Triste fin
Dans la rue tous les jours, on est de plus nombreux, certains sont enveloppés dans un beau sac doré qui ondule dans la brise, d’autres sont parqués ensemble au milieu d’une place. Dans ma rue, j’en ai vu un être déplacé de pas de porte en pas de porte par les propriétaires mécontents du cadavre déposé par un inconnu.
Moi, je gis là depuis le 26 Décembre date à laquelle je fus jeté sur le trottoir sans ménagement. J’étais le seul, le premier à cette époque. C’était la fin d’un long calvaire, d’une longue torture par celui-là même qui m’avait pourtant choisi avec amour. C’était début décembre, il était venu accompagné de ses fils, m’avait jaugé de pied en cape avec amour, tourné et retourné. Puis, Il m’avait porté sur ses épaules, déballé avec précaution, avait étiré tous mes membres pour leur redonner leur ampleur. Puis, toute la famille s’y était mise pour m’illuminer de guirlandes clignotantes, me parer de boules rouges et blanches et de longs boas argentés et dorés et enfin me coiffer d’une étoile. Je fus adulé par toute la maisonnée, admiré des passants par la fenêtre : Je goutais ma soudaine mise en lumière. Je coulais des jours heureux. Un soir, chacun déposa ses chaussures à mes pieds comme dans une sorte de rituel, un des enfants ouvrit la dernière porte d’un calendrier, en extirpa un chocolat dont il profita devant le regard envieux de ses frères, et puis extinction des feux, plus un bruit dans la maison. Moment de calme, repos bien mérité. Il fut de courte durée. Bientôt, la porte du salon s’ouvrit, des ombres déposèrent des cadeaux par dizaine à mes pieds… Je dormais à moitié et j’ai apprécié leur délicate attention de marcher sur la pointe des pieds pour ne pas me déranger. Le lendemain ce fut l’apothéose. Tout le monde s’embrassait, les petits battaient des mains en ouvrant leurs cadeaux… La journée passa merveilleusement vite. Je dormis du sommeil du juste tout plein de ce bonheur partagé par tous !
Le lendemain, on ne ralluma pas mes lumières … mauvais présage et je l’ai bien vu arriver avec ses boites vides, et cette impressionnante machine qu’il a démarré après m’avoir dépouillé de toutes les parures. Elle faisait un bruit d’enfer, puis il m’a attrapé d’une main et de l’autre … a scié toutes mes branches qui ne purent résister à cette mécanique sauvage. Tous mes membres gisaient au sol, je n’étais, de haut en bas, qu’un squelette avec de multiples moignons. Ce fut aussi douloureux physiquement que moralement ! Il me jeta dehors sans ménagement avant de partir, la voiture bondée, vers d’autres aventures…
La seule maigre consolation est de voir mes compatriotes également jetés sur le trottoir jour après jour, mais rares sont ceux qui ont été violentés comme je le fus…Depuis, je résiste au vent pour rester debout … néanmoins, hier, je fus soulevé et emporté une fois de plus, moins amoureusement que le mois précédent mais tout de même, l’éternel optimiste que je suis, gardait espoir..
On me tritura une fois de plus mais plus doucement, m’accrocha une pancarte au sommet, évidemment pas aussi belle que l’étoile du temps de ma splendeur, mais je sentis qu’il fallait que je garde la tête haute … que c’était un réel défi à tenir. On partit rejoindre une foule immense qui brandissait des pancartes semblables noires avec des lettres blanches ou presque …je compris vaguement que j’étais un porte drapeau. Et le calme de cette foule pacifique toutes générations confondues m’a confirmé que je ne m’étais pas trompé: on pouvait espérer! Ne vais-je pas être à nouveau déçu par l’homme ?
Virginie Perchais