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Les incertaines directives anticipées

Publié le 02 février 2015 par Sylvainrakotoarison

« La mort ravit tout sans pudeur.
Un jour le monde entier accroîtra sa richesse.
Il n’est rien de moins ignoré,
Et, puisqu’il faut que je le dise,
Rien où l’on soit moins bien préparé. »
(La Fontaine, "La mort et le mourant")

yartiDirAnt01Dans les débats sur la fin de vie, revient souvent la notion de directives anticipées. Que sont-elles ? Comment vont-elles évoluer ? Quels sont les dangers sous-jacents ?

Que sont-elles ?

Les directives anticipées sont, en quelque sorte, les dernières volontés d’un malade en fin de vie qui serait dans l’impossibilité d’exprimer ses souhaits, celui de poursuivre son traitement médical ou, au contraire, d’arrêter de combattre.

Définies formellement par la loi Leonetti du 22 avril 2005, elles permettent de donner une indication au médecin sur les souhaits de son rédacteur « concernant les conditions de la limitation ou de l’arrêt de traitement », sont valables trois ans et doivent donc faire l’objet d’un certain nombre de renouvellements pour être encore applicables. Elles concourent à la concrétisation du droit des malades face au corps médical mais elles ne sont qu’un élément parmi d’autres dans la décision du médecin. On pourra lire la plaquette officielle du dispositif ici.

Dans ces directives, le rédacteur peut également désigner une personne de confiance qui sera chargée de le représenter dans le cas où lui-même n’est pas en état d’exprimer ses volontés. Cette personne de confiance devra indiquer au médecin non pas sa propre volonté mais celle de la personne qui l’a désignée. La plaquette officielle est également disponible sur le site du gouvernement.

Comment vont-elles évoluer ?

Le problème actuel est que très peu de personnes ont rédigé des directives anticipées. Seulement 2,5% des personnes décédées en avaient rédigé.

Et la principale raison, qui est la même que celle concernant les volontés sur le don d’organes, c’est que cette rédaction nécessite qu’on s’arrête pour réfléchir à sa propre mort, ce qui est peu facile dans une société comme la nôtre qui cherche à effacer toutes les traces de la mort, qui aseptise l’idée de finitude et qui assomme les citoyens dans une surenchère consumériste. L’autre raison, c’est qu’elles n’ont aucun caractère contraignant pour le médecin qui reste libre de les prendre en compte ou pas.

Le rapport Claeys-Leonetti remis le 12 décembre 2014 a présenté quelques évolutions aux directives anticipées actuelles qui devraient être adoptées par les parlementaires dans les mois prochains, puisqu’elles n’ont suscité aucune opposition particulière sauf sur leur caractère contraignant. C’est une évolution qui consacre encore un peu plus la suprématie du droit des malades sur le corps médical.

Ainsi, ces directives anticipées seraient valables une fois rédigées sans limitation de durée, mais évidemment pourraient être modifiées à tout moment. Elles seraient centralisées dans un fichier national similaire aux testaments chez les notaires et une indication sera donnée par la carte vitale pour rappeler leur présence dans ce fichier.

Mais le changement le plus radical est que les directives anticipées auraient un caractère contraignant au médecin, c’est-à-dire qu’elles ne représenteraient pas qu’un simple avis consultatif mais une véritable consigne impérative qui s’imposerait et si le médecin les jugeait « manifestement inappropriées », pour certaines raisons, comme la découverte d’une nouvelle molécule qui pourrait mieux soigner, alors il devrait motiver son opposition et la faire approuver par un autre collègue.

Quelques dangers concernant les directives anticipées

Ceux qui voudraient généraliser les directives anticipées ont pour motivation de renforcer le droit individuel de chaque malade ainsi que leur propre autonomie face à sa maladie, à sa fin de vie et à son médecin, ce qui est très positif.
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Cependant, les directives anticipées ne sont pas tout, et le fait qu’elles risqueraient de s’imposer au médecin et ne feraient pas juste partie de sa décision pourrait poser quelques problèmes dans les années à venir.

En effet, les directives anticipées sont rédigées lorsque la personne est bien portante, consciente, lucide, mais elles ne signifient pas grand chose sur la volonté de cette personne si elle doit affronter une maladie. Bien portant, on pense généralement de façon manichéenne : ut Caesar, ut nihil. Si je ne suis pas valide, autant en finir.

Pourtant, ceux qui sont devenus gravement malades (et qui parfois peuvent guérir), avec parfois des pertes d’autonomie graves, peuvent témoigner qu’ils pourraient pourtant vouloir continuer à vivre malgré leur handicap.

