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Pathomimies: Diagnostic, profil psychologiques

Publié le 01 février 2015 par Darouich

Ensemble de lésions dites "factices", sans substrat anatomopathologique réel, déclenchées et

entretenues par un patient, sans désir de bénéfices particuliers pour lui - à l'inverse de la simulation. Il

s'agit heureusement d'un symptôme rare. D'après mon expérience, environ un cas sur 2500.

En général, il est relativement facile à faire...

1/ Les lésions siègent au niveau du visage et des membres, c'est-à-dire au niveau des zones du corps

2/ Elles ont un caractères discordant. Les lésions réalisées sont polymorphes, dominées par la

fréquence des ulcérations "en coup d'ongle". Le patient - ou la patiente (le plus souvent) - peut se

servir des ciseaux, d'objets divers comme la cigarette pour se faire des brûlures.

3/ Enfin, ces lésions disparaissent spontanément par l'occlusion sous bandage, plâtré ou non, réalisé

en milieu hospitalier (cf le cas de Mme B.)

Mme B à 43 ans quand je la reçois la première fois après 15 jours d'hospitalisation dans le service. Je

ne vois d'elle qu'un visage recouvert de pansements et, sur ce qui reste de visible, des cicatrices

récentes et anciennes la congestionnent, la défigurent... Elle me tend presque aussitôt des photos

d'elle à 20 ans. Et réussit son effet. Quel ravage!

Eliane, quand je lui pose la question, fait remonter le début de ses pulsions à s'écorcher le visage vers

l'âge de 15 ans, à une époque où sa peau grasse l'obsédait. Mais, poursuit-elle, c'est un traitement

hormonal, plus tard, suivi à cause d'une prétendue stérilité, qui aggravera son acné et qu'elle

commencera réellement à se gratter, et provoquer de ses propres mains ces excoriations névrotiques.

Je la laisse parler. Elle en a besoin. Depuis plusieurs années, m'explique-t-elle, elle suit une thérapie

de soutien (donc sans analyse des rêves) avec un médecin psychanalyste dans la ville de province où

elle habite. Ce qui est confirmé par ce confrère en réponse à la lettre que je lui enverrai un peu plus

tard. Mais Eliane est venue de son propre chef consulter et se faire hospitaliser à Saint Louis. "Mon

dernier recours!" s'écrie-t-elle. Dans la lettre que je recevrai du thérapeute d'Eliane, il précise qu'il

s'agit d'une longue histoire de dix ans entre elle et lui, coupée de multiples interruptions où Eliane ne

donnait plus signe de vie et se faisait hospitaliser en psychiatrie. J'apprends également qu'il y a eu

plusieurs tentatives de suicide sérieuses. Eliane repart cette fois là avec une prescription cicatrisation.info : le livre 2

d'antidépresseur à dose maximum en milieu dermatologique. Huit jours plus tard, quand je la revois,

elle se sent beaucoup mieux. Elle me dit que, malgré son passé psychiatrique, ce médicament ne lui a

"Dans mon histoire avec les médecins, dit-elle, j'ai toujours l'impression d'être mal comprise, mal

jugée, parce que c'est moi qui m'écorche la peau toute seule... On ne me prend pas au sérieux. Ici

aussi j'ai cette impression. Sauf avec vous. Vous, vous m'écoutez". En effet, je l'écoute. Qu'elle se soit

installée "à force" dans un statut de victime du corps médical n'est pas étonnant, puisque aussitôt, elle

"Mon père me traitait de folle quand je m'arrachais la peau..." "Je veux repartir à zéro, me dit-elle. Je

veux changer complètement de vie, mais j'ai besoin qu'on m'aide..."

D'un entretien à l'autre, car je la vois trois fois par semaine, elle me fait le récit pathétique de sa vie,

par bribes, d'un ton résigné de victime. Peu à peu se reconstitue l'histoire de cette dépression

"miteuse" qui la détruit. D'autres trous, ceux de la mémoire cette fois, se manifestent...

