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« je suis un romantique avec une moitie de scientifique ». matisse et le primitivisme .(1)

Publié le 18 février 2015 par Regardeloigne

« JE SUIS UN ROMANTIQUE AVEC UNE MOITIE DE SCIENTIFIQUE ». MATISSE ET LE PRIMITIVISME .(1)

« JE SUIS UN ROMANTIQUE AVEC UNE MOITIE DE SCIENTIFIQUE ». MATISSE ET LE PRIMITIVISME .(1)
" Force, vie, forme simple : au début du siècle, presque simultanément, Die Brücke en Allemagne et l'Art Fauve en France, découvrent l'art primitif. L'un et l'autre groupe, bien que chacun selon ses propres choix esthétiques, cherchent essentiellement la voie pour atteindre une intensité nouvelle de l'œuvre d'art. A partir de la rupture introduite par ces deux groupes d'avant-garde, le travail de l'artiste est conçu selon le double registre de l'invention d'un nouvel espace et de l'intensité affective que cette invention s'avère capable de déclencher. Il faut avant tout, comme le déclarait Matisse, " donner à partir d'un espace limité l'idée de l'immensité "

Mais ce travail sur l'espace de la représentation (et l'affranchissement des lois académiques de l'imitation de la nature qui en résulte) doit toujours se donner pour but d'atteindre une nouvelle intensité de l'image. Il ne faut pas seulement, comme l'écrivait De Chirico, " dépouiller l'art de ce qu'il pourrait encore contenir de routine, de règle, de tendance à un sujet, et... donner des sensations qu'on ne connaissait pas avant ".

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Il faut aussi trouver une force nouvelle qui rende l'œuvre capable d'aller au-delà des registres émotionnels propres à l'univers clos de l'art académique. Portée par la découverte d'un nouvel espace, la recherche artistique doit choquer. Elle dépassera ainsi le système classique des passions et élargira le champ des émotions représentées. Il s'agit aussi bien d'accueillir ce qui, de la dimension affective, se trouvait exclu de l'art du passé, que de jeter une lumière nouvelle sur ce qui y apparaissait déjà. L'art, ne cessent de déclarer les Fauves et les Expressionnistes de Die Brücke - doit pouvoir retrouver, au-delà des apparences du réel, l'éclosion pure de l'émotion.

La référence à l'art des primitifs - ou plutôt à ce mélange chaotique d'objets africains, asiatiques, ou océaniens qui, au début du siècle, passait encore, à Paris et ailleurs, sous le nom d'art nègre, devient, dès le début du siècle dernier, une des modalités essentielles de la tentative de ces artistes d'atteindre cette intensité émotionnelle . Carlo Severi.l'Empathie Primitiviste

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pendant le Siècle des Lumières, lequel coïncida avec le début d'une période d'expansion coloniale européenne sans précédent. De fait, le colonialisme est au cœur des théories sur le primitivisme. L'entreprise coloniale des XVIII

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Le primitivisme est aujourd'hui considéré comme un ensemble d'idées apparu en Europe occidentale au XVIII e et XIX e siècles apporta un ensemble de cultures nouvelles pour l'Occident, dans le cadre d'un système de relations de pouvoir inégales ou l'autre était considéré comme " sauvage " et inférieur. Géographiquement, les croyances européennes situaient le sauvage en Afrique centrale et australe, aux Amériques et en Océanie. e siècle

Le primitivisme, comme beaucoup de contestation d'un modèle, le conserve pourtant en l'inversant simplement : l'existence de la " sauvagerie " n'est pas remise en cause mais perd son sens péjoratif en devenant l'idéal d'une vie simple proche de la nature, à l'encontre des méfaits dénoncés de la civilisation.

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Dans ce cadre, le terme trouva un emploi dans l'art pour décrire des tendances qui se retrouvent pratiquement tout au long de son évolution, du symbolisme et de l'Art nouveau, des années 1890, avec Gauguin surtout, à l'expressionnisme abstrait américain des années 1940. L'art " primitif " ou " tribal " aurait été ainsi découvert et promu aux alentours de 1905 par un groupe d'artistes français connus sous le nom de Fauves : Matisse, Derain et Vlaminck. Mais en fait l'histoire de l'art montre que le " primitivisme déborde largement le simple empreint d'images et de styles à l'Afrique et à l'Océanie .Outre que l'Occident lui-même avait depuis longtemps la conviction de posséder ses propres primitifs : les populations paysannes, les enfants et les fous, la fascination pour les sujets " exotiques " - comme c'est le cas dans la peinture orientaliste - existait depuis le XIXe siècle jusqu'à Matisse et au-delà.