Actuellement, les directives anticipées sont renouvelables tous les trois ans, demain, elles seraient définitives, sans limitation dans le temps. Pourtant, une personne, surtout si elle doit lutter contre la maladie, peut changer d’avis toutes les heures, peut changer d’humeur, devenir optimiste ou au contraire, très pessimiste sur son propre devenir. Son "destin" ne doit pas dépendre d’une volonté qu’il a rédigée, dans un esprit forcément assez exigeant sur sa qualité de vie, alors qu’il était en parfaite bonne santé.

Les directives anticipées portent sur la question théorique qui appelle une réponse unique traduite par : voulez-vous souffrir ? Et la réponse serait naturellement : non ! D’ailleurs, les sondages sont clairs sur la volonté de ne pas faire souffrir. D’ailleurs, les questions posées dans les sondages sont souvent comme celle-ci, à peine caricaturale : "Voulez-vous mourir dans d’atroces souffrances et dans des conditions indignes ?". La réponse est déjà inscrite dans la question.

Bref, c’est très difficile de savoir vraiment comment le rédacteur des directives anticipées réagira concrètement lorsqu’il sera en situation. La volonté du malade à l’instant donné ne peut être valablement déduite des directives anticipées rédigées hors contexte.

Lorsqu’il y a conscience et encore capacité de communication d’une manière ou d’une autre, la volonté du malade pourra toujours être établie et c’est tant mieux.

Le problème, c’est lorsqu’il n’y a plus cette capacité de communication (la situation de Vincent Lambert est éloquente car il est capable de réagir, il n’est donc pas un "légume", il n’est pas dans un état "végétatif" comme certains le pensent). Il faudrait peut-être définir alors un protocole de communication à enseigner à tout le monde, un peu comme le langage des signes pour les personnes malentendantes, ou le braille pour les personnes aveugles, en sachant que chaque maladie apporte son lot d’incapacités.

Quant à la personne inconsciente, qui peut se permettre de dire qu’elle est irrécupérable alors que certains se sont réveillés après vingt ans de coma… et même sans séquelle ?

Et la désignation de la personne de confiance : reste-t-elle toujours la même au fil de la vie ? Un parent qui pourrait mourir trop tôt ? Un conjoint dont on se serait séparé avant la maladie ? Et si cette personne de confiance trahissait la volonté réelle ? Pour de sombres raisons de captation d’héritage, ou (moins caricaturalement que ces motivations pécuniaires), pour de simple raison d’épuisement dans l’accompagnement. Ou simplement par malentendu.

Quelques remarques de parlementaires

Je propose quelques extraits d’interventions intéressantes de députés sur les directives anticipées, à trois occasions récentes, la discussion en commission de la proposition Massonneau (le 21 janvier 2015), la discussion en séance plénière de cette même proposition de loi (le 29 janvier 2015), ainsi que le débat sans vote sur la fin de vie voulue par le gouvernement (le 21 janvier 2015).

Lors de la discussion en commission de la proposition Massonneau, Gilles Lurton (UMP) a fait part de son expérience personnelle : « J’ai pu côtoyer plusieurs personnes en fin de vie, jeunes pour la plupart, et j’ai souvent été frappé par la formidable envie de vivre qui s’emparait d’elles à mesure que leur maladie s’aggravait. C’est pourquoi la notion de directive anticipée me laisse perplexe. ».

En séance plénière pour la discussion de la même proposition, Jean-Marie Tétart (UMP) a témoigné également avec sa propre expérience : « Pour être depuis dix-huit années président du conseil de surveillance de mon hôpital local, doté très tôt d’une unité pilote de soins palliatifs, je sais combien d’hommes et de femmes atteints d’un mal incurable et en proie à d’extrêmes souffrances ont été accueillis dans cet établissement. Beaucoup réclamaient en arrivant que l’on en finisse au plus vite, n’osant toutefois pas employer le mot d’euthanasie, qui révèle l’échec ultime de la vocation d’un homme, qui est de vivre. Combien d’entre eux, pris en charge par l’unité de soins palliatifs, ont réclamé du temps supplémentaire pour vivre encore ? Pratiquement tous ! ».

Les autres interventions proviennent du débat sans vote sur la fin de vie qui s’est déroulé le 21 janvier 2015 au Palais-Bourbon.

Co-auteur du dernier rapport sur la question, Alain Claeys (PS) a voulu rassurer : « C’est justement parce qu’elles seraient révocables à tout moment que [les directives anticipées] prendraient le mieux en compte la fluctuation des souhaits et donneraient réellement corps aux volontés de la personne. ».