Un jour la phrase importante est enfin lâchée :

"Mon père est très difficile à vivre. Il a perturbé mon enfance et rendu ma mère si malheureuse..." Je

lui demande alors pourquoi elle a choisi son mari. "Je l'ai choisi pour son physique, sa douceur, sa

gentillesse, me répond-elle. Il est très différent de mon père". En moi-même, je pense "mais pas si

différent de la mère, semble-t-il, qu'Eliane a déjà décrite comme soumise et si douce à l'égard de son

tyran de mari". Et puis, j'apprends que cette mère modèle l'a allaitée jusqu'à trois ans (!), au point,

pour parvenir à la sevrer, de s'enduire le bout des seins avec une pommade amère.

Suivant le déroulement du récit, je vois que la mère a très bien su utiliser sa fille unique pour

détourner le père du lit conjugal... D'ailleurs, quand Eliane décide de vivre avec ses parents dans le

pavillon que son mari vient d'acheter, elle choisit des lits jumeaux pour les parents... Ce qui n'est pas

du tout du goût du père.

Mais toujours ces trous de mémoire... J'apprends peu à peu que le père est immigré, qu'il a travaillé

dans les mines jusqu'à cet éboulement qui le force à s'arrêter au moment où il va devenir cadre.

Depuis, il est pensionné : "Il aurait aimé que je fasse des études mais je les ai interrompues après le

baccalauréat, passé brillamment, car mes parents s'étaient déjà trop privés pour moi..." Veut-elle

punir son père en arrêtant ses études, tout en se punissant elle-même? Il semble que c'est à partir de

ce renoncement aux études que l'engrenage des comportements masochistes s'enclenche.

"Et votre mari? lui demandais-je. - Oh! Il souhaitait une femme au foyer, élevant ses enfants. Et puis,

Aucun encouragement donc, de ce côté-là non plus. Elle, par contre, l'a beaucoup aidé à s'élever

dans la hiérarchie professionnelle (réparation vis-à-vis de la profession du père), tandis qu'à la maison

elle le materne, prenant les rênes des affaires courantes. Il refuse d'écrire et même de répondre au

téléphone! Je les ressens tous deux comme un couple de bébés n'ayant pas dépassé l'amour

fusionnel (pour Eliane, celui porté à la mère s'est déplacé sur le mari).

A ce point de nos entretiens, je juge nécessaire de rencontrer le mari. Il s'en étonne car le

psychanalyste consulté avant moi ne le lui avait jamais demandé en dix ans... Lui aussi est sûrement

très perturbé. Après un instant d'étonnement, il est tout heureux de me rencontrer et très coopérant

d'emblée. Il me promet de voir un médecin régulièrement... pour n'en consulter un que quatre mois

L'un et l'autre ont exprimé à leur façon un désir d'enfant, aussitôt annulé - chacun y perdant le statut

d'enfant-roi qu'il revendique devant l'autre. J'en vois pour preuve la réaction d'Eliane devant la

proposition d'insémination artificielle - puisque l'on découvre quatre ans plus tard que c'est le mari et

non elle qui est stérile!

"J'ai refusé, car je n'étais pas sûre d'aimer cet enfant... Je voulais un enfant ressemblant à mon

mari..." - autrement dit, à sa propre mère. Puis elle réfléchit et, entre temps, on lui découvre des

petits fibromes : "Ce n'est pas incompatible avec une grossesse", explique le gynécologue. Mais elle

ne change pas d'avis.

De nombreux rêves émaillent nos entretiens. L'un d'eux me semblent fournir une des clés de son

auto-agression permanente : "J'ai rêvé de la cousine germaine de mon mari... C'est elle qui a tout

déclenché, associe aussitôt Eliane. Elle est hostile, jalouse de mon travail intellectuel - j'ai été une

secrétaire très appréciée avant mon mariage. Elle est jalouse de mon corps mince, de ma maison.