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Il faut à cet égard bien noter la confusion, en histoire de l'art, du terme primitif :il était employé bien avant la période considérée pour connoter des artistes traditionnellement considérés comme les précurseurs d'un nouvel art, des artistes qui avaient la fois provoqué une rupture avec la tradition passée et jeté les bases sur lesquelles une nouvelle tradition pourrait se construire. (Matisse se réfère souvent aux " primitifs de cette catégorie comme Giotto au XIVe).

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En art, toutefois, le primitivisme ne désigne pas un groupe d'artistes organisés comme tel, ni même un style identifiable ayant émergé à un moment historique donné ; il rassemble plutôt diverses réactions d'artistes de cette période aux idées sur le primitif.

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Traditionnellement, le primitivisme dans l'art moderne s'inscrit d'une part, dans un contexte où les artistes vont utiliser des objets nommément primitifs(masques ,statues) comme modèles d'élaboration pour leur propre travail, pratique qui commença dans la première décennie du XXe siècle en France et en Allemagne, pour se propager rapidement à travers toute l'Europe et les Etats-Unis. Une première problématique revient alors à se demander quelles significations les artistes modernes trouvaient dans les objets primitifs, quelles relations percevaient-ils entre les objets et leur travail.

" À mesure que les jeunes artistes vont découvrir à quel point l'art primitif transcende les limites de la " pensée magique ", comme on disait alors, dont il est issu, pour atteindre à une transmission intemporelle qui les bouleverse, ils vont renverser le processus d'actualisation de l'art savant. Contrairement à Manet, ils délaissent les occasions changeantes de la modernité comme sources de renouveau. La réflexion sur les pouvoirs de l'art primitif les rapproche de son " faire ", en les conduisant à dialoguer avec la matière, à extérioriser l'exécution et son donné brut, dégagé de la contingence de l'occasion.

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C'est cet état d'esprit primitiviste qui fera converger, dans la diversité, voire les contradictions de leurs expériences, les fauves Matisse et Derain, le Picasso des Demoiselles d'Avignon, les peintres de la Brücke à Dresde, le Kandinsky et le Jawlensky de 1908-1911. On y récupérera Gauguin, mais aussi Van Gogh, notamment dans le contexte protestant que j'ai cité. De façon moins religieuse, Cézanne - mais chez lui la Provence fut aussi une fuite hors du présent, et ses Baigneuses exaltent la vie naturelle chère aux fauves et à la Brücke. Cela explique également la réévaluation de la fraîcheur du Douanier Rousseau. De la naïveté qui prend place dans l'art savant.

Ce primitivisme recoupe ainsi l'emploi, du moins avant la guerre de 1914, du terme expressionnisme, qui a été couramment utilisé alors pour désigner, en dehors des révoltés allemands, les novateurs de France, les fauves, Rouault, mais aussi Picasso et les débuts du cubism, Derain, Matisse, pour des ressemblances d'ailleurs réelles dans l'aspect volontairement fruste de leurs œuvres construites sur des déformations appuyées, des couleurs hurlantes. Ce développement d'une nouvelle contre-culture est en effet européen.

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En Belgique, en Hollande, dans les pays Scandinaves, en Autriche, à Prague, surtout en Allemagne, l'expressionnisme, réunit la littérature, la poésie, la musique et le théâtre, exprime le même besoin de violenter les formes admises pour atteindre à une réalité hors de portée de leurs moyens. Les Russes y plongeront comme les Italiens, en partant de considérations avant-gardistes futuristes, au bout du compte analogues. Il y a eu indéniablement affinités chez toute une génération par-dessus les frontières. Dans une période de tels bouleversements du champ mental et du champ visuel, la peinture est par excellence le moyen de les communiquer, plus déplaçable que la sculpture de laboratoire (qui restera le plus souvent inconnue à l'époque) et ignorant, comme la musique, le compartimentage de la langue.