Mais Xavier Breton (UMP) est pourtant revenu à la charge : « J’ai quelques interrogations. Comment ne pas enfermer une personne dans une volonté qui peut varier au cours du temps et en fonction des circonstances ? Comme le souligne le rapport Sicard, des sursauts de volonté de vivre peuvent toujours se substituer à un renoncement anticipé. Il est en effet extrêmement difficile de rédiger ses directives alors qu’on est en bonne santé. Peut-on vraiment se mettre à la place du malade que l’on sera quand on ne l’est pas encore ? Que savons-nous de ce que nous penserons, de ce que nous ressentirons lorsque nous vivrons réellement le moment de quitter ce monde ? Ne risque-t-on pas, par ailleurs, en rendant ces directives trop contraignantes, de compliquer et d’altérer le dialogue indispensable entre le médecin, d’une part, et le malade et la famille, d’autres part ? (…) Nous le savons, l’éthique de l’autonomie, quand elle n’a pas de limite, peut étouffer l’éthique de la vulnérabilité, cette éthique de la vulnérabilité qui nous conduit à penser et à agir en fonction de nos fragilités et non d’une conception abstraite de l’individu. ».

Les fluctuations de la volonté, Bernard Debré (UMP) en a connu beaucoup comme médecin : « Que faire lorsqu’on voit arriver un homme ou une femme qui se trouve dans le coma à la suite d’une tentative de suicide ? Dans 80% des cas, les tentatives de suicide sont des appels à l’aide lancés par des personnes qui sont seules, qui ont des problèmes ou des troubles, parfois d’une faible gravité. Croyez-vous que le médecin de garde qui recevra l’une de ces personnes aux urgences ne la soignera pas, sous prétexte qu’elle aura laissé une directive ou une lettre dans laquelle elle demande à ne pas être réanimée ? Croyez-vous qu’une jeune femme qui vient de faire une tentative de suicide ne sera pas réanimée parce qu’elle a rédigé une directive anticipée. Je me pose la question… (…) Faut-il laisser ces personnes mourir, parce qu’elles ont écrit une lettre ? Je n’en suis pas sûr. La fin de vie, ce n’est pas seulement le stade terminal d’un cancer. La fin de vie, c’est aussi cette femme qui a tenté de se suicider et qui est en fin de vie si l’on ne fait rien. ».

Également médecin et ancienne ministre, Michèle Delaunay (PS) est allée dans le même sens de réflexion : « Je sais pour ma part que les grands âgés, qui sont les premiers concernés, (…) ne veulent pas mourir. (…) Je sais plus encore que ces grands âgés meurent le plus souvent là où ils ne devraient pas : dans les services d’urgence, qui sont faits pour sauver in extremis, et non pour accompagner la mort. (…) Comme Bernard Debré, je sais que les suicidés d’une balle dans la bouche, quand des mois d’hospitalisation et de reconstruction permettent de les sauver, ne récidivent jamais, ce qui démontre la labilité des décisions à l’épreuve des épreuves. Je sais que les malades gravement atteints demandent d’abord à être guéris, et que ceux qui disaient qu’ils se tueraient si on leur découvrait une métastase sont bien souvent, après qu’ils ont appris la nouvelle, les plus ardents combattants pour tenter d’en guérir. Je sais de manière certaine qu’on ne connaît le courage du soldat que sur le champ de bataille. Je sais que, comme nous ignorons le jour et l’heure de notre mort, nous ne savons pas grand chose, si ce n’est rien, de ce que nous serons nous-mêmes, de ce que nous penserons ou voudrons ce jour-là, à cette heure-là. Je sais que s’il ne s’agit pas aujourd’hui d’écrire une loi à destination des médecins et des soignants, ce sont eux qui, très majoritairement, "feront le job", lorsque ce jour et cette heure seront venus. Or ils ne peuvent être contraints par des directives anticipées qui ne correspondent en rien à ce qu’ils ont connu du malade au cours des dernières semaines et des derniers mois, c’est-à-dire dans le feu de l’ultime combat. ».

Opposé lui aussi au caractère contraignant, Philippe Gosselin (UMP) s’en est expliqué : « Il faut communiquer sur l’intérêt de ces directives anticipées, mais sans enfermer l’équipe médicale dans un veto absolu, en lui laissant une part d’autonomie. Et quel poids ferions-nous peser sur le tiers de confiance qui se verrait confier le précieux message ! Voilà mes interrogations sur l’opportunité de l’opposabilité et du caractère contraignant donné à ces directives. Gardons aussi en tête l’ambivalence du malade. Il est toujours très facile d’avoir des points de vue lorsque l’on va bien, confortablement calé dans son fauteuil. Ces points de vue peuvent être différents avec une fragilité psychique, physique, psychologique, lorsque la maladie vous atteint. ».

