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L'écorchéee vive : chap 5 : Le spectre de mon âme

Publié le 16 février 2015 par Aurore @aurore

Chapitre : 5-Le spectre de mon âme

Tranquillement allongée, passionnée par mes lectures de Boris Vian, je m’aperçus alors que lire devenait de plus en plus difficile. Je distinguais à peine les lettrines, tout était devenu flou. J'étais obliger de rapprocher mes yeux au plus près..et de plus en plus près. Les lendemains furent plus durs, j’avais du mal à me lever, puis lentement je ressentais comme si des fourmis montaient des pieds à la tête, envahissant l’ensemble de mon corps.

J'avais vingt trois ans, lorsque que je fus atteinte d’une maladie peu connue : une poliomyélite guérissable, le Guillain-barré, une maladie du liquide rachidien qui vous attaque en quelques jours suivie d'une perte considérable de poids !

A l’hôpital d’Étampes, certains crurent en une chute radicale de toutes mes facultés mentales et que seul un hôpital psychiatrique pouvait me recevoir. Eux ne pouvaient rien pour moi. Il n’y avait qu’un seul grand médecin par semaine qui passait ausculter les grands patients et les plus atteints. C’était le vendredi matin. Ce jour là, me hissant après beaucoup d’effort sur mon lit, j’essayai de faire tomber le verre d’eau posé sur mon chevet afin que le médecin entende le bruit et vienne. Il me fallait espérer, il m’était impossible de crier. Ce fut alors que les infirmières entrouvrirent ma porte et que je vis le regard de cet homme... Il s’approcha de moi, ramassa mon verre et se retourna pour sortir, quand brusquement il fit demi-tour, me demanda de me lever et de marcher. Tant bien que mal, je titubai et ne pus retenir la masse de mon corps qui s’écroula. Il prescrivit une ponction lombaire pour le soir même. Ma guérison, c’est à lui que je la devais. Les heures suivantes, je m’enfonçai dans une nuit blanche et sereine. J’ouvris les yeux dans un autre endroit, inconnu. On m’avait installée sur un lit à roulettes, je ne me souvenais plus du reste, plus du temps qui passait. Henri Mondor m’avait accueillie au sein de ses malades. Paralysée de tout mon corps, perdant tout sens des réalités et respirant par oxygène, j’étais rattachée à des fils. Je ne voyais plus rien. Une perte de poids assez conséquente, plus de vingt cinq kilogrammes en quinze jours ! Mon corps affaiblit me cloua au lit. J’étais telle une morte vivante, plus de réaction, je pesais trente kilogrammes à cette époque là. Mais le plus dure fut lorsque je réalisais que mes yeux avaient perdu toute faculté de voir, j’étais devenue aveugle ! Mes muscles ne répondaient plus. Seul mon esprit subsistait. Je n’étais plus qu'un cadavre « ambulant ». Je ne pouvais plus écrire, aucun stylo ne tenait entre mes doigts ! Plus manger, plus respirer, plus rien. Dès mon passage au scanner, je perdis connaissance. Combien de jours étais je restée dans cette brume ? Beaucoup de gens étaient autour de moi, ils innovaient, tous et toutes se penchèrent sur ce corps qui ne réagissait plus. Seuls se faisaient entendre les battements de mon cœur. Ils m’effectuèrent des plasmaphérèses. Un principe pour nettoyer mon sang dans une machine, qui d'ailleurs servait d'essai ensuite pour les dialysés. Mes globules blanches étaient séparées de mes globules rouges. J'avais des seringues plantées partout dans mon cou et mes bras. Pendant ce temps, ils m'injectaient du plasma biochimique. Je délirais. J'avais froid. Mon corps sentait mauvais ils infiltraient du calcium directement dans mes veines pour me réchauffer. Les séances terminées, tous disparaissaient pendant une heure environ ou plus, puis revenaient comme si que j'étais quelqu'un de pas ordinaire. Moi, j'étais dans le noir. J’étais sûre de voir un oiseau sur l’épaule de Victor Hugo, parfois je voyais aussi des marchés comme en Inde ! J’appelais, docteurs et infirmières pour les convier à ce spectacle mural inexistant. Je perdais la raison. Des mots tendres adressés à notre Très Haut me redonnèrent la force de lutter. Deux mois à ne plus exister, lorsqu’un jour de ma fenêtre j’aperçus un arbre de couleur ocre rouge. Où étais-je ? Le soleil brillait haut dans le ciel et petit à petit, mes forces me revenaient. Un visage s'approcha du mien, puis deux, puis combien? Je ne m'en souviens pas, mais une multitude. Jamais je n’avais vu de visages si lumineux. Les couleurs prenaient un autre sens pour moi. Mon corps retrouvait la vie. Jamais je n'ai goûté de confiture d'abricot aussi délicieuse que celle que venait de me donner l'infirmière. Jamais je n'ai vu la vie aussi belle qu'à ces instants là ! Attachée à mon chariot, je me déplaçais tant bien que mal vers les autres patients, je leur délivrais allègrement des sourires. Les mots sortaient de ma bouche, comme une cascade. J’abordais toutes sortes de sujets. Lors d’un passage médical, ils me confirmèrent qu’ils ne pouvaient plus rien faire pour moi, qu’il fallait maintenant attendre que le temps agisse. Il fallait libérer le lit.

