L'assassinat des journalistes de Charlie Hebdo est un acte odieux. J'espérais que les criminels qui ont commis ces actes seraient capturés vivants afin qu'ils puissent être jugés et condamnés. Cela n'a malheureusement pas été le cas, mais je salue l'efficacité des forces de l'ordre qui ont été contraintes de les abattre étant donné les circonstances.
Comme tout le monde, j'ai été choqué et révolté par le meurtre des journalistes de Charlie Hebdo. Néanmoins, je ne suis pas d'accord pour faire de ce journal le porte-drapeau de l'unité nationale, ou le soit-disant "grand défenseur de la liberté d'expression".
J'ai toujours défendu la liberté d'expression de Charlie Hebdo. En témoigne l'article que j'avais écrit en 2007 sur agoravox, et repris sur ce blog. J'y exprimais mon opinion selon laquelle des associations musulmanes avaient eu tort de faire un procès à Charlie Hebdo en invoquant le prétexte d'"incitation à la haine raciale". Mais dans ce même article, j'y contestais également à Charlie Hebdo le statut de "défenseur de la liberté d'expression", qu'il n'a jamais été. J'y rappelais certaines évidences, comme par exemple le fait que si vous êtes favorables à la liberté d'expression, c'est précisément parce que vous êtes favorables à la liberté d'expression des idées avec lesquelles vous êtes en désaccord, sans quoi vous n'êtes pas favorables à la liberté d'expression. J'y rappelais également la différence fondamentale entre le fait de défendre une idée, et le fait de défendre la liberté d'expression de cette même idée.Si ces notions ne sont pas parfaitement claires et évidentes pour vous, je vous invite à relire l'article que j'avais écrit en 2007, et en particulier à visionner la vidéo de Noam Chomsky (extraite du documentaire "Manufacturing Consent" de 1992) qui lui est associée. La compréhension de ces notions me parait être indispensable pour quiconque veut avoir un avis sur ce qu'est et ce qu'implique la défense de la liberté d'expression.
J'ai toujours été pour la liberté d'expression de Charlie Hebdo, même si je trouve que certaines de leurs idées sont profondément dangereuses et néfastes. Je considère comme très important le fait qu'ils puissent continuer à pouvoir les exprimer (je suis favorable à la liberté d'expression), mais je considère également qu'il est également très important qu'une majorité de mes concitoyens réalisent en quoi ces idées sont dangereuses et néfastes.
Depuis une douzaine d'années, Charlie Hebdo (et bien d'autres journaux) sont sur une ligne éditoriale qui tente plus ou moins subtilement de promouvoir l'idée de "l'inévitable choc des civilisations". Une idéologie qui permet de donner un semblant de légitimité à la politique intérieure et internationale criminelle menée par les escrocs qui nous gouvernent. Ce qui est navrant, c'est que les meurtres de la semaine dernière vont probablement contribuer à renforcer cette idéologie du "choc des civilisations", une idéologie que la ligne éditoriale de Charlie Hebdo (et de bien d'autres journaux) a elle-même contribué à importer et à imposer en France.
Olivier Cyran est un ancien journaliste de Charlie Hebdo. Il y a travaillé pendant près de 10 ans avant de quitter le journal en 2001. Il a écrit un article en décembre 2013 dans lequel il analyse la dérive éditoriale de son ancien journal au cours des 10-12 dernières années. C'est l'article le plus intéressant que j'ai lu au sujet de Charlie Hebdo, tous supports confondus :http://www.article11.info/?Charlie-Hebdo-pas-raciste-Si-vous
Je comprends très bien que des gens aient eu besoin de se retrouver pour partager leur peine, partager leurs craintes, et partager leur refus de l'intimidation face à la menace terroriste.Mais personnellement, j'ai refusé d'aller à la manifestation d'hier sous le mot d'ordre "je suis Charlie". Non, je ne suis ni Charlie, ni terroriste. J'y serais volontiers allé si le mot d'ordre avait été "pour le refus de l'idéologie du choc des civilisations".
Si demain des meurtriers débarquaient à un repas de famille chez les LePen et assassinaient le père, la fille et la petite fille, quelle serait votre réaction ? La mienne serait certainement exactement la même que celle que j'ai eue lorsque j'ai appris le meurtre des journalistes de Charlie Hebdo : je condamnerais cet acte horrible, et j'espèrerais que les criminels soient arrêtés et jugés. Mais je refuserais de participer à un défilé sous la bannière "Je suis LePen". Et je m'opposerais à l'idée de faire des LePen l'icone de la démocratie et de l'honnêteté en politique.
Aujourd'hui, la machine à broyer les esprits se met en route pour culpabiliser et réduire au silence ceux qui ont osé critiqué la ligne éditoriale nauséabonde de Charlie Hebdo, en les présentant comme les complices des assassins : http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/01/09/la-gauche-radicale-a-eu-tort-d-attaquer-la-pretendu-islamophobie-de-charlie_4552848_3232.htmlhttp://www.marianne.net/Charlie-Hebdo-des-combattants-de-la-laicite-cible-privilegiee-des-islamo-gauchistes_a243709.html
L'attentat tragique de la semaine dernière aurait pu nous faire réfléchir et avancer ensemble. Malheureusement il semblerait que ce soit l'inverse qui soit entrain de se produire : des raisonnements simplistes, binaires, à la Georges Bush : "soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes". Soit vous êtes Charlie (inconditionnellement), soit vous êtes des "islamo-gauchistes" complices des terroristes.
Ce matin j'ai discuté avec Jamila, la femme de ménage que j'emploie à domicile quelques heures par semaine. Jamila est algérienne. Elle est honnête, elle travaille et cotise en France depuis 20 ans. Ses enfants sont français. Je n'ai aucun doute sur le fait que l'éducation et les valeurs qu'elle leur enseigne sont parfaitement compatibles avec celle de la République. Elle ne fait pas de vagues, elle veut juste vivre en paix.Pourtant, elle m'a confié s'être faite agresser verbalement et menacer physiquement dans le métro parisien vendredi soir à cause du foular qu'elle porte sur la tête. Des crétins ont vu en elle la "pauvre conne de musulmane voilée", la "menace contre la République", telle qu'elle est invariablement dépeinte dans Charlie Hebdo à longueur d'années. Ils lui ont reproché d'avoir assassiné les journalistes de Charlie Hebdo, d'être une terroriste qui menace les valeurs de la France, et ont menacé de lui casser la gueule. Quelle folie !
Je concluerai avec un petit mot pour mes amis, qui sont nombreux à être allé manifester dimanche en déclarant "je suis Charlie". Certains d'entre vous, peut-être, pensent qu'il était important d'y être pour dire "non" à la barbarie et que j'aurais du en être. A ceux là et aux autres, je vous donne rendez-vous : la prochaine fois que notre gouvernement décidera, en notre nom, de déclencher ou de participer en à une guerre illégale au regard du droit international, usant des faux prétextes de promotion de la "démocratie" et "d'inévitable choc des civilisations", irons-nous manifester ensemble pour tenter d'empêcher celle folie ?Irons-nous battre le pavé ensemble, lorsque ceux qui prétendent agir en notre nom et dans notre intérêt installeront des fondamentalistes religieux en Libye (ou ailleurs), soutiendront des fondamentalistes religieux en Syrie (ou ailleurs), et des néo-nazis en Ukraine (ou ailleurs) ?