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Hannah Arendt: un film sur la controverse du procès d’Adolf Eichmann

Publié le 26 janvier 2015 par Jessica Staffe @danmabullecultu

Hannah Arendt est un biopic d’une réalisatrice allemande nommée Margarethe Von Trotta. Il s’intéresse essentiellement au traitement du procès d’Eichmann par Hannah Arendt l’une des intellectuelles les plus importantes et influentes du XXème siècle. Il la représente comme une femme libre et indépendante. Elle fume et assume pleinement ses choix quitte à choquer  ses amis. Cette création illustre un débat philosophique. Elle révèle l’entourage d’Hannah Arendt. Elle prouve qu’une grande partie de ses proches ont fui également le nazisme en Europe. Un certain nombre d’entre eux ont suivi les cours du philosophe Heidegger comme Hannah Arendt. Amoureuse de son mentor, elle l’a ensuite rejeté lorsqu’elle a appris son appartenance au parti national socialiste.

C’est en lisant le New York Times qu’elle apprend l’arrestation d’Adolf Eichmann en Argentine et qu’il sera jugé par une juridiction de Jérusalem. C’est grâce à une vidéo d’archives composée d’un discours de Ben Gourion qu’elle partage la nouvelle avec ses amis. Dans ce témoignage, on se rend compte que le procès sera vécu comme une grande messe nationale.

Qui mieux qu‘Hannah Arendt pouvait rendre compte du procès D’Eichmann ?

 

Le procès D’Eichmann : le combat d’Hannah Arendt

Pour prendre part à cet événement historique, elle rédige une lettre ) destination du  rédacteur du New Yorker pour qu’il accepte de l’envoyer sur place. Motivée, elle y exprime son devoir «Vous comprendrez, je pense, pourquoi je dois couvrir ce procès : je n’ai pu assister au procès de Nuremberg, je n’ai jamais vu ces gens-là en chair et en os, et c’est probablement ma dernière chance de le faire. » Cet engagement est viscéral et sincère, elle se doit d’être présente, elle en fait une affaire personnelle. Malgré les réticences de certains de ses collaborateurs, elle réussit à le convaincre.

Ce procès a une très grande résonnance pour elle. D’origine juive et de nationalité allemande, elle est partisane du sionisme et très grande connaisseuse des totalitarismes qu’elle a étudié en profondeur. Son érudition lui permet de faire preuve d’un certain recul tout en étant pleinement dans l’action. Ce voyage à Jérusalem représente aussi un moyen pour elle de se réconcilier avec elle-même. Ainsi à sa manière, elle participe à la création de la mémoire juive et joue un rôle important dans cette communauté. Très longtemps, elle s’est sentie coupable de n’avoir vécu que de loin le traumatisme de la Shoah. Partie d’Allemagne en 1933 et définitivement d‘Europe en 1940, elle a émigré aux Etats-Unis où elle a pu mener sa carrière de professeur et se consacrer à ses recherches scientifiques afin de produire une œuvre monumentale qui reste encore aujourd’hui une référence pour les historiens. Elle arrive à Jérusalem la veille du début du procès et se sent comme investie d’une mission. Pour elle rendre justice est un bien nécessaire et indique son engagement. Selon elle même Eichmann mérite d’être jugé de manière équitable.

Ce procès s’apparente à un moyen de comprendre les motivations d’une telle entreprise de destruction et ainsi montrer qu’il est possible de condamner les responsables d’un tel massacre. Certains pensent au contraire qu’il aurait fallu élimer Eichmann dès son arrestation. Dès son annonce, cet événement clive la société juive pas seulement en Israël mais partout dans le monde et révèle que quinze ans après la fin de la seconde guerre mondiale il est encore difficile d’aborder la Shoah ou l’Holocauste et de juger des criminels de guerre sans être partial et sans considérer qu’ils sont simplement des monstres inhumains sanguinaires ne faisant du coup pas partie de l’humanité. Hannah Arendt a voulu sortir de ce lieu commun et ainsi se confronter aux racines du mal.