La vie en moi prenait le dessus, j’étais en voie de guérison ! Je pouvais rentrer chez moi.

Arthur était là, à attendre mon retour, je le distinguais à peine, comme dans une brume. Venu dans cet hôpital Henri Mondor, il était accompagné d'un homme plus âgé que lui, au teint bruni et à allure qui me fit reculer d’un pas. Zianibe de son prénom. Il me fit signe de me diriger vers l’ambulance garée juste en face de la sortie. Je pris place devant, Arthur et son compagnon derrière. Le retour vers la vie extérieure était devenu l’ombre du silence le plus absolu. Les routes défilèrent encore plus vite lorsque je regardais par la vitre, les arbres dont les feuillages d’automne prenaient un air de gaieté avec leurs couleurs rayonnantes. J’avais l’impression qu’Arthur m’était inconnu à présent. Son regard perdu dans l’air me faisait peur. J’avais du mal à le reconnaître.

Nous descendîmes de la voiture et, à la vue de ma demeure, j’eus un pincement chaud dans le cœur, un pincement de léger bonheur à voir que ma voiture était toujours stationnée devant ma maisonnée, j’eus tellement craint de la voir abîmée, crevée. Ici, on ne savait jamais ce à quoi s’attendre ! Je l'aimais, moi, celle-là, un cadeau de mon grand-père de cœur, une Austin vert foncé, discrète, qui fonctionnait super bien. Elle filait dans le vent aussi vite que les éclairs. Elle était belle et ne me causait aucun ennui mécanique. Je pénétrai la première, inquiète de découvrir l’état de l’intérieur de ma maisonnée. La poussière avait sans aucun doute profité de mon absence. Il n’y avait pas âme qui vive, sauf celle de mon petit chien qui me fit une grande fête, me léchant partout, saluant ainsi mon retour. Tout était en ordre, hormis qu'il faisait froid et que j'avais faim, faim d’un bon plat, faim de viande grillée et de frites. Mes muscles n'étaient pas en état de me conduire jusqu'au petit magasin du coin, Arthur s’en occupa. A son retour, sans savoir pourquoi, il m'insulta. Son comportement était pour moi totalement incompréhensible ! Il parlait fortement, si fortement... sa voix rauque venait-elle des profondeurs de la terre? Son ami qui ne l’avait pas quitté, resté en arrière, sentait l’alcool et riait d’un air hébété. « Ils ont surement bu. », pensais je, en mettant le bout de ma manche sur mon nez. Je n’osai le lui dire à voix haute. D'un seul coup, avec surprise, il me demanda avec quelle poignée il avait ouvert la porte de la maison, cachant ses mains derrière son dos. La droite ou la gauche, puis la gauche ou la droite. Comment lui répondre ? Elles étaient identiques !

— La droite.

— La droite ! T’as perdue ! C’était la gauche. Recommence, je te laisse une dernière chance ou alors... Tu vas le payer... disait-il d'une voix saccadée, autoritaire et sarcastique tout en regardant l’autre homme, son soit disant nouvel ami.

— La gauche, tentais-je en ravalant mes pleurs.

— T’es qu’une imbécile ! répliqua-t-il en changeant les poignées de main. Pas cette main, l’autre ! Allez, bonne à rien, peut être que tu arriveras à me câliner et encore, je n’en suis même pas sûr !

