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Il faut tenir bon sur la mesure de la pauvreté !

Publié le 28 mai 2008 par Torapamavoa Torapamavoa Nicolas @torapamavoa



Martin Hirsch avait énoncé et fait reprendre par Nicolas Sarkozy, en octobre 2007, un « engagement national contre la pauvreté » (une réduction d’un tiers du nombre de pauvres d’ici 2012). On savait depuis des mois qu’il souhaitait changer la mesure de la pauvreté. Il devait sans doute réaliser qu’avec le principal indicateur existant, et avec un gouvernement qui pratique quotidiennement l’engagement national pour les riches, cet objectif n’avait aucune chance d’aboutir.

Martin Hirsch avait énoncé et fait reprendre par Nicolas Sarkozy, en octobre 2007, un « engagement national contre la pauvreté » (une réduction d’un tiers du nombre de pauvres d’ici 2012). On savait depuis des mois qu’il souhaitait changer la mesure de la pauvreté. Il devait sans doute réaliser qu’avec le principal indicateur existant, et avec un gouvernement qui pratique quotidiennement l’engagement national pour les riches, cet objectif n’avait aucune chance d’aboutir. J’évoquais déjà cette tentation dans mon blog du 6 décembre 2007 en écrivant :
« En arrière fond de ces débats, on trouve l’engagement public de réduire de 7 à 5 millions le nombre de pauvres d’ici 2012. Faisons le pari : la seule façon d’y parvenir avec ce qui se profile, en l’absence d’engagements financiers et humains massifs de l’État, sera de changer la définition statistique de la pauvreté… Bien des pauvres sortiront alors avec bonheur des chiffres de la pauvreté »… Il suffit pour cela… « de recourir… à une définition de la pauvreté en termes absolus (l’accès à un panier fixe de biens) et non en termes relatifs (une fraction du revenu médian de la population). »
Eh bien, nous y sommes (voir Le Monde du 8 mai 2008).
AUJOURD’HUI, UN INDICATEUR CENTRAL RECONNU
En France, en Europe et dans la plupart des pays développés, on évalue prioritairement le nombre de pauvres sur la base des revenus des ménages et d’un seuil de pauvreté monétaire défini en termes relatifs, comme proportion (le plus souvent 60 %) du revenu médian de l’ensemble des ménages. C’est sur cette base que l’on estime qu’en 2005, (dernière année connue dans les statistiques publiées en mai 2008 !), il y avait 7,1 millions de pauvres « au seuil de 60 % » en France, chiffre que citait Martin Hirsch lorsqu’il s’engageait à le réduire de 2 millions. C’est aussi de cette façon que l’on évalue le seuil de pauvreté « à 60 % » à 817 euros pour une personne seule en 2005. Je n’entre pas dans les quelques complications qui interviennent dans le cas des ménages composés de plusieurs personnes, car cela a peu d’incidences sur la suite.
Les arguments en faveur de la définition relative de la pauvreté monétaire sont connus (voir mon article dans Alternatives économiques de juin 2006) : être économiquement pauvre, dans une société donnée, c’est ne pas avoir accès à certains standards de niveau de vie. Or ces standards changent avec le temps. Ce ne sont plus les mêmes aujourd’hui qu’en 1900, ou même en 1960 ou 1980.
Or, depuis des mois, Martin Hirsch s’active pour que l’on change ce thermomètre. Il s’abstient toutefois de parler de pauvreté absolue : il avance masqué, avec une notion de « pauvreté ancrée dans le temps », ce qui est pourtant identique. L’idée est la suivante : on conserverait (dans l’exemple d’une personne seule) le niveau de 817 euros « à prix constants » pour les années à venir, ce qui veut dire que le pouvoir d’achat du nouveau seuil de pauvreté en 2012 serait identique à celui de 2005. Comme, au fil des ans, le revenu médian va progresser à prix constants (il a par exemple augmenté de 11,5 % entre 1998 et 2005), ce seuil de pauvreté immuable sera de plus en plus faible par rapport à la médiane : l’écart se creusera entre les pauvres ainsi comptabilisés et les autres. Selon l’ONPES (Observatoire National de la Pauvreté), cet indicateur « aboutit à dissocier la question de la pauvreté de celle des inégalités et compromet ainsi l’objectif de cohésion sociale ».
1,7 MILLION DE PAUVRES DISPARAISSENT PAR MAGIE