Entre Histoire et fiction

Le procès d’Eichmann s’est déroulé du 11 avril 1961 au 11 décembre 1961 mais Hannah Arendt ne l’a suivi que du 11 avril au 7 mai 1961. Elle n’est restée que trois semaines. Cette réalité historique est gommée dans  ce biopic. En le visionnant on a vraiment l’impression qu’elle a couvert l’entièrement de ce procès. Sur ce point, le film n’est pas très fidèle et manque d’exactitude en donnant une image tronquée de la réalité. Les dates des auditions ou des différents témoignages ne sont jamais indiquées. Ces archives n’ont pas de vocation purement historique vu que nous sommes dans une fiction mais installe une dimension dramatique et nous apporte l’impression d’être un spectateur du procès. Ce décalage inhérent entre fiction et histoire apparaît d’une manière récurrente tout au long du film. Cette production s’apparente à une histoire-fiction. Il a des vertus pédagogiques mais n’est pas pensé comme un film documentaire. Il est donc parfois difficile de s’y retrouver.

On suit le déroulement du procès grâce aux images d’archives qui ne sont pas non plus datés pour des documents authentiques et historiques c’est un peu dommage. Margarethe Von Trotta n’a pas souhaitée faire un film historique mais en s’attaquant à un tel sujet, il est important de remettre chaque élément dans son contexte pour suivre le fil des évènements. On ne sais jamais vraiment à quelle période nous sommes c’est surtout gênant au début. Pour comprendre que la première séquence retranscrit l’arrestation d’Eichmann, il faut attendre quelques temps après lorsqu’Hannah Arendt apprend son arrestation. On le devine mais ce trouble déstabilise un peu. Pour cette intellectuelle, ce procès transforme à jamais l’idée qu’elle se fait du mal et se l’approprie d’une manière intense. Lorsqu’elle apprend qu’elle part couvrir le procès d’Eichmann, dans le film est professeur à la New School ce qui est faux. En 1961, elle officiait certes à New York mais plutôt à l’Université de Columbia ou au Brooklyn Collège. C’est un détail qui peut avoir son importance. Elle a commencé à donner des cours à  la New School en 1967 donc quatre ans après la publication de ses articles et de son livre Eichmann à Jérusalem.

Ces élèves se montraient d’ailleurs très réceptifs à sa thèse de la banalité du mal et étaient finalement les seules à entendre sa vision sans la juger ni l’incriminer. Plusieurs séquences du film illustrent cette dichotomie entre l’attitude de l’entourage d’Hannah Arendt et de la société qui n’étaient pas préparer à assimiler ses idées et ses élèves qui eux correspondaient à la nouvelle génération. Sans ses étudiants, elle aurait sûrement perdu sa motivation vu que tout le reste du monde semblait contre elle. Ce film met en fait en scène la controverse qu’a suscitée le procès Eichmann et le livre d’Hannah Arendt qui s’en est inspiré. Il démontre que cette penseuse politique avait le souci de la contradiction et appréciait le débat. Quitte à se faire des ennemis même dans son propre camp, elle a toujours su aller jusqu’au bout de ses idées. A cause de ses convictions, elle s’est fâchée avec Karl Jaspers, Hans Jonas et Kurt Blumenfeld qui faisaient partis de son cercle proche. Elle les considérait un peu comme des membres de sa famille.

Le discours du procureur général Gideon Hausner : archives historiques

Le discours du procureur général Gideon Hausner a ouvert le procès Eichmann. Dans cette diatribe, il affirme que ce procès est celui des victimes contre les bourreaux. Sans être une vengeance, il demeure une preuve que le peuple juif souhaite être maître de son destin. Vibrant, il expose toute les souffrances et les violences qu’ont vécu les juifs lors de l’Holocauste. Il s’empare de cet événement pour créer une unité du peuple juif. Porté par un ton dramatique, il exprime toute sa tristesse et parle au nom des victimes mortes dans les camps de concentration. Les «sans voix» ont désormais une voix. Il devient leur porte-parole. Conscient de la portée de ses mots, il en vient à citer le J’accuse de Zola.