Sa voix résonnait comme si le tonnerre s’enfonçait dans la terre, je ne savais plus quoi dire, ni quoi faire. Comment le faire partir, je pressentais un danger ! Que ce passait il ? Je ne comprenais plus rien. Qui était-il devenu ? D’habitude, il était jovial, gentil et serviable. Il se mit à crier d'une telle puissance que j’apposais mes deux mains sur mes oreilles afin de ne plus l’entendre. Soudain, il me frappa si fort et me cogna avec une telle violence que je tombai à la renverse. Un coup à droite, un coup à gauche, ma tête basculait. J’étais couverte de bleus sur mes bras et mes jambes. Il me frappait en tenant son poing bien serré. Je ne distinguais plus que ses grandes dents blanches et sa chevelure noire. Accroupie, je cachais mon visage entre mes jambes. Bruyamment, avec son vulgaire pote, dont le corps entier dégageait une odeur de whisky et de sueur, ils ouvrirent le frigidaire, sortirent d'un sac en plastique une large plaquette, couleur vert foncé et un peu épaisse, recouverte de papier film transparent. Ils s’assirent sur ce sol froid. L’un en face de l’autre, leurs mains semblaient si avides et si pressées, qu’elles en déchirèrent le papier avec fébrilité. Ils découpèrent la plaque dans le sens de la larguer en petites bandes de fines lamelles qu’ils entourèrent de papier d’aluminium. Quand à moi, j’étais aussi assise près d’eux, mais les bras liés derrière mon dos et un bandeau sur ma bouche. Craignant d'être battue une deuxième fois, je me recroquevillais du plus que je pouvais. Je devinais que c'était de la drogue, du haschich.

— Tiens pour toi, Zianibe, vends en quelques unes, et tu pourras garder comme bénéfice le montant de deux barrettes. Va vers les Minguettes, les affaires marchent bien là-bas. Sinon monte sur Paris et va du côté d’Austerlitz.

Drogue de beaucoup de malheurs. Drogue de terreur. Drogue de la mort.

J’entrevis le commencement de ma vraie peur, le commencement de ma mort. Moi qui étais toujours malade, comment pouvais-je m’en sortir ? Seules mes collègues de travail pourraient me tirer d’ici. « Elles viendront, oui elles viendront, elles ne peuvent pas m’avoir oubliée. Dis le moi, Seigneur ! » pensais-je. Normalement, il était prévu que les employées de la Bibliothèque me rendraient visite. Nuit et jour je les attendais. Mon Dieu, que ce temps fut long ! Jamais elles ne viendraient, jamais elles ne sauraient l’horreur que j’étais en train de vivre. Jamais ! Ma famille s’était tue et je n’avais plus aucun contact avec mes connaissances. Seule, je me sentais si seule au monde, abandonnée à mon triste sort. Le désarroi frappait à ma porte. Les seuls amis qui avaient osé se montrer au portail étaient vite déboutés de leur demande : « Elle est fatiguée, elle dort ! ».

La porte des enfers était ouverte !

Comme une taupe, je me terrais, essayant à chaque instant de sourire, de me dire que quelqu’un viendrait à mon secours. L’immensité d’un isolement complet pourtant se révélait. J’étais perdue et livrée à moi-même, à me débattre dans mon esprit. Chaque fois qu’ils revenaient, la valse des coups recommençait, et ma peau devenait une couverture de plus en plus bleutée. Mes yeux ternis par le désespoir, s’accrochaient à voir le ciel bleu de ma vie déchue. J’étais devenu leur objet que l’on battait sans aucune raison. Plus le temps passait plus je demandais à Dieu de me libérer. Pas âme au loin qui m’entendait hurler…j’étais livrée à moi moi-même.

