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Jan Decorte joue à Munich son deuxième spectacle de théâtre dansé: Much Dance

Publié le 13 janvier 2015 par Luc-Henri Roger @munichandco

Jan Decorte joue à Munich son deuxième spectacle de théâtre dansé: Much Dance

Photo Dany Willems

Comédien, metteur en scène de théâtre et d´opéra, écrivain et enseignant de théâtre, homme politique encore, Jan Decorte est depuis plus de trente années une importante figure du théâtre flamand belge. Après Tanzung, il revient à Munich à l´invitation du Kammerspiele avec un spectacle de théâtre dansé, Much Dance, composé pour quatre acteurs, Jan Decorte lui-même et sa femme et inspiratrice Sigrid Vinks, et deux comédiens, Benny Claessens et Risto Kübar.
La danse joue un rôle important dans le théâtre de Decorte, et dans Much Dance, le titre y insiste, elle joue un rôle majeur. Dans un décor formé de trois sculptures de bois hérissées porteuses de miroirs convexes qui réfléchissent la scène, les acteurs et le public comme dans Les époux Arnolfini, le tableau célèbre d´un autre grand Flamand connu (en néerlandais "Bekende vlaming"), Jan Van Eyck. Dans ce tableau comme dans la pièce de Decorte, il est question d´amour et bientôt de sexe: les noces viennent d´avoir lieu, et les époux Arnolfini se tiennent dans la chambre nuptiale et prennent congé de leurs invités, qui sont en train de se retirer. Le spectateur qui regarde le tableau n´apercoit d´abord pas les invités, il ne les voit que s´il observe le miroir convexe qui les réfléchit et les montre en train de quitter la pièce. Les spectateurs du XXIème siècle sont moins discrets que les noceurs de Van Eyck, ils ne se retirent pas et restent assis, comme d´ailleurs Jan Decorte qui reste assis sur un escabeau à gauche de la scène pendant la majeure partie du spectacle, comme un metteur en scène qui se mettrait en scène pour contempler sa propre représentation. Il est beaucoup question du regard dans cette oeuvre, de prendre le temps pour regarder, pour contempler ce qui se donne à voir et puis peut-être, au-delà du voyeurisme auquel on est conviés, de prendre le temps de se laisser déranger par le spectacle, le temps de l´introspection.  L´activité auto-contemplative de Jan Decorte qui reste assis et s´imprègne de son oeuvre invite, au-delà du narcissisme du créateur, à l´auto-analyse du spectateur.
Dans Much Dance, il est beaucoup question d´amour et de pesanteur. D´emblée, les corps se donnent à voir. Les deux acteurs plus jeunes ne portent qu´une jupe-kilt de jute. Leurs corps sont antagonistes: l´un, maigre et élancé, le visage noyé de cheveux et de barbe, joue les introvertis torturés, l´autre, rubénien, étale ses chairs roses et laisse à chaque instant fleurir les émotions qui l´animent, avec un regard candide et parfois timide. La femme porte une simple robe bleue. Ces trois corps vont se livrer avec légèreté et ironie à d´enfantines chorégraphies sur des musiques d´hier et d´aujourd´hui. Il ne s´agit pas d´un travail de ballet, mais de danses qui viennent de l´intérieur des êtres comme pour les alléger. C´est que l´existence est souvent pesante et que les corps, déjà porteurs de leur propre poids, sont envahis de lourdes émotions, dont l´amour n´est pas la moindre, qui accentuent la pesanteur au point de faire chuter les corps et peut-être de les faire succomber.  Risto Kübar récite en anglais les poésies sur l´amour que Decorte a composées, et qui commencent toutes par le mot Love. L´intensité de l´émotion submerge à chaque fois le récitant qui n´en peut supporter le poids émotionnel et s´écroule sur le sol, comme en catalepsie. poids des mots et des émotions. Poids des corps, comme celui de Benny Claessens qui porte timidement une obésité à la fois glorieuse, à laquelle, par la danse et des minauderies de pucelle, il donne une légèreté ironique, avec un jeu théâtral magistral. Poids de l´amour ou de la relation: la femme joue les écuyères de cirque sur le corps de son énorme compagnon de scène à quatre pattes, à un autre moment, les corps des acteurs se superposent et s´abandonnent, ou encore des simulacres de sexe et de naissance lorsque  le corps de Sigrid couchée sur le dos et les jambes ouvertes reçoit au vagin les coups de butoir de la tête de Benny lui aussi couché sur le sol. On est toujours au moins dans le second degré, la gravité du poids des corps et des relations se voit un peu soulagée par le sourire ironique de la danse, une danse qui fait penser à celle que chacun pratique chez soi , dans l´intimité, pour se défouler.
Decorte, dans son immobilité, reste le maitre du jeu. Il n´intervient que rarement, pour serrer très fort le corps anéanti de son récitant et le ressusciter, ou pour mourir, succombant à son propre spectacle, et trainé au travers de la scène par sa femme. L´amour triomphe ici aussi de la mort, pour le temps qui est donné, tout au moins.
Un spectacle aux abstractions ésotériques, qui mérite qu´on s´en laisse imprégner.
A la Spielhalle du Kammerspiele  les 14, 17 et 19 janvier 2015 à  20 H Téléphone 089/ 233 966 00

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