Un des premiers effets de l'essor de la contre-culture après 1900 se lit dans l'accès qu'apportent, aux anticipations des artistes qui incarnent les changements du regard, les expositions et les reproductions. Ce rattrapage en 1901 à Paris va de Daumier à Van Gogh (exposé au même moment à la Sécession berlinoise). Et le Salon d'automne, né en 1903, va le pratiquer de façon systématique, non seulement avec Cézanne, mais en y joignant Gauguin, Manet ou le Bain turc d'Ingres jusque-là inconnu. Si l'on y joint la révélation de la quasi-totalité de l'œuvre de Gauguin en 1906, les peintres vivant à Paris disposeront, en ces premières années du xxe siècle, d'une ampleur d'expositions sur les innovations modernes qui ne se renouvellera plus avant le dernier tiers du siècle " . Pierre Daix. Pour Une Histoire Culturelle De L'art Moderne.Odile Jacob

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D'autre part, le primitivisme se révéla l'occasion pour de nombreux artistes d'exprimer de plus en plus leur mécontentement par rapport à leur société ou leur civilisation , d'où le désir et la nostalgie d'une vie qu'ils pensaient plus simple .

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Aux yeux du primitiviste, l'état idéal du monde ne se situait pas dans le présent ; il se trouvait soit dans le passé, soit dans l'avenir,ou les deux à la fois lorsqu'il prenait la forme d'un rêve utopique de " retour " à quelque état de nature ou grâce passé. Ainsi, ce sentiment entraina à la fois, un intérêt de plus en plus marqué pour les cultures exotiques- comme la fascination pour les civilisations d'Extrême-Orient , à travers l'influence des estampes japonaises sur la peinture impressionniste et l'esthétique Art nouveau - puis, par la suite, pour les cultures dites tribales d'Afrique, d'Océanie et d'Amérique du Nord-et une tendance à utiliser pour leur travail des objets produits par ces cultures. Robert Goldwater distingue ainsi plusieurs formes de primitivisme, romantique, affectif,(Gauguin, les Fauves, l'Expressionnisme), intellectuel (le Cubisme) ou subconscient(le Surréalisme)

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Si nous groupons les artistes que nous avons appelés les primitivistes "romantiques" avec ceux qualifiés d'"affectifs", alors le primitivisme que nous avons examiné se divise en deux grandes catégories : une dont l'accent principal est sur des facteurs psychologiques internes - sur les éléments de base de l'expérience humaine; et une qui recherchait les facteurs fondamentaux de la forme extérieure - les bases de la perception humaine et de la nature.

Dans le premier groupe on trouve les artistes qui se sont concentrés sur les émotions et les passions fondamentales, sur les situations cruciales de la vie, se servant de ces événements comme du sujet de leurs tableaux. Ceci en soi ne ferait pas d'eux des primitivistes, c'est plutôt leur désir de présenter ces sujets directement, avec aussi peu de "distance psychique" que possible, de réduire le tableau à une scène unique, dominante, qui ne sera pas analysée comme une composition formelle d'éléments divers, mais absorbera le spectateur ou sera absorbée par lui de façon directe et indifférenciée. Dans ce but ils emploient des moyens techniques qui, dans leur rudesse et leur brutalité, sont supposés être primitifs. La scène présentée peut être soit plus sauvage soit plus idyllique, dans les deux cas elle veut être simple et dominante.

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Ceci est aussi bien le but des Fauves, dont l'art est voulu reposant par son rejet de complication formelle et intellectuelle, que celui des artistes du Brücke qui veulent surmonter la différenciation superficielle par des méthodes plus vigoureuses et plus excitantes, ou de ceux du Blaue Reiter qui s'efforcent de noyer la complication dans une identification avec des êtres paisibles, plus simples, qu'ils soient humains ou animaux. Dans l'art de Gauguin l'extériorité du but, qui appartient au romantisme antérieur, est encore présente. Mais il a déjà échangé le désir d'une unité atteinte à un niveau plus haut qui caractérise le romantisme de Delacroix, ou celui de l'idylle harmonieuse de l'âge d'or qui appartient au romantisme allemand des débuts (qui a beaucoup en commun avec l'archaïsme), pour une combinaison des deux; le résultat est une intensité (souvent érotique) qui s'efforce sans jamais y parvenir de dominer le ton émotif de ses tableaux : la grâce appartient encore vraiment chez Gauguin à la conception du primitif et aux tableaux qui en résultèrent, mais seulement malgré lui. 11 est de quelque importance que la légende de Gauguin (comme la légende de Van Gogh) ait essayé de noyer la suavité de ses tableaux dans la "sauvagerie" de sa vie. Non que la suavité ne soit pas appréciée, mais que même maintenant le public pense qu'il vaut mieux être sauvage que doux " . R.Goldwater.Le Primitivisme Dans L'art Moderne.PUF