La sonnette retentie vers quinze heures. Quelqu’un ou quelqu’une de mes collègues ? L’espoir grandit. On avait entendu mes prières ? Tout en me menaçant encore et encore afin d’obtenir de moi un silence absolu, mes deux bourreaux allèrent se cacher dans le cellier. Me traînant, j’ouvris la porte. Serait-ce cette venue qui m’apporterait une issue finale ? Dorienne, amie de ma jeunesse, amie de mes dix huit ans était face à moi. Son époux l’accompagnait. Je la fis entrer avec lui dans cette maison qui fût la leur, demeure hantée par l’odeur âcre du mal. Tout était renversé, paillasse éparpillées, rideaux arrachés. Dorienne et Yves restèrent peu de temps. Je leur demandai à demi-mot: « Emmenez moi à Clermont-Ferrand… emmenez- moi, je vous prie, je suis en danger, en danger, regardez-moi, osez poser votre regard sur ce corps si meurtri, je vous en conjure emmenez-moi… ». Leur réponse cinglante me désola, me plaquant devant mon triste avenir: « Non, nous n’avons pas de place, pour te loger et en plus pas assez d’argent pour te nourrir. Le travail est dur à trouver là-bas. Nous sommes désolés ». Aussi vite arrivés, aussi vite repartis. Qu’avaient ils vu en moi ? Avaient-ils au moins remarqué que la maison n’avait plus de vie ? Que tout était pêle-mêle ? Avaient-ils fui ? Je n’avais même pas eu le temps de leur dire au revoir ! Ils étaient juste venus chercher le poêle à charbon. J’avais vu la lumière de la peur, l’inquiétude dans leurs yeux, mais ils n’avaient pas bougé. Maintenant, un grand tuyau vide suspendu au plafond laissé passer l’air frais. Péniblement, je me dirigeais vers la chambre, tant bien que mal, j’ouvris la fenêtre le plus doucement possible afin qu’ils ne m’entendent pas. Il fallait absolument qu’ils ne m’entendent pas ! Je me hissais sur le rebord, me laissais tomber sur la terre enneigée, rampais sur les coudes, me dirigeais vers la porte de sortie, quand, soudain, je me suis sentie attrapée par les cheveux, me traînant sur le sol glacial. Il me fit faire le tour de la maison, me fit rentrer et me cogna, frappa, encore et encore. Ses mains s’abattaient sur moi, en rafale. Même m’enfuir, je ne le pouvais ! Pourtant des sons d’effroi sortaient de ma gorge, alors pourquoi les voisins, dont la maison était juste séparée d’un grillage de la mienne, ne venaient-ils pas à mon secours ? Ne criais je pas assez fort ! Tous les jours suivants furent une pluie de ruée de coups de poing et de ceinture. Je devenais de plus en plus bleu, de plus en plus sale. Une odeur d’un chien errant émanait de ma peau. Mes larmes et mes mots ne sortaient plus. Je ne pouvais plus pleurer. Je subissais leur courroux. Je ne pensais plus. Je n’étais plus que déchet de mon propre corps. Seule, ma pensée continuait à prier. « Seigneur, prend pitié de moi, Dieu Céleste enlève moi ma vie, Mon Très Saint, toi qui me vois, emmène moi dans ton Paradis. ». Tout était dispersé, des vêtements traînaient par-ci, par-là sur le sol qui était sale, en jonché de paille, de morceaux de viandes pourries, de légumes variés, de morceaux de pain rancis. La salle de bain était une réelle porcherie. Dans la petite cuisine, des assiettes non lavées, cassées, des verres à moitié plein de whisky, des fourchettes, couteaux, des casseroles parachevaient le décor ! Une odeur de moisissure commençait à envahir la pièce. « Sainte Vierge Marie, Saint François d’Assise venez moi en aide ! ». Mais qui pouvait m’entendre ? Qui ? Personne pour me venir en aide.

Les scélérats revinrent, Arthur tenant dans sa main un revolver qu’il brandissait, fier de sa possession, de son joujou. Il s’amusait à le faire tourner comme dans les westerns. Il se souvint de ma présence, j’étais tapie dans un recoin, tremblante, morte d’effroi. Il me trouva, me hissa sur un tabouret et plaça l’arme sur ce qu’il y a de plus noble chez une femme, mon pubis, vociférant des injures d’une voix que je ne reconnaissais pas, une voix venue de la profondeur des abîmes du diable. Morte de peur je pissais dans ma culotte. J’imaginais mon ventre explosé en mille éclats ! Mon dieu, comment était-ce possible, une telle horreur, une telle violence ! Est-ce que je pensais ? Mon esprit partait si haut, si loin... Je priais notre Dieu, l’infiniment Bon et Miséricordieux, afin de sauvegarder le reste de ma vie. Je restais muette, dans cet effroi, libérant mon esprit, mon âme pour ne plus avoir à soutenir cette souffrance, cette douleur si intense qui me portait bien au-delà de toute souffrance.

— Câline mon ami, allez, câline-le, disait-il d’un son terrible, fait lui du bien, suce-le ou je tire ici. Oui, tu voies bien... ici... La balle remontera par tes entrailles si tu ne fais pas tout de suite ce je t’ordonne.

