Au Québec, les séparatistes prétendent que le premier ministre Philippe Couillard n’a pas la légitimité démocratique pour entreprendre les profondes transformations qu’il a entreprises pour assainir les dépenses publiques. Ils estiment cette légitimité sur la base des suffrages que son parti a obtenus à l’élection qui l’a porté au pouvoir par rapport au nombre d’électeurs inscrits sur les listes électorales. Et cela, même si son parti a remporté une forte majorité parlementaire et que le gouvernement sortant-de-charge du parti Québécois (PQ) a subi sa pire défaite depuis des décennies, venant même près de perdre le rôle de l’opposition officielle à l’Assemblée Nationale aux mains du parti Coalition Avenir Québec (CAQ). Ils prétendent que le PM ne peut agir comme il le fait car son parti n’a obtenu que 41,52% des voix alors que seulement 71,44% de l’électorat a voté. En réalité, ils calculent en multipliant les deux pourcentages pour affirmer que le PLQ n’a obtenu que 29,6% du nombre d’électeurs inscrits sur la liste électorale. Donc, pour eux, il n’a pas l’appui d’une majorité réelle de la population et, par conséquent, pas de légitimité pour entreprendre ses réformes importantes.
Si on accepte ce raisonnement, on doit reconnaître qu’aucun parti politique ou chef québécois du passé n’a eu la légitimité d’entreprendre de grandes réformes, car aucun n’a obtenu une telle majorité. Par exemple, en 1960, Jean Lesage a pris le pouvoir en ne remportant que 41,95% du nombre d’électeurs inscrits. Pour l’élection de 1962, celle de la nationalisation de l’électricité, il a obtenu 44,8%. Robert Bourassa en 1970 a obtenu 38,2% et 43,9% en 1973. René Lévesque à l'élection de 1976 a obtenu 35,27% et a organisé un référendum en 1980 sur la séparation du Québec de l’ensemble canadien. Puis il obtint 40,6% en 1981 pour faire « un bon gouvernement ». Toutes ces années passées sont celles de la « révolution tranquille » durant laquelle des politiques importantes ont changé profondément la société québécoise pour lui donner un nouveau départ.
Plus tard, Gérard Parizeau imposa un second référendum après avoir obtenu 36,5% en 1994. Quatre ans plus tard, Lucien Bouchard obtenait 33,5% et imposa des coupures budgétaires draconiennes suite auxquelles des milliers de fonctionnaires compétents furent mis à la retraite et de nombreuses villes, dont celles de l’île de Montréal, fusionnées. Jean Charest ne fit pas mieux avec 32,3% en 2003, 23,5% en 2007 et 24,16% en 2008. Quant à Pauline Marois, elle obtint 23,8% en 2012 pour former un gouvernement minoritaire et son ministre des finances s’apprêtait à couper dans les dépenses. Les bas-scores depuis 1994 s’expliquent par la présence de tiers partis qui sont appuyés par de bonnes franges de l’électorat et qui en fait divisent le vote.
Je souligne à nouveau, les pourcentages précédents sont toujours sur la base des électeurs inscrits sur la liste électorale
Tous ces chefs politiques avaient le droit de faire ce qu’ils ont fait et ils l’ont utilisé pour bien réorienter les politiques, économiques, sociales et culturelles du Québec. Ils ont agi avec responsabilité malgré de nombreuses et sévères critiques venant des milieux traditionnels, religieux et autres. Ils ont même perdu leurs élections par la suite.
De plus, on se rappellera que lors de la dernière élection, le sujet principal débattu a été la nécessité de réorganiser les dépenses gouvernementales pour protéger financièrement l’avenir du Québec. Le plus grand propagandiste de cette difficile politique fut le chef de la CAQ, François Legault. Sur toutes les tribunes, il a martelé sans cesse l’importance d’assainir les dépenses gouvernementales et de les réduire. Alors que les sondages le plaçaient très bas dans l’opinion publique en début de la campagne, il est revenu en force à la fin de celle-ci en obtenant 23,05% des suffrages et 22 députés alors que le gouvernement péquiste sortant-de-charge obtenait 25,38% des suffrages et 30 députés.
De son côté, le chef libéral Couillard développait longuement le même sujet dans ses discours. Avec moins d’ardeur que Legault, il est vrai, mais avec autant de conviction. Ils étaient, sur le sujet des finances, sur la même longueur d’ondes à quelques différences près.
Même si on cumule les suffrages en leur faveur, PLQ 41,52% et CAQ 23,05%, ils ne représentent que 46,12% du nombre d’électeurs inscrits. Encore là, le 50% n’est pas atteint.
Notre système politique est ainsi fait. Certains diront : la solution, c’est un système électoral comme en France avec deux tours de votation. Analysons la dernière élection présidentielle en France où Hollande a obtenu, au deuxième tour, 51,64% des suffrages. Ce résultat ne représente en fait que 41,49% des français ayant le droit de vote. Donc pas de telle majorité là non plus.
Tout ça démontre bien que l’on ne peut accuser un chef politique au pouvoir ou son parti de manquer de légitimité sur la base du nombre de suffrages qu’il a reçus. Si on le fait pour un, on doit le faire pour tous les autres. C’est ridicule et teinté de démagogie.
La légitimité est le fondement de notre vie sociale et politique. Un élu qui n’a pas un sens naturel de la justice, qui ne respecte pas les droits de chacun ou qui décide de façon partiale perd sa légitimité même s’il a été élu avec une majorité absolue.
Claude Dupras