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Malek Chebel, philosophe : « Allah ne demande à personne de tuer en son nom »

Publié le 19 janvier 2015 par Blanchemanche
#islamdeslumières
Le philosophe et anthropologue des religions, l'algérien Malek Chebel milite depuis longtemps pour « un islam des lumières » , à mille lieues des interprétations extrémistes qui ont conduit aux attentats contre Charlie Hebdo et l'Hyper Casher de Vincennes. Tout en faisant la promotion d'un islam tolérant, ouvert et non violent, l'intellectuel met en garde contre les conséquences engendrées par les caricatures de Mahomet.Malek Chebel, philosophe : « Allah ne demande à personne de tuer en son nom »Que disent exactement les textes sur la représentation du prophète ?Elle n'est pas explicitement interdite. C'est l'usage des anciens qui a voulu que cela devienne interdit, par crainte de voir le prophète devenir une divinité païenne. Mais rien n'interdit formellement la représentation.Pour vous, il faut donc faire preuve de prudence par rapport à ce point précis de la représentation de Mahomet ?Il faut être très prudent parce ça touche à l'émotionnel. On n'est pas dans la raison. Pour moi, c'est de la nitroglycérine. Si on veut provoquer, la réponse est là, immédiate. Je voudrais lancer une alerte : ne jouons pas avec ces notions-là! Si on veut lancer une guerre sainte, cela ne peut que l'attiser.Vous vous élevez contre l'irruption de l'islam dans le champ du politique. Quelles en sont, selon vous, les conséquences ?Les attentats de la semaine dernière sont l'aboutissement de trente années d'idéologies, trente années d'interpénétration de la politique et de la religion. Ce cordon ombilical doit être coupé rapidement. Il y a eu une longue période d'errements : les musulmans ne savaient plus quoi penser, se contentaient d'une pensée politique à la petite semaine, sans perspective, sans horizon, sans dialogue, sans écoute. Mais cette période a pris fin la semaine dernière.Vous y voyez une conséquence directe des attentats de la semaine dernière ?En effet, les attentats ont entraîné une prise de conscience. Ces drames ont permis de mettre en lumière les inconséquences de ces organisations pseudomusulmanes, qui tirent chacune de leur côté et agissent contre l'islam. Nous sommes aujourd'hui entrés dans une phase de restructuration.Mais comment faire pour récupérer les jeunes fascinés par l'imagerie djihadiste ?C'est complexe, les jeunes... Ils sont en phase de construction, de maturation, d'identification et certains font cause commune avec les causes perdues. Il faut donc multiplier les approches. D'abord, il faut les sécuriser sur le fait qu'ils sont des Français comme les autres. Il faut ensuite couper le cordon ombilical avec les pays pourvoyeurs de mort et d'idéologie. Peut-être faut-il également envisager un plan Marshall, c'est-à-dire des financements exceptionnels, pour tâcher de récupérer quelques-uns d'entre eux. Il faut aussi instituer cette nouvelle organisation de l'islam de France, que j'appelle de mes voeux. Parce qu'elle sera démocratique et représentative, cette organisation pourra acquérir une puissance symbolique qui permettra de cantonner une partie de ces jeunes, qui ne savent plus se repérer. Il faut enfin mettre le paquet sur l'éducation, rendre les familles plus responsables et faire revenir les éducateurs qu'on a chassés du terrain.Il faut donc selon vous avoir un « imam de France » , ou en tout cas une autorité religieuse référente pour les pratiquants français ?C'est moi qui ai appelé à cette évolution. En l'adoptant, on aurait à la fois une transparence au niveau de la prise de décision dans la communauté musulmane et une légitimité de la personnalité qui serait élue. Cela permettrait de contrecarrer les imams à la petite semaine et les idéologues qui manipulent tout le monde, notamment les jeunes, sans avoir ni l'autorité ni la culture nécessaire. C'est indispensable pour avancer.Mais comment le Conseil français du culte musulman a-t-il pu laisser prospérer ces imams ?C'est arrivé parce qu'il n'avait pas la capacité de fédérer l'ensemble des mosquées, ni celle de parler d'une voix simple, claire, audible et autorisée. Il faut que nous ayons dans les mosquées des gens avec une culture, une formation, une légitimité dans la parole. Il faut également une indépendance des mosquées par rapport à leur pays d'origine.Ce serait là une des façons de réduire la fracture entre l'islam et la République ?Ce serait une façon d'agir au niveau de l'islam en interne mais aussi une façon d'agir sur ses relations avec la nation française. Ce serait forcément positif : si vous êtes élu par les cinq millions de musulmans de France, vous êtes forcément légitime puisque vous êtes l'incarnation de la démocratie.Vous avez traduit le Coran et êtes donc un spécialiste des textes de l'islam. Que vous inspire le détournement de la notion de djihad ?Cela fait 30 ans que nous nous battons pour dire que le djihad est une notion de paix, de dépassement de soi et qu'il ne s'agit pas de faire la guerre à son voisin. C'est un détournement fâcheux. Ce sens guerrier était valable au temps de la guerre sainte, c'est-à-dire au premier siècle de l'islam, lorsque le prophète et ses guerriers voulaient islamiser un monde qu'ils estimaient païen. Depuis, ce mot a beaucoup muté et, aujourd'hui, ce djihad n'existe pas.Vous dites que tuer ou mourir au nom de l'islam, c'est nier l'islam. Qu'entendez-vous par là ?L'islam est une religion de paix. Allah ne demande à personne de tuer en son nom. De la même manière, mourir en son nom est une négation de l'islam dans la mesure où Allah n'a pas besoin de martyrs.Que vous ont inspiré les propos tenus par François Hollande jeudi ?Ce sont des propos de chef d'État, qui veut être rassembleur et qui donne des signes au monde arabe à travers l'exigence de la responsabilité réciproque. Il y a là une volonté de calmer le jeu, de donner des signaux forts aux pays arabes en rappelant que la France n'est pas leur ennemie. Mais je constate également, et je le comprends, que c'est une façon pour le président de rappeler que la France ne peut pas non plus faire l'impasse d'une politique de sécurité adaptée aux attaques qu'elle a subies.II a également eu des mots réconfortants pour la communauté musulmane...C'était très important. Je fais d'ailleurs partie de ceux qui appellent à cette reconnaissance de la communauté musulmane de France depuis des années. J'ai toujours milité pour cela et j'ai entendu une réponse tout à fait claire du président de la République.
À lire : L'inconscient de l'islam, éditions CNRS, 124 pages, 15, 90 euros. Dictionnaire amoureux de l'islam, éditions Plon, 720 pages, 25,50 euros.
Propos recueillis par Samuel RIBOT (ALP)http://www.guadeloupe.franceantilles.fr/actualite/societe/malek-chebel-philosophe-allah-ne-demande-a-personne-de-tuer-en-son-nom-304275.php

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