Successeur de Christine Boutin dans sa circonscription et de Gérard Larcher à la mairie de Rambouillet, Jean-Frédéric Poisson (PCD) a montré beaucoup de réticence sur les directives anticipées : « S’agissant des directives anticipées, je fais partie de ceux qui sont très dubitatifs à leur propos. Pour tout vous dire, sur l’invitation d’un de mes amis, j’ai commencé voilà quelques jours l’exercice consistant à en écrire pour moi-même ; c’est impossible. On peut bien sûr écrire que si l’ont était sur un lit d’hôpital avec le cerveau en bouillie, il faudrait tout arrêter, mais à part cela, que peut-on dire ? Comment se projeter dans un événement qu’on ne veut pas voir se réaliser, qu’on peine à imaginer, qu’on ne peut, par définition, expérimenter ? Comment imaginer les circonstances dans lesquelles on se trouvera au point d’être capable de préciser aux personnes qui s’occuperont de nous ce qu’il faudra faire dans tel ou tel cas ? (…) C’est impossible ! ».

Le courage, entre théorie et vécu

Dans son intervention à l’Assemblée Nationale le 29 janvier 2015, la Ministre des Affaires sociales et de la Santé Marisol Touraine avait cité cette très belle phrase de Jean Anouilh « Avant le jour de sa mort, personne ne sait exactement son courage. » dont le sens fut repris avec ses mots par son ancienne collègue Michèle Delaunay (phrase que j’ai déjà soulignée ci-dessus) : « Je sais de manière certaine qu’on ne connaît le courage du soldat que sur le champ de bataille. ».

La rédaction des directives anticipées est une étape importante dans la reconnaissance des droits du malade dans le système de santé. Elles apportent une indication nécessaire à connaître par le médecin. Mais elles ne sont pas paroles d’Évangile, et elles ne correspondraient peut-être pas, au moment crucial, aux aspirations réelles de la personne qui ne peuvent être connues que par les personnes qui l’accompagnent. Les directives anticipées doivent donc contribuer à la prise de décision, évidemment, mais leur caractère contraignant ferait fi de toutes les hésitations qui traverseraient l’esprit d’un patient au cours du traitement de sa maladie.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (2 février 2015)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Le débat sur la fin de vie à l'Assemblée Nationale du 21 janvier 2015.
Les directives anticipées.
L'impossible destin.
La proposition Massonneau.
Présentation du rapport Claeys-Leonetti (21 janvier 2015).
Le rapport Claeys-Leonetti du 12 décembre 2014 (à télécharger).
Vidéo de François Hollande du 12 décembre 2014.
Rapport du CCNE sur le débat public concernant la fin de vie du 21 octobre 2014 (à télécharger).
Le verdict du Conseil d'État et les risques de dérives.
Le risque de la GPA.
La décision du Conseil d'État du 24 juin 2014 (texte intégral de la déclaration de Jean-Marc Sauvé).
L'élimination des plus faibles ?
Vers le rétablissement de la peine de mort ?
De Michael Schumacher à Vincent Lambert.
La nouvelle culture de la mort.
La dignité et le handicap.
Communiqué de l'Académie de Médecine du 20 janvier 2014 sur la fin de vie (texte intégral).
Le destin de l'ange.
La déclaration des évêques de France sur la fin de vie du 15 janvier 2014 (à télécharger).
La mort pour tous.
Suicide assisté à cause de 18 citoyens ?
L’avis des 18 citoyens désignés par l’IFOP sur la fin de vie publié le 16 décembre 2013 (à télécharger).
Le Comité d’éthique devient-il une succursale du PS ?
Le site officiel du Comité consultatif national d’éthique.
Le CCNE refuse l’euthanasie et le suicide assisté.
François Hollande et le retour à l'esprit de Valence ?
L’avis du CCNE sur la fin de vie à télécharger (1er juillet 2013).
Sur le rapport Sicard (18 décembre 2012).
Rapport de Didier Sicard sur la fin de vie du 18 décembre 2012 (à télécharger).
Rapport de Régis Aubry sur la fin de vie du 14 février 2012 (à télécharger).
Rapport de Jean Leonetti sur la fin de vie du 28 novembre 2008 (à télécharger).
Loi Leonetti du 22 avril 2005 (à télécharger).
Embryons humains cherchent repreneurs et expérimentateurs.
Expérimenter sur la matière humaine.
La découverte révolutionnaire de nouvelles cellules souches.
Euthanasie : les leçons de l’étranger.
Euthanasie, le bilan d’un débat.
Ne pas voter Hollande pour des raisons morales.
Alain Minc et le coût des soins des très vieux.
Lettre ouverte à Chantal Sébire.
Allocation de fin de vie.
yartiDirAnt03
http://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/les-incertaines-directives-162986


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