chienne, life is a bitch, et ne m’a pas fait de cadeau, il y a malgré tout deux choses dont je suis fier. La première est bien entendu ma femme, mon âme sœur, ma confidente, la seule qui me comprenne, qui m’accepte tel que je suis, avec mes si nombreux défauts, avec sa gentillesse sans limite, sa douceur infinie, et sa patience qui permet à notre couple de durer. La seule qui m’ait percé à nu (tout doux les gars, je suis dans le romantisme là). La seconde est mon métier. Je suis juriste, ancien avocat, peu attaché au titre pompeux (j’aime que l’on appelle « maître », mais uniquement dans les soirées S&M du samedi soir avec DSK, mais ce sera l’occasion d’un autre billet, chaque chose en son temps), peu attaché à l’arrogance dont certains avocats ont le secret, et encore moins attiré par les projecteurs des médias contrairement à certains de mes ex-confrères attirés par les caméras comme les mouches par de la m…

Préférant donc rester dans l’ombre, refusant de surévaluer mon travail, refusant de mentir sur mes véritables heures travaillées (bien que très nombreuses), refusant d’en rajouter, de tirer à moi les mérites ou les réflexions sur des questions de fond, n’aimant pas la forme (j’entends déjà les blagues de Man et Mathieu, mais je le mérite) qui déforme toute la réalité, je ne pouvais durer dans ce métier. Un bon avocat est avant tout un bon menteur, un tricheur qui s’attribue les mérites des autres et qui prétend avoir les compétences pour traiter des sujets dont il ne comprend ni les tenants ni les aboutissants. Je les appelle les « moulins » car ils s’agitent dans tous les sens, gesticulent, font du bruit, mais ne produisent que … du vent.

Or, je suis trop direct, trop impulsif et trop honnête pour mentir. Certains diraient même provocateur. J’aime la franchise. Je crois que la psychologue qui m’aide à surmonter mon deuil périnatal et à préparer l’arrivée de mon troisième enfant m’a aidé, indirectement, à résoudre cette terrible énigme : ai-je l’esprit de contradiction ou l’esprit d’opposition ? Et je crois que c’est finalement mon esprit d’opposition qui me fait être aussi honnête. J’avoue jubiler dire que je pense le contraire de tout le monde, et à argumenter pour cela. J’adore les débats. Mais je refuse la pensée unique. Je refuse les leçons de morale de gens qui s’estiment avoir raison et n’acceptent aucune opinion différente. Je déteste cette forme de prétention. Un mauvais point déjà dans ce monde si particulier des avocats où la devise est tais-toi et exécute.

Bref, dans le milieu pompeux du « M&A », comprenez les Mergers and Acquisitions, autrement dit, les fusions-acquisitions dans la langue de Molière, il faut être aussi menteur qu’un homme politique, aussi lisse que l’encéphalogramme de Thierry Roland (paix à son âme) et aussi soumis qu’une femme marié à un taliban. Il fut fort instructif de débuter la vie professionnelle par cette porte-là. On comprend vite qu’il ne faut compter que sur soi-même et que son travail ne permettra pas, à lui tout seul, d’être récompensé. Au mieux, il permet de récupérer encore plus de travail. Et oui, si certains bossent autant, c’est pour que d’autres fassent semblant.

Mais comment faire semblant alors que l’on travaille entre 14 et 18 heures par jour. C’est très simple en réalité: déléguer une grosse partie de son travail à des stagiaires ou des juniors en leur demandant de ne pas facturer leurs heures sous un motif fallacieux (oui, si facturation il y a, l’associé, que dis-je, le grand chef, voit que d’autres ont travaillé à notre place), facturer 30 heures de travail par jour sur différents dossiers pour montrer qu’on bosse, qu’on a plein de travail et qu’on ne peut donc accepter de nouveaux dossiers. Et ainsi va le vie de certains touristes professionnels.

Et le junior qui récupérait tout, c’était moi. Le con qui ne refusait jamais de travail. Celui qui ne sortait jamais avant 22h lors des jours les plus calmes. Mais bon, j’avais un objectif: apprendre tout ce que je pouvais, et plus vite que les autres branleurs collaborateurs. Et finalement, cela a payé: après 1 an de collaboration, une associée a été assez folle pour me confier un dossier à gérer seul. Un LBO, une de ces opérations tant décriées car si peu comprises par ceux qui les critiquent. Il s’agit d’une forme particulière d’acquisition, dont le montage juridique est relativement complexe. Et c’était à moi de le piloter. Du haut de ma petite année d’expérience. Et au final, j’ai eu des compliments de cette associée, réputée dure et intraitable. Mais elle préférait travailler avec un petit jeune qui était rigoureux et qui voulait apprendre même s’il ne comprenait pas tout, plutôt qu’avec des intermittents du droit attirés par les paillettes et l’argent.

Mais cela m’a coûté aussi: aucun temps libre, un certain éloignement avec ma famille et mes amis, mais surtout plus de sport. J’ai pris 20 kilos en 3 ans, avant d’essayer de reprendre tant bien que mal le sport. Après avoir atteint 95kg, je me suis dit qu’il était temps d’arrêter les conneries.

Le passage dans 2 autres cabinets d’avocats ont fini de me convaincre que, à de très rares exceptions (dont l’associée précitée), les associés ont une vie qui est loin d’être une vie rêvée pour moi. Même si les salaires sont démesurés, les sacrifices n’en valent pas la peine: je tiens plus que tout au monde à garder ma femme à mes côtés, à avoir du temps libre pour des activités personnelles et pour voir ma famille, à avoir des vraies vacances mais surtout ne pas avoir à me prostituer pour avoir des dossiers.

Il est d’ailleurs tellement amusant de voir mes anciens associés qui n’ont jamais répondu à mes vœux annuels qui m’ont soudain invité à déjeuner lorsque je suis devenu juriste en entreprise. Devenant un potentiel client, je redevenais un homme fréquentable, un homme bien et respectable. Je n’étais plus le traître qui a osé les quitter pour travailler dans un autre cabinet que le leur. Bref, autant vous dire que j’ai toujours décliné ce type d’invitation, on ne m’achète pas, même pas avec un repas!

Au final, le projet de mariage, l’envie de fonder une famille avec ma douce, sans oublier l’envie de reprendre le sport et surtout la compétition, m’ont poussé à changer de vie. Adieu les opérations à plusieurs milliards, les acquisitions à plusieurs centaines de millions d’euros, adieu les nuits blanches, adieu les vacances annulées, adieu les prises de tête avec des gens déséquilibrés. Bonjour l’entreprise, bonjour l’influence du monde politique dans les affaires, bonjour la défense de l’intérêt général, bonjour Sportez-vous, bonjour les desserts succulents de Pomereu, bonjour la vie « normale » avec des « petits » horaires de bureau classiques, les soirées sur la piste d’athlé ou à la piscine avant de rentrer dîner avec sa chère et tendre, de s’avachir dans le canapé avec le chat devant une connerie à la TV.


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