Mon désarroi était à son paroxysme. Mon urine dégoulinait malgré moi, entre mes cuisses, sur mes jambes. J’exécutais sa demande, m’approchais, me penchais. L’arme braquée dans mon dos, j’oscillais sur Zianibe, qui allongé sur le sol, m’attendait comme un butin, sa pitance. Il sentait les excréments. Il riait de ses dents jaunâtres abimées. Son sexe s’enfonçait dans ma gorge, je vomis sur lui. Mon esprit était dans les Cieux : « Pitié, Seigneur des louanges, pitié ! ». Où étais-je, dans les enfers de la terre, de la mer ou ailleurs, mais pas au paradis car aucun ange n’était à mes côtés. Je frissonnais. Entrant dans une colère sans nom, Arthur, serrait de toute ses forces ma tête, il me prit par le bras et me poussa vers la chambre, enfin ce qu’il en restait. Il me bascula sur le lit. J’entraperçus qu’il tenait une petite cuillère, il alluma son briquait et la chauffa par-dessous. Le produit fut aspiré par une fine aiguille d’une seringue. « Mon Dieu, Dieu des lumières, des ténèbres, des ombres et des morts, fais quelque chose, sauve-moi ! »

A peine eussé-je le temps de penser que je sentis à ce moment précis quelque chose qui me piquait le bras.

— Tu n'es même pas capable d'être une putain respectable...Prends ça... !

De l'héroïne, de l’héroïne coulait dans mes veines ! J’étais je ne sais où, mais pas là, pas là. Était –il un, étaient-ils deux ? Il me retourna, pour la deuxième fois de ma vie, je fus violée. S'ensuivit une flopée de coups. Mon corps tout entier bleuit. Mon corps saignait. Je ne ressentais plus rien. J’avais dû m’endormir. Que m’ont-ils fait ensuite ? J’étais incapable de m’en souvenir. Toutefois les nuits furent mon antre d'un instant de paix précaire. Plus rien n’avait plus d’importance. Tandis qu'encore inerte mes tortionnaires me vêtirent me bandèrent les yeux et me firent monter dans une voiture. J’eus bien du mal à me glisser sur la banquette. « Ne t’inquiètes pas, là où l’on t’emmène garce, l’on te surveillera de près, de très près. ». J’étais dans l’obscurité, seul le bruit du moteur chuchotait à mes tympans. Ma gorge se nouait. Que la route me semblait longue ! La voiture s’arrêta. Ils me firent descendre, le bandeau toujours sur mon visage. Chacun d’entre eux me tenant par un bras, nous montâmes quelques marches d’où nous pûmes entendre.

— C’est elle ? Approchez-la ! Elle sera bien surveillée. Elle ne risquera pas de s’enfuir. Ici y’a que les bois. Tu veux qu’elle aille où, Arthur ? Sois rassuré. Je vais te la mater, ensuite tu en feras ce que tu voudras. Vous pouvez filez tranquille. Ils me poussèrent. Voyant que je résistais, la femme tenta de me convaincre avec une douceur emprunte d’une touche d’hypocrisie.

— Viens petite, viens près de moi. N’aies pas peur, ici tu seras bien gardée.

— Bien gardée! Nous te faisons confiance, ma tante, mais surtout, surveille tous ses faits et gestes. Si elle essaye de s’enfuir rattrapes la et dis le nous à notre retour. Je compte sur toi. Mais fais attention à bien la cacher. Ne reçoit personne durant mon absence car la police traîne dans le coin.