C'est une mégère qui a dressé sa fille contre son propre père..." (C'est exactement ce qu'a fait sa

propre mère, mais sur le mode inverse, c'est-à-dire en trop bonne mère et trop bonne épouse).

"Quand je rêve d'elle, de sa famille, la journée qui suit le rêve, je me retrouve devant la glace en train

de me faire des trous dans la peau..." (Eliane révèle ainsi sans s'en rendre compte combien sa

fragilité de "nourrisson" ne peut lui être d'aucune aide - et pour cause - contre le sadisme de la

cousine germaine, subie elle aussi, comme le père et bien d'autres substituts).

Une des - bonnes - décisions prises avant sa sortie d'hôpital est de refuser de recevoir, comme

chaque dimanche, ladite cousine. Il y en aura d'autres : d'abord, de reprendre régulièrement sa

thérapie avec le confrère de province mais en analysant les rêves cette fois. Puis, comme elle va de

mieux en mieux, de chercher du travail. Puis je n'entends plus parler d'elle. Pendant trois ans, les

deux lettres que je lui adresse vont rester sans réponse. Jusqu'à cet épisode de surmenage qui la fait

rechuter : elle est employée chez un patron qui ne regarde pas aux heures passées dans le magasin.

Eliane n'était pas encore assez forte pour pouvoir dire "NON".

En clinique, elle "éponge" son surmenage et ses nouvelles mutilations. Puis, à la sortie, elle réalise

enfin son rêve d'ouvrir un magasin à son compte. Enfin, ne plus dépendre de personne! A défaut de

régler son profond masochisme, la solution lui fait envisager des jours meilleurs... Mais les parents

habitent toujours le pavillon.

Il reste que l'identification étroite qui l'imbrique à la mère ne la rend pas toujours autonome. La

défusion d'avec sa mère est donc la deuxième clé du problème. Est-ce que c'est possible quand sa

peau est aussi celle de sa mère? Quand elle ne parvient pas à en faire le deuil et qu'elle s'attaque

alors à sa propre peau? Est-ce possible quand l'objet de substitution qui remplace sa mère a si

cruellement manqué (sevrage à trois ans)? Voilà bien un étrange sentiment, si proche de ce que dit S.

Beckett dans l'Innommable. "C'est peut-être ça que je sens, qu'il y a un dehors et un dedans, et moi

au milieu, c'est peut-être ça que je suis, la chose qui divise le monde en deux, d'une part le dehors, de

l'autre le dedans, ça peut être mince comme une lame, je suis ni d'un côté ni de l'autre, je suis au

milieu, je suis la cloison, j'ai deux faces et pas d'épaisseur*, c'est peut-être ça que je sens".

Il est inutile de chercher à obtenir "l'aveu" du patient et la description des méthodes utilisées par lui

pour déclencher l'effraction de la peau, ex. : grattage, brûlures, instruments mécaniques, etc. On se

heurtera soit à des réponses "à côté" soit à un mutisme. En effet, comme dans les T.O.C., par

exemple la trichotillomanie, le malade ne peut se contrôler. Après la crise une forte culpabilité

s'installe suivie de résolutions qu'il ne pourra tenir. Véritable cercle vicieux.

Il s'agit presque toujours de jeunes femmes qui ont commencé à s'excorier la peau à la recherche de

comédons inexistants. Derrière "la façade" on retrouve :

- une hypertonie anxieuse (l'ancienne spasmophilie)

- un état dépressif avec troubles du sommeil, asthénie, émotivité au dessus de la normale,

- des troubles digestifs type anorexie ou boulimie.

Enfin sur le plan intellectuel, l'intelligence peut être au dessus de la moyenne. Beaucoup plus

rarement de sujets débiles légers. Dans les deux cas on retrouve des carences affectives dans la

petite enfance. Comme si le patient se consolait avec lui-même, sa peau étant, en quelque sorte,

les dermatoses organiques :

- Maladies bulbeuses : porphyries cutanées, dermatite herpétiforme


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