Avec cette méthode, Martin Hirsch pourrait réduire le nombre de pauvres de 1,7 million entre 2006 et 2012 sans rien faire, sauf un tour de passe-passe statistique. En voici la preuve, sur la base d’un exercice rétrospectif. Supposons qu’un homologue de Martin Hirsch ait décidé avant lui de mettre en œuvre un indicateur de pauvreté « ancré en 2000 » et posons-nous la question : combien cela ferait-il disparaître mécaniquement de pauvres des statistiques en 2005 (par rapport à l’indicateur de pauvreté relative) ?
Selon les chiffres de l’ONPES, il y avait en 2000 autant de pauvres « au seuil de 60 % » qu’en 2005, soit 7,1 millions de personnes en France métropolitaine. Le taux de pauvreté a baissé (12,5 % en 2000 et 12,1 % en 2005), mais comme la population a progressé dans des proportions équivalentes, le nombre de pauvres n’a pratiquement pas varié.
Appliquons maintenant la méthode Hirsch à un indicateur « ancré en 2000 ». Le rapport 2007-2008 de l’ONPES (page 28) montre que le taux de pauvreté correspondant baisserait fortement : de 12,5 % à 9,7 %. Le nombre de pauvres passerait de 7,1 millions à 5,7 millions, soit 1,4 million de pauvres en moins en cinq ans, 280 000 par an en moyenne. En six ans, cela ferait environ 1,7 million en moins, en sept ans deux millions… pour peu que la croissance reste semblable à celle des années 2000-2005 (au demeurant faible : 1,7 % par an en moyenne).
En choisissant d’évaluer le succès de sa politique sur une période de cinq ans (2006-2011), ou peut-être de six ans (2006-2012), ce qui n’est pas encore affiché clairement, Martin Hirsch s’assure déjà que son objectif de deux millions sera atteint aux trois-quarts, voire aux quatre cinquièmes, sans rien faire. Peu de responsables politiques ont cette chance. Avec cet indicateur magique, il suffit en fait de changer d’année de base pour obtenir à peu près tout ce qu’on veut ! Par exemple, avec un indicateur « ancré en 2000 », on réduirait d’environ trois millions le nombre de pauvres entre 2000 et 2012. Et s’il était en base 1996, on dépasserait 4 millions…
Encore faut-il ajouter que l’indicateur Hirsch utilise, pour déduire l’inflation, l’indice général des prix. Or on sait qu’au cours des années récentes, les prix ont augmenté nettement plus que cet indice pour les dépenses contraintes (logement, énergie, etc) et pour l’alimentation et l’essence, qui pèsent lourdement dans les budgets modestes. Cet indicateur sous-estime donc l’inflation spécifique qui affecte les plus pauvres, et donc le nombre de pauvres. Ce n’est même pas un indicateur « ancré dans le temps » (qui supposerait de suivre les prix des dépenses des ménages concernés), c’est pire.
LA PAUVRETE EST MULTIDIMENSIONNELLE
Les associations n’apprécient pas cet indicateur. Si l’on en croit Le Monde du 8 mai, elles n’ont pas pu obtenir son abandon comme « indicateur central », un indicateur auquel Martin Hirsch ne peut renoncer sans avouer son impuissance à réduire vraiment la pauvreté. Mais elles ont en revanche fait valoir, à juste titre, que la pauvreté n’est pas seulement une question de revenus. Elle prend de multiples dimensions, par exemple l’accès à un logement décent, aux soins, à l’éducation, à l’emploi, mais aussi la pauvreté salariale qui s’étend, etc.
Cette multidimensionnalité est essentielle. Les initiateurs du BIP 40 (voir le site) l’ont défendue et mesurée dès 2002. La statistique publique a réalisé de grands progrès en la matière. L’ONPES est également sur cette ligne, tout comme le groupe du CNIS (Conseil national de l’information statistique) qui a travaillé sur la question en 2006-2007. Des indicateurs multiples d’exclusion peuvent servir à suivre des progrès ou des régressions selon différents domaines des politiques publiques.
Il faut aussi savoir gré à ATD Quart Monde d’avoir insisté pour l’inclusion, dans le tableau de bord, du taux de pauvreté à 40 % du revenu médian « afin de vérifier que les plus pauvres ne seront pas les oubliés des réformes », ce qui est le cas depuis 2002.
Lorsque Martin Hirsch présentera son bilan, on peut parier qu’il fera tout pour mettre en avant son « indicateur central », celui qui réduit la pauvreté sans rien faire dès lors que le revenu médian progresse. Cette manipulation serait un mauvais coup pour la démocratie statistique, et pour la démocratie tout court. Il faut la dénoncer.
source:http://alternatives-economiques.fr

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