Comme le montre le début de son discours, ce procès est rentré dans la mémoire du peuple juif. Cet événement représente un acte fondateur pour que les générations n’ayant pas connu la Shoah comprennent l’ampleur de ce massacre et s’empare de cette mémoire pour construire l’avenir de leur pays. Ce discours très bien formulé est touchant et participe à la théâtralisation du procès. Sa tonalité à la fois pathétique et tragique a pour fonction de toucher les juges mais aussi l’opinion publique divisée face au jugement d’Eichmann. Le monde pendant ses huit mois a eu les yeux braqués sur Jérusalem. Organiser le procès D’Eichmann en Israël est pour le gouvernement Ben Gourion un moyen d’assurer son avenir en jugeant un criminel qui a joué un rôle central dans l’extermination des juifs. Cette justice internationale porte un regard sur le passé des juifs pour permettre aux survivants de se libérer du poids de la culpabilité et ainsi d’avoir la possibilité de se tourner vers l’avenir. Ben Gourion a considéré ce procès comme « le Nuremberg du peuple juif».

  • Ouverture du discours de Gideon Hausner

« Juges d’Israël, à l’heure où je me lève devant vous pour introduire l’acte d’accusation, je ne suis pas seul. A mes côtés, en cette heure, en ce lieu, se lèvent 6 millions d’accusateurs. Mais ils ne sauraient se dresser sur leurs pieds, ni montrer d’un doigt vengeur l’homme assis dans sa cellule de verre, ils ne sauraient crier « J’accuse. » Car leurs cendres furent entassées dans les collines d’Auschwitz, dispersées dans les champs de Treblinka, emportées par les rivières de Pologne ; leurs tombes sont éparpillées le long des chemins de l’Europe. Leur sang crie, mais on ne peut entendre leur voix. Je prendrai donc la parole en leur nom et j’ouvrirai la plus inouïe des accusations. »

  • Citation du film

« Assis comme un spectre, pas féroce, être médiocre, pas effrayant » Hannah Arendt

Il utilise aussi du jargon administratif.

« le sang est un jus tout à fait singulier »

Hannah Arendt voit comme un animal féroce dans une cage en verre (les témoins sont protégés de leurs bourreaux)

« C’est justifié mais injuste une peine n’est qu’une apparence de justice » Heinrich Blümer mari d’Hannah Arendt à propos du procès d’Eichmann

«Il aurait été plus judicieux de ne pas de le condamner à mort » Hannah Arendt par rapport à la peine infligée à Adolf Eichmann

Le mal a avoir avec le fait de rendre les gens inutiles

Ils sont beaucoup à être comme lui c’est un individu atrocement normal » Hannah Arendt

« ma loyauté est de mon honneur » Eichmann

« Les ordres du Fürher représentait une loi pour lui » Hannah Arendt Eichmann se considérait comme un serviteur dévoué. Il a plaidé non coupable. Le mal est toujours extrême mais pas radical

« la peine n’est jamais à la mesure du crime commis » Hannah Arendt

« il est juste dans l’incapacité de penser » Hannah Arendt

«  Nous pensons pace que nous sommes des êtres pensants » Martin Heidegger

« vas en enfer sale pute » insulte reçue par Hannah Arendt lors de la publication de ses articles dans le New Yorker et de son livre.

Elle qui s’est battue toute sa vie contre les totalitarismes et a été fortement atteinte par la critique. Certains lui reprochent de faire le jeu des nazis et beaucoup l’ont même taxé d’antisémite. Elle a aussi reçu des menaces de mort.

Barbara Sukowa incarne fidèlement Hannah Arendt et nous plonge dans cette page d’Histoire qui fait encore débat aujourd’hui.

Jessica Staffe



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