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De l’hystérie de conversion aux Crises Psychogènes Non Epileptiques

Publié le 13 février 2015 par Darouich
 C’est en 1816 que le docteur Louyer-Villermay (élève de Pinel) propose une 1ère description sémiologique de la crise tout en évoquant la notion d’un conflit inconscient sous-tendu par une problématique sexuelle. Ces crises sont ensuite rendues célèbres et évoquées par Charcot à la Salpêtrière qui proposera une description de la grande attaque en 4 phases. Plusieurs cliniciens s’intéressent par la suite à ces fameuses crises et sont rendus célèbres par leur Traité sur l’Hystérie. En 1846, Landouzy publie son Traité Complet de l’Hystérie. A l’époque, les patients hystériques et les patients épileptiques étaient hospitalisés dans les mêmes services. Landouzy décrit deux formes cliniques distinctes : l’une associant des symptômes hystériques et épileptiques au sein de la même crise, l’autre où ces symptômes apparaissent dans des crises distinctes. A cette époque, plusieurs descriptions sémiologiques voient le jour, mais les élèves de Charcot (Briquet, Richer, etc.) ne portent pas d’intérêt particulier à la psychopathologie. La 1ère théorisation psychopathologique est celle du mécanisme de conversion par Freud qui évoque un conflit psychique à l’origine de la crise et donne ainsi un sens au symptôme hystérique. Deux siècles plus tard, la littérature comporte une vingtaine de termes évoquant ces crises : évènement non épileptique, pseudo-crise, Crises Psychogènes Non Épileptiques (CPNE), etc. Sont décrits aussi des états de mal épileptiques psychogènes. Sur le plan des classifications, la CPNE est classée dans les troubles dissociatifs dans la CIM10 et dans les troubles somatoformes de conversion dans le DSM-IV-TR. Les CPNE sont une maladie fréquente dont l’incidence est identique à celle de la sclérose en plaque : 4,9/100000 par an. On observe une prépondérance féminine avec un ratio de 1 homme pour 7 femmes. L’âge moyen de diagnostic est de 22 ans avec l’existence de deux pics d’incidence : chez les femmes le début des crises est fréquent en post-adolescence, chez les hommes le début survient majoritairement après leur 50ème anniversaire. Le délai diagnostique moyen est de 7 ans. Diverses études ont montré que ces patients sont traités par anti-épileptiques dans 80 %, avec une absence d’efficacité non seulement des antiépileptiques mais aussi de l’effet placebo de ces traitements. Les CPNE représentent 20 à 30 % des crises résistantes à une thérapeutique anti-convulsivante. Chez l’enfant et l’adolescent, les CPNE représentent 5 à 20 % des consultations en centre d’épileptologie aux USA, voir plus en cas d’antécédents familiaux d’épilepsies et dans les suites d’évènements traumatiques : agressions sexuelles, accidents de la voie publique, etc. Deux pics d’incidence sont repérés : la période pré-pubertaire chez les garçons et la post-adolescence chez les filles. Les deux formes cliniques les plus fréquemment décrites chez l’enfant sont la rupture de contact et la crise motrice. L’enjeu majeur de ces crises est tout d’abord celui du diagnostic : crises d’épilepsie (CE) ou CPNE ? En effet, plus le diagnostic est posé précocement, meilleur est le pronostic. Au delà du pronostic, il s’agit par ailleurs d’une maladie particulièrement coûteuse en termes de santé publique : arrêts de travail à répétition, traitements médicamenteux, nomadisme médical, etc. Une fois le diagnostic posé, les coûts de santé sont diminués de 84 %. La sémiologie est complexe puisqu’il n’existe aucun signe clinique pathognomonique des CPNE et qu’il en existe diverses formes cliniques : crise rigide catatonique, absence, tremblement excessif des membres, du tronc et de la tête, etc. Ainsi la majeure partie des éléments cliniques est non discriminante (y compris la révulsion des yeux, morsure langue, perte urinaire, etc.). Par ailleurs, aucun marqueur diagnostique n’est à ce jour avéré (qu’il soit physiologique, biologique ou d’imagerie). La démarche diagnostique correspond ainsi souvent à un diagnostic négatif, comme en témoigne la négative dans le terme de CPNonE, après élimination des diagnostics différentiels neurologiques et psychiatriques (syncopes, CE, migraine, etc.). A l’anamnèse, il est intéressant de rechercher les comorbidités psychiatriques et notamment les troubles de la personnalité puisque 30 à 50 % des patients souffrant de CPNE ont ce type de trouble associé (en majorité borderline et non histrionique comme on pouvait le suspecter). Par ailleurs, la description de la crise lors de l’anamnèse est parfois plus floue en cas de CPNE, les patients souffrant de CPNE ayant du mal à décrire précisément leurs crises, mais cela ne permet en aucun cas de poser le diagnostic. Il est intéressant de noter qu’outre la complexité sémiologique, le diagnostic s’avère d’autant plus ardu qu’il existe une forte intrication entre CE et CPNE. Ainsi 10 à 50 % des patients souffrant de CPNE souffrent de CE ; 5 à 30 % des épileptiques présentent aussi des CPNE ! La démarche diagnostique consiste donc à rechercher une pathologie somatique ou psychiatrique sous-jacente ou associée, et à réaliser une vidéo-EEG, les EEG inter-critiques s’avérant peu sensibles et peu discriminants (Reuber 2002 Epilepsy Behav). Durant les vidéo-EEG, qui correspondent à un enregistrement d’un EEG associé à une vidéo du patient sur plusieurs jours, les manœuvres de provocation et d’induction sont plutôt déconseillées. Concernant la prise en charge, l’étape de l’annonce diagnostique peut se faire de manière conjointe par le neurologue et le psychiatre. Il est crucial lors de cette annonce de veiller à ce que l’élimination d’une maladie épileptique ne soit pas associée à un sous-entendu de simulation… Pour clore ce symposium, certains résultats d’une recherche menée à Tours auprès de 56 patients s’intéressant aux différences entre les patients souffrant de CE et ceux souffrant de CPNE, ont été présentés. Le critère choisi pour les différencier était la présence de crise d’épilepsie à l’EEG lors de la vidéo-EEG effectuée sur 4 jours. Les patients présentant une crise était diagnostiqué épileptiques, ceux n’en présentant pas étaient diagnostiqués CPNE. 13 patients ont été exclus dans la cohorte en raison de données manquantes. Parmi les 43 inclus : tous ont eu une évaluation neurologique : examen neurologique, EEG standard et avec hyperpnée et stimulation lumineuse intermittente, vidéo-EEG ; ainsi qu’une évaluation clinique psychiatrique associée à plusieurs échelles : CAPS (Clinician-Administrered PTSD Scale évaluant le PTSD), l’échelle DES (Dissociative Experience Scale), le SDQ (Somatoforme Dissociation Questionnaire recherchant les symptômes dissociatifs somatoformes), la MADRS (pour la dépression) et le STAI (State Trait Anxiety Inventory). Les résultats montrent que les patients épileptiques sont aussi sujets aux CPNE et qu’il existe des antécédents élevés de traumatismes dans les deux groupes de patients mais avec une plus forte association de traumatismes dans l’enfance (et de prescription de psychotropes) chez les patients souffrant de CPNE. En revanche, la clinique reste totalement aspécifique empêchant ainsi tout diagnostic exclusivement clinique. Ces résultats viennent renforcer l’idée que les CPNE sont un des exemples de pathologies où la nécessité d’une meilleure collaboration entre neurologues et psychiatres est flagrante.   Aude van Effenterre

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