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«Crois-moi, je mens», de Nadine Richon

Par Jsbg @JSBGblog
NadineRichon_PhPache2014__6227 On s’intéresse à nous, notre cœur bercé par les vagues de l’Internet bondit au rythme des messages envoyés et reçus. Quand le virtuel prend corps dans notre cerveau, difficile de flairer l’arnaque. Dans Crois-moi, je mens, son premier roman, la journaliste suisse Nadine Richon décrypte ce phénomène en croisant le destin de quelques personnages amateurs de Facebook. « Depuis que j’ai écrit ce livre, des personnes prennent contact avec moi et me disent avoir été piégées par de fausses déclarations d’amour. Des hommes, en particulier, vont très loin, allant jusqu’à dévoiler leur anatomie à l’écran ; certains continuent des mois après à verser de l’argent en Afrique ou ailleurs pour empêcher ces images de filtrer dans leur vie réelle. L’un de ces hommes attend avec impatience sa retraite dans quelques semaines pour cesser d’alimenter une arnaqueuse qui menace de le dénoncer à son employeur », raconte la journaliste. Il est difficile de remonter la piste de ces escrocs du cœur tapis au fond des cybercafés. Pourtant, une plainte peut s’avérer utile car une collaboration existe entre policiers suisses et étrangers sur ce thème de la cyber-arnaque. Le site Prévention Suisse de la Criminalité énumère les différents types d’escroquerie sur internet – dont la « romance scam » – et donne des conseils avisés. Violette et Catherine, les deux femmes européennes piégées dans le roman précité, ne sont donc pas de pures fictions. Sans dévoiler la trame de ce récit qui avance à la manière d’un puzzle en train de se faire, avec des soupirs, des moments d’allégresse et des doutes existentiels, disons qu’il décrit avec précision le délire qui s’empare des âmes glacées croyant trouver leur bonheur au coin du feu virtuel. Ces personnes ne sont pas simplement naïves ou déconnectées du réel. Elles peuvent avoir des diplômes, un bon travail, une vision professionnelle et sociale claire, comme en témoigne la triste affaire qui s’est abattue en août 2014 sur le maire écologiste de Baden, piégé par une jeune femme rencontrée sur Facebook. Même s’il ne s’agissait pas à proprement parler d’une arnaque, le chantage exercé sur ce haut personnage s’appuie sur des selfies dénudés et des chats érotiques. Ténébreuse, l’affaire n’est pas terminée sur le plan juridique. Le maire a été pris dans une tourmente médiatique et politique hors du commun pour avoir accordé, même brièvement, sa confiance à une quasi-inconnue. Pourquoi des personnes intelligentes se laissent-elles aller à exposer leur intimité amoureuse et sexuelle après quelques messages échangés sur les réseaux ? Nadine Richon évoque la puissance de l’écrit et la volonté d’y croire: «Les mots d’amour martelés à l’écran viennent se loger comme une balle perdue dans le cerveau des gens. Certaines paroles rassurantes et répétées ont l’effet d’une drogue. On s’abreuve au message d’amour comme à une source dans le désert, même si un signal plus ou moins conscient nous alarme sur la qualité de l’eau. Le signal est là, mais on l’ignore jusqu’au dernier moment. Cet instant ultime peut varier en fonction des personnes. Certains joueurs cessent d’y croire dès que leur partenaire exprime une demande financière. D’autres s’acheminent le cœur anxieux vers des guichets de transfert d’argent ; l’imagination leur présente alors un amoureux en détresse qui un jour viendra les enlacer dans le monde réel», précise l’auteure. Nadine Richon va plus loin: on ne peut pas exclure, selon elle, que cette liaison dégradée par l’argent ne devienne pour certains une forme d’amour consentie : « Si on accepte le marché, on peut ainsi entretenir à distance une relation économico-amoureuse qui occupe la zone affective du cerveau trop longtemps abandonnée ». Son roman reste cependant un appel à la liberté. Il évoque avec une écriture soignée, aux accents hypnotiques, une situation délirante dont les victimes tentent de s’extirper pour rejoindre la terre ferme. La journaliste a pu entrer en contact avec deux arnaqueurs d’abord très méfiants puis enclins à lui raconter les arcanes de leur triste « métier ». La littérature puise ici dans les profondeurs du réel mondialisé. - Jeanne Arthur *** Richon Nadine, « Crois-moi, je mens », Bernard Campiche Editeur, 2014. Crois-moi,_je_mens_grand

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