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Le mythe Gauguin entraina en effet un nouvel exotisme ,différent du pittoresque oriental du XIXème ou de l'art japonais .Plus que la découverte d'un espace géographique(beaucoup de voyages étaient simplement rêvés), il fut la découverte d'un " sauvage interieur " d'une force impulsive, d'un élément primaire de la nature caractéristique de l'animisme et des objets animistes rayonnants de forces et de mystères dans l'étrangeté de leurs formes.(mais on trouvait aussi cette force dans les icones ou dans les productions d'art populaires).

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C'est l'image d'un paradis terrestre qui attira Gauguin ,encouragé par ses visites aux pavillons coloniaux de l''Exposition universelle de Paris de 1889 , à Tahiti à la fin du XIXe siècle .Il fut ainsi le modèle le plus célèbre de l'artiste moderne qui rechercha ce qu'il croyait être des lieux et des peuples " primitifs " en dehors de l'Europe en s'efforçant de partager le mode de vie " primitif", tout d'abord dans les Caraïbes puis par la suite dans les mers du Sud, à Tahiti et aux îles Marquises. Il avait été le rechercher d'abord auprès des paysans bretons à Pont-Aven où séjournaient déjà des colonies d'artistes européens, après avoir projeté de se rendre à Madagascar et en Afrique.

" La vie est pour rien pour celui qui veut vivre comme les habitants. La chasse seule vous donne facilement la nourriture [...]. En conséquence, je vais, si me affaire est faite, [...] vivre libre et faire de l'art. [...]. La femme là-bas est pour ainsi dire obligatoire, ce qui me donnera modèle tous les jours. Et je vous promets que la femme malgache a un cœur tout aussi bien qu'une Française avec beaucoup moins de calculs. "

Gauguin fut donc le seul, parmi les principaux artistes, à avoir réellement vécu pendant longtemps dans des endroits où on produisait de l'art primitif. Il en subit parfois très directement l'influence dans ses gravures sur bois et ses sculptures.Le primitivisme des jeunes peintres eut sa source plutôt chez les antiquaires et les musées comme le Trocadéro ou encore dans les expositions. Ainsi, Matisse voyagea au Maroc et à Tahiti mais Matisse ou Picasso ne trouvent pas dans le voyage la même recherche que Gauguin, même si le premier affirme qu'il eut la révélation de l'orient au Maroc et que ses différents voyages l'inspirèrent (mais l'orientalisme n'est pas le primitivisme).

" Quand Matisse est mort, il m'a laissé en héritage ses odalisques,
et c'est mon idée de l'orient, bien que je n'y sois jamais allé."
P.Picasso.

" L'ivresse des pays comme Tahiti est possible sur le cerveau d'un homme en formation chez lequel les différentes jouissances se confondent ( c'est-à-dire quand il a senti la rondeur voluptueuse d'une tahitienne, il s'imagine que le ciel est plus clair ). Mais quand l'homme est formé, organisé, avec le cerveau ordonné, il ne fait plus ces confusions et il sait davantage d'où lui vient son euphorie, sa dilatation. " H.Matisse

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La grande rétrospective de Gauguin au Salon d'automne de 1906 joua le rôle important de catalyseur. Elle conduisit à un intérêt marqué pour le style simple et sans apprêt de ses bois gravés, et, au cours des années qui suivirent, plusieurs des artistes de la jeune génération - notamment Derain, Matisse et Picasso - s'essayèrent à la taille directe d'une manière qui rappelle Gauguin.

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Cette rencontre d'un nouveau type et le bouleversement des mentalités fut rendue possibles par la floraison des musées fin 19ème siècle, comme celui d'ethnographie du Trocadéro ou du musée de Tervuren à Bruxelles : là des artistes d'avant-garde vont venir se " frotter l'œil " ou réaliser pourquoi ils étaient peintre ou sculpteur selon le mot de Picasso

L'artiste catalan, a raconté le choc subi au musée du Trocadéro : j'ai compris que c'était important, il m'arrivait quelque chose...pourquoi sculpter comme ça et pas autrement ? Ils n'étaient pas cubistes tout de même puