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L’union sacrée… jusqu’à quand ?

Publié le 16 janvier 2015 par Délis

On fait souvent parler les chiffres. Mais parfois, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Quatre millions de Français – chiffre record depuis la Libération – dans les rues bravant la menace terroriste. 21 millions de téléspectateurs – inédit – regardant l’allocution télévisée de François Hollande vendredi 9 janvier. 87% fiers d’être français à la suite des manifestations en réponse au terrorisme.

Mais il arrive aussi que les chiffrent ne suffisent pas. Aussi, derrière l’euphorie médiatique, l’ébullition sur les réseaux sociaux et les marées humaines dans les rues, quelle est la réalité de l’opinion dans ses profondeurs ?

LE TEMPS DU SURSAUT

Les experts de la sécurité se sont longtemps interrogés sur la capacité de résilience de la société française. Les « chocs » les plus récents tendaient à démontrer que les Français étaient peu enclins à les encaisser afin de les surmonter. La mort de soldats en Afghanistan était à peine annoncée que l’on songeait à rapatrier les troupes dans leurs casernes. La compassion a souvent pris le pas sur la résolution.

L’ampleur et la spontanéité des réactions des Français au terrorisme démontrent, au contraire, la vitalité de leur esprit de résistance. Les premiers sondages réalisés à la suite du premier attentat à Charlie Hebdo démontrent que le sentiment qui prévalait avant tout était la colère (61%), devant la peine (49%). La peur n’était citée que par 19%. S’il est de coutume de considérer la colère mauvaise conseillère, il est notable d’y percevoir la combativité des Français, au-delà de la naturelle compassion à l’égard des victimes.

Enfin, autre indice de la résilience de l’opinion : les Français auraient pu considérer que l’intervention en Irak, les bombardements ciblés contre Daech, était la cause des malheurs survenus en France. Bien au contraire, aux lendemains des attentats, cette opération militaire est plus soutenue que jamais (69% d’adhésion, +5 points depuis octobre).

DES CLIVAGES TRADITIONNELS PROVISOIREMENT GOMMES 

Charlie Hebdo n’a pas toujours rassemblé. En 2012, les Français étaient extrêmement divisés (51 % favorables contre 47% défavorables) sur la publication des caricatures de Mahomet. Le contexte d’alors était explosif dans le monde musulman, le film « L’innocence des musulmans » montrant des images du Prophète propageait alors la colère dans certains pays et des représailles contre les ambassades occidentales.

Mais en ce mois de janvier 2015, Charlie Hebdo a uni les Français comme jamais : 97% estime l’unité du pays nécessaire. Au-delà de tous les clivages, aussi profonds soient-ils. Et c’est ainsi que 63% souhaitait que le FN soit invité à la marche républicaine. François Hollande, Président le plus impopulaire sous la Vème République, voit pourtant son attitude lors de ces événements saluée par 85% des Français – dont 77% des sympathisants de droite.

COMMENT CONCILIER LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME ISLAMISTE…

Depuis quinze ans, les Français placent l’islamisme radical au premier rang des menaces qui les visent. La décapitation d’Hervé Gourdel représente l’événement qui a le plus marqué l’opinion en 2014. Ceci explique pourquoi aujourd’hui les Français soutiennent bien davantage les interventions militaires au Mali ou en Irak (69%), où l’ennemi islamiste est clairement identifié, que celle en Centrafrique (48% de soutien) par exemple. Cela explique aussi pourquoi le projet d’intervention en Syrie en 2012 avait fait l’objet de débats aussi âpres : Bachar El-Assad – et non les islamistes – était alors la cible des possibles frappes. Seuls 32% des Français se rangeaient alors derrière l’avis de frapper le leader Baas, aussi sanguinaire soit-il.

...EN EVITANT D’AMALGAMER LES MUSULMANS ?

Le développement du terrorisme islamiste a largement contribué à dégrader l’image de l’islam auprès des Français. La rupture essentielle s’est produite le 11 septembre 2001. Prolongée par les attentats de Madrid puis de Londres. La bienveillance à l’égard de la religion musulmane prévalait auparavant. Que ce soit sur le voile islamique dans les lieux publics ou sur l’édification de mosquées, l’opinion a commencé à se raidir au cours des années 2000. Et s’est insinué dans une frange de l’opinion le sentiment que l’islam comporterait en son sein une dimension « fanatique » (57% associe l’islam à ce qualificatif). Evidemment, le terrorisme n’est pas l’unique responsable de la dégradation de l’image de l’islam, puisque la radicalisation des esprits s’est accélérée depuis 2008, en pleine crise économique, aux relents de plus en plus identitaires.

Même si l’islam est moins bien toléré, une nette majorité de Français (66%) déclare ne pas faire l’amalgame entre musulmans et islamistes radicaux. Cela étant, une minorité significative (29%) juge au contraire que cette religion représente une menace : sans surprise, c’est au sein de l’électorat Front National que cette perception est la plus répandue (à 66%).

LES BRECHES DANS LE MUR REPUBLICAIN

Les sondages demeurent cependant insuffisants : l’opinion ne se lit comme dans un livre. La célébration de l’unanimisme face au terrorisme est ainsi ébranlée sur deux fronts.

Le premier est le courant « #jenesuispascharlie ». Les témoignages d’adolescents, offusqués que le Prophète ait été « blasphémé », et refusant de faire la minute de silence, ébranle le mythe de l’union sacrée derrière Charlie Hebdo. Est mise en pleine lumière ce que Marcel Gauchet nomme un « séparatisme identitaire » : les enseignants sont confrontés à des élèves répondant à une autre échelle de valeurs que celle de la République. La machine médiatique s’est emballée en sacralisant la liberté d’expression, mais une part de la population française estime le Prophète plus sacré que les libertés républicaines. Si le Conseil français du culte musulman s’efforce d’apaiser le ressentiment de nombreux musulmans, les appelant au calme après la publication des nouvelles caricatures dans l’hebdomadaire le mercredi suivant les attentats, d’autres personnalités éminentes de l’Islam, tel de grand mufti d’Egypte, ou des leaders politiques musulmans, tel le Président Erdogan, condamnent les nouvelles représentations de Mahomet dans Charlie Hebdo. Leurs voix portent. Les théories du complot prolifèrent ces jours-ci sur les réseaux sociaux, certains jeunes échafaudant des scenarii documentés, tendant à montrer que les attentats auraient été imaginés pour nuire à l’image de l’islam.

Le second front antirépublicain est celui de la haine à l’encontre de la religion musulmane. Un flot considérable de commentaires racistes, souvent haineux, a été déversé par des fanatiques d’extrême droite sur Internet. Cette violence n’est pas que virtuelle. Selon l’Observatoire contre l’islamophobie, les actes islamophobes commis depuis les attentats ont atteint un niveau « jamais vu », rendant nécessaire la protection des mosquées, au même titre que les synagogues.

La majorité silencieuse s’est, pour une fois, exprimée plus fort que jamais pour faire bloc, avec la République pour étendard. Face à elle, des franges minoritaires, rejetant la cohésion nationale, attisent par tous les moyens les haines et les divisions. Par leur activisme, ce sont ces minorités qui pourraient, demain, faire de l’union sacrée une simple fiction.

Article publié dans l’express.fr


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