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« Le Cricket Club des talibans », de Timeri N. Murari

Par Jsbg @JSBGblog

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C’est sans conteste son titre qui m’a tapé dans l’œil. Il faut avouer qu’à la fois comique et un brin subversif, il a de quoi retenir l’attention. Incapable de démêler ces deux ressentis, j’ai eu l’impression de ne pas bien savoir sur quel pied danser devant le présentoir. Sur le bandeau qui orne le livre, une femme en burqa passe devant un terrain de cricket. Le tissu fin et fluide moule son anatomie, alors qu’il est censé la dérober à notre vue. Voilà un autre oxymore qui alimenta mon indécision. Or, ces flux antinomiques – l’humour et le grave, la sensualité et la piété, l’ordre et la rébellion – parcourent le roman et en font une œuvre plus fouillée qu’elle n’en a l’air.

Nous sommes en 2000 à Kaboul. La ville est aux mains des talibans depuis quatre ans. La jeune Rukhsana qui, lorsque les femmes avaient encore le droit de travailler exerçait le métier de journaliste, mène désormais une vie recluse dans la maison familiale. Comme ses congénères, elle ne peut plus sortir qu’accompagnées de son mahram – un représentant masculin de son clan – et, comme ses compatriotes, elle se voit tout interdire : musique, journaux, éducation, divertissement. « Nous avions été un peuple exubérant, loquace, généreux de nos sourire et de nos rires, nous avions été des colporteurs de ragots et des raconteurs, mais à présent nous nous contentions de murmurer, de peur d’être entendus» dit-elle en faisant le deuil de son ancienne vie. Un jour, le Ministre de la Répression du vice et la Promotion de la vertu, pour redorer l’image de l’Afghanistan à l’international, croit bon d’organiser un tournoi de cricket. L’équipe gagnante se verra offrir un stage de perfectionnement au Pakistan voisin – ce que d’aucuns voient comme une occasion inespérée de quitter leur pays devenu une prison inhospitalière. Il se trouve que Rukhsana a étudié en Inde, où elle a appris à jouer à ce sport. Elle devient donc le coach d’une équipe composée de son frère Jahan et d’une poignée de leurs cousins, tous déterminés à reconstruire leur vie ailleurs. Mais comment enseigner à des novices l’art du cricket en trois semaines, entravée dans ses mouvements par le port obligatoire de la burqa qui plus est ? L’équipe va-t-elle remporter la compétition et pouvoir fuir le pays ? Cela, seule la lecture du roman vous le dira !

Car il mérite d’être lu, et si l’idée de l’intrigue vous semble farfelue, sachez que l’Afghanistan a réellement déposé une demande d’affiliation à l’International Cricket Council en 2000. Le reste de l’histoire, je vous le concède, n’est que fiction. Murari s’en sert pour mettre en lumière la vie sous l’oppression dans toutes ses dimensions, c’est-à-dire ce qu’elle garde de banal et ce qu’elle contient d’épouvantable : le quotidien fait de tâches rituelles et d’un indéfectible respect pour les traditions comme la menace omniprésente qui pèse sur la population, se manifestant dans les rappels à l’ordre, les intimidations, les exécutions sommaires publiques. Il dresse au passage un bilan critique des incursions étrangères qui façonnèrent la douloureuse histoire de l’Afghanistan. Enfin, Murari nous offre un modèle : Rukhsana ne se laisse pas embrigader ni soumettre à la condition qu’on veut lui imposer. Son esprit rebelle se souvient qu’il est destiné à être libre et, alors qu’on l’imaginait si aisément réduit à néant par la terreur, il fait preuve d’une ténacité inouïe lorsqu’il persiste à croire en un avenir meilleur. Cet acte de résistance se concrétise dans la pratique du cricket : « Les talibans savent-ils qu’avec le cricket ils favorisent un comportement qu’ils ont cherché à réprimer depuis leur arrivée au pouvoir ? En nous autorisant à jouer, ils nous offrent en effet la possibilité de nous exprimer, de nous dévoiler et de les défier sur un terrain de sport. (…) En jouant on peut se laisser aller à leur insu à ses pensées et à ses sentiments, même s’ils surveillent chacun de nos gestes. On est hors de leur portée.»

Entourée d’une galerie de portraits très divers qui vont du fiancé conservateur aux parents plus progressistes en passant par tous ceux qui oscillent entre attachement à leurs racines et appel d’un monde plus libre, Rukhsana est elle-même un puits de ressources. Dévouée, intrépide, érudite, elle mène sa vie comme son équipe, en battante. L’auteur dit à propos de son héroïne que « les armes les plus efficaces contre l’oppression sont le courage et l’amour, deux qualités que mon personnage réunit».

Le Cricket Club des talibans est un roman qui ne prend pas de grands airs mais qui vise juste. La lecture est rapide, le style n’est pas recherché outre mesure. En revanche, le contexte historique complexe et tourmenté, les personnalités entières et attachantes qui y évoluent, forment un hommage émouvant au courage de ceux qui refusent de se laisser asservir.

– Olivia Huguenin

Timeri N. Murari, Le Cricket Club des talibans (éditions Mercure de France, 2014)

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