Quelque part, cette journée du 11 janvier s’est résumé en une avalanche de superlatifs pour décrire une nouvelle page d’histoire. De cette marche silencieuse et recueillie est monté une clameur qui exprime sans ambiguïté un attachement à une foule de valeurs qui sont loin d’être universelles partout, au premier rang desquelles se trouvent la liberté d’expression, la liberté tout court, mais aussi le respect d’autrui, la solidarité, la tolérance, le recueillement… Le message est passé avec force, mais à y regarder de plus près, ce n’est pas aussi simple. Les bons sentiments, comme des bonnes résolutions de début d’année, ont une tendance régulière de s’étioler très rapidement.

En fait, on a beau clamer haut et fort qu’on se battra, qu’on est pugnace et solidaire, qu’on est peut-être atteint mais qu’on a pas peur, mais pour ma part, j’ai du mal. «Ohé ! partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme !» résonne en boucle dans ma tête, jour et nuit. Partout, depuis mercredi, dans la rue, le gens se parlent : «Ami, si tu tombes un ami sort de l’ombre à ta place». mais pour combien de temps ? Charlie est immortel, mais sans Charb et ses potes qui réservent à jamais leurs dessins aux nuages. Et qui seront les suivants ?
Depuis mercredi, je n’ai que des questions et assez peu de réponses. Pour l’heure, on entend déjà quelques-uns parler de cet outil de malheur qu’est internet, de la nécessité d’empiler de nouvelles lois, de démultiplier les moyens policiers et de surveillance. On vient à peine de défiler pour défendre la liberté qu’on veut déjà la restreindre… Sans parler que les lois existent déjà, et que, quelque soit l’arsenal déployé, on ne parviendra jamais à tout bloquer. Malheureusement.
Malgré l’ambiance générale dopée par la participation aux marches républicaines, mon inquiétude est renforcée par des attitudes captées un peu partout. Dans mon entourage, il y avait de l’indifférence à peine voilé, parfois appuyé de propos amers tels « ils l’ont un peu cherché ». J’ai entendu et lu bien plus grave aussi. J’ai mis tout cela sur le compte de la liberté d’expression. Mais cela froid dans le dos et ne me rassure pas vraiment sur la suite. On était nombreux à dire notre attachement à la liberté, à rendre hommages aux victimes, mais ailleurs, ils sont tout autant nombreux à se satisfaire de cet épisode. Dans un contexte ou l’individualisme est une nouvelle religion, qu’importe les valeurs solidaires, la liberté d’expression pourvu qu’elles ne gênent pas les affaires et l’empilement des profits. Ce n’est pas une vue de l’esprit, c’est une réalité. La aussi, il y a des fanatiques.
Et maintenant ? On va continuer. Le temps passe et atténue les peines. Et facilite aussi l’oubli, et c’est bien tout le problème. Mais promis, autant que possible, on va rester vigilant, tant qu’on pourra, tant qu’on vivra.
Salut Charlie.
