Peu de pionniers du blues ont autant fasciné que Robert Johnson. Il est vrai que le bonhomme a tout fait pour que la légende s’empare de son cas. Tiré à 4 épingles, tendu sur le fil du rasoir, il a brûlé sa vie. La musique, le diable, les femmes et l’alcool l’ont rongé en moins de temps que le crabe. J’écrivais dernièrement une notule sur un livre de BD magnifique dont il est le sujet et cherchant de la documentation iconographique, j’avais fait chou blanc. Les seules photos de lui sont rares et largement connues, sauf peut-être celle-ci.
Le légendaire Robert Johnson et le blues-man Johnny Shines
Du coup, dans ces cas-là, il n’est pas étonnant de trouver des représentations d’artistes. J’avais évidemment pensé à un autre Robert, Crumb, qui avait publié un bouquin recueillant tous les portraits de musiciens de blues, de jazz et de country qu’il avait réalisés pour des « trading cards », supports publicitaires que les collectionneurs se disputaient. Robert Crumb les avaient dessinés pour Yazoo Records puis pour Shanachie Records. La série « Heroes of the blues », qui proposait 36 portraits, ne comprenait pourtant pas celui de Robert Johnson.
Le livre de recueil, non plus. Comment Crumb a-t-il pu faire l’impasse sur cet exceptionnel joueur de blues ? Pourquoi donc ne l’a-t-il pas inclus dans le jeu des trading cards ? Cela parait inconcevable. L’explication est peut-être dans la façon dont Crumb réalisait ses crobards. Il utilisait des feuilles Pantone pour la mise en couleurs ce qui nécessitait des découpages longs et fastidieux pour un résultat relativement modeste même si on reconnait aussitôt la formidable « patte » de Crumb. Non, Robert Johnson méritait mieux. De l’acrylique peut-être comme il le fit pour les joueurs de jazz. Mais Robert Johnson n’en était pas un. Il eut toutefois l’hommage – et quel hommage - du maître en 1966 avec ce splendide portrait, le seul encadré et le seul titré, en l’occurrence « Hell Hound On My Trail ».
Je crus toutefois le reconnaître sur un autre dessin qui me semblait bien être également un Robert Crumb. La signature en bas me détrompât aussitôt, il s’agissait bien d’un merveilleux portrait de Robert Johnson, mais par un autre grand talent des comics américains, William Stout, qui se laissa aller également à portraitiser des bluesmen dans son livre « Legends of the Blues » chez Abrams.
Un livre qui, d’ailleurs, quoiqu’en disent les fans de Stout, rend également hommage à Crumb. En utilisant l'économie stylistique de Crumb et en continuant de dresser le portrait d’artistes "oubliés » par Crumb ou d’une génération postérieure (Billie Holiday, B. B. King, Bessie Smith…). Stout clôt en quelque sorte l’immense « Hall of fame » du blues initié par le père de Fritz le chat.
Mais revenons-en à Robert Johnson, et plus particulièrement à sa prétendue rencontre avec le diable. Michael O’Brien (non pas l’écrivain canadien mais le graphiste anglais) nous en donne une version très belle dans un court-métrage graphique particulièrement original.
Une autre vision de cette rencontre improbable est celle de Nicola Verlato. Il s’agit d’un artiste hyperréaliste italien vivant aux Etats-Unis et le moins qu’on puisse dire est qu’il est particulièrement inspiré par Robert Johnson.
Ne pas laisser son jugement entraîné par l’exaltation de l’artiste ; en réalisant également un portrait d’après l’une des rares photos du musicien - ainsi d’ailleurs qu’un buste - il prouve qu’il peut mettre parfois de la mesure à son art.
Mais venons-en à celui qui a sans doute le plus œuvré pour perpétuer la gloire de Johnson. J’avais déjà expliqué par le passé la multitude des domaines auxquels les mangas japonais se consacrent. La musique en fait bien évidemment partie. Et Robert Johnson y tient une place de choix grâce à Akira Hiramoto qui lui consacre une série.
Quatre tomes ont déjà paru sous le titre « Me and the Devil Blues ». Encore le diable… Akira romance la vie de Johnson dans une vision non dénuée d’intérêt en accentuant le côté sombre de l’homme et de son environnement. Je n’en dit pas plus car je chroniquerai prochainement cette série dans mon blog consacré aux bouquins.
Pour finir, il n’est pas possible de passer sous silence le portrait qu’en fit Stephen Alcorn, le célèbre graphiste américain. Tout autant passionné par la musique – il est guitariste et auteur-compositeur – son travail a souvent abordé ce domaine, notamment par de remarquables portraits de musiciens.
Pas étonnant donc de trouver en compagnie de "Mississippi" John Hurt, Lightnin' Hopkins ou Muddy Waters, notre cher Robert Johnson, et plutôt deux fois qu’une, là encore, diabolique,…
Robert Johnson a bien évidemment influencé de nombreux musiciens, notamment du côté du rock : Les Stones, Led Zep, Hendrix, Clapton, Almann Brother, et bien d'autres. Mais le plus bel hommage vient d'Eric Clapton qui en 2004, produit deux albums : "Me and Mr. Johnson" et "Sessions for Robert J", constitués exclusivement de reprises du répertoire de Robert Johnson.
Mais pour aller plus loin, il est indispensable de lire "A la recherche de Robert Johnson" de Peter Guralnick aux Éditions du Castor Astral dans la collection Castor Music.