Je sentis ses mains derrière ma tête, puis enfin, quelqu’un me libéra du tissu posé sur mes yeux, je voyais l’endroit où l’on m’avait conduite. J’avais escaladé les marches d’une vieille roulotte appartenant à une femme mûre, aux cheveux noirs, au regard assombrit par les difficultés de la vie et d’un certain poids. Je ressentis une douleur abdominale, il me fallait sortir et vite. Elle m’indiqua l’orée du bois. Oh pas bien loin de chez elle ! Elle prit bien soin de suivre ma trace craignant que je ne m’évade. Cachée derrière un arbre, je déposais mes excréments. Terrifiée! Ils étaient blancs ! Je n’avais rien pour m’essuyer. Je me sentais sale, si sale. Cette personne d’allure manouche me releva. Soutenue par son bras, sans discuter, je gravis les quelques escaliers de fortune de ma nouvelle prison. L’intérieur me parut plutôt gentillet, la couleur orange prédominait, l'unique banquette était orange, les rideaux étaient orange, tout était orange. Elle m’indiqua où je pouvait m'assoir afin de me reposer. Mon inquiétude se brisa lorsqu'elle me proposa du thé. Elle se présenta sous le nom de Linda, tante d’Arthur. Ainsi la boucle était bouclée, Ils pouvaient être sûrs de leur gardienne ! Elle entreprit, histoire de nous faire passer le temps, de me tirer les cartes du tarot, histoire de faire passer le temps. Je n’avais rien à lui raconter. Elle, elle essayait de détendre l’atmosphère : « Je ne connais pas les allées et venues d’Arthur, je suis juste la sœur de sa mère, et, depuis que j’ai perdu mon mari, je vie dans cette roulotte, faute d’argent. ». Elle avait beau parler tant qu’elle voulait, je restais effrayée, scrutant par le petit carreau le retour de son neveu. Dans ma tête, je m'appliquer à tout retenir de l’endroit où j'étais, des maisons d’en face. Je voulais imprégner ma mémoire de ce lieu. J’aurais été dans l’incapacité d’en faire la description en réalité car la peur me fit en une seule seconde tout oublier. Les aiguilles de son horloge tournaient inlassablement. Tic..tac..tic..tac. J’étais épuisée, fatiguée, éreintée. Je me sentais mal et j’avais si mal de partout. Par remords, sans doute, elle me passa de la pommade sur mes ecchymoses, puis recommença ses jeux. De son tirage elle m'annonçait un bonheur imminent, je ne gardait pas souvenance qu’elle m’ait prédit une catastrophe et comment aurait elle pu me le dire même si elle avait vu quelque chose dans ces cartes provenant d'un homme puisque cela venait de son neveu qu’elle chérissait et protégeait comme son propre fils ? Mon cœur chantait l’allégresse de Dieu car je savais qu’il ne m’avait pas abandonné, qu’il était tout près de moi, en moi. Je chantais des prières venant de mon cœur avec des mots à moi de louange et d’espérance.

Lorsque les deux hideux revinrent, elle les avertit qu’il me fallait un médecin. Avant de repartir, ils n’oublièrent pas de me rebander les yeux. Je ne savais pas dans quelle voiture je montais. Impossible de me voir de la route ou d'appréhender les virages, impossible, mes yeux furent dans le noir. Seule, j’étais seule au monde, atterrée, crispée sur cette banquette arrière. Impossible aussi de bouger, j'étais ligotée les bras derrière mon dos Mais pas tout à fait, car j’avais la force de Dieu en moi. dans la salle d’attente, ils restaient près de moi, comme des enfants bien sages, surveillant mes gestes et mes mots. le médecin m’appela et prescrivit une analyse de sang. Le verdict tomba : j’étais atteinte d’une hépatite B, suite à l’injection de l’héroïne forcée. A la deuxième visite sur l’ordonnance il était écrit : Nerfactor. Ce poison reconnu aujourd’hui sous le nom de médiator, a causé la mort à plusieurs milliers de personnes, en augmentant considérablement le taux des transaminases, provoquant un désordre fulgurant ! J’étais rendue à l’état de fantôme. Arthur le supportait encore plus mal. Les violences subies redoublèrent de cruauté. Il ne me donnait plus à manger où quelques fois dans la gamelle du chien, une espèce de pâtée moisi. Combien de temps s'écoula? Un jour? deux jours? deux semaines? Les os de mon corps meurtri ressortaient, je n'avais plus que ma peau qui dégageait une odeur nauséabonde. Depuis combien de temps n’avais-je pas pris de douche ?

La journée du 22 Décembre fut un ouragan dans l’obscurité de mes jours qui s’assombrissaient. Arthur jouait avec le barillet de son revolver. Les yeux écarquillés d’effroi, muette, je le voyais s'amuser à tirer, par la fenêtre de ma chambre, dans des boites vides de conserves qui jonchaient le sol de mon jardin. Il tirait en riant et tirait encore et encore.

Ce soir là, il rangea avec soin le vilain colt sous son pull-over et en s’allongea près de moi. Ce le matin-là le sommeil me gagna, mes paupières lourdes se fermèrent. A mon réveil, je n'eus pas le temps de bouger. Le révolver était là posé contre le recoin de mon nez. De la bouche de mon bourreau, j’entendis :

« Quand j’aime une femme, pour être sur que cette femme ne soit qu’à moi, je la tue».

Une seule pensée m'envahissait : "Non, non pas cela..." et tout en le regardant, je posais ma main sur cet engin de malheur pour le repousser. Tout se passa en un éclair. Arthur me dévisageait avec un sourire d'ange. Il tira à bout touchant. Ce ne fut qu’une explosion immense dans tout mon être. Mon corps sursauta, je n'entendais plus qu'un bourdonnement extrême.

"Mon Dieu sauve-moi, Toi qui est Amour, sauve-moi de cet abîme dans lequel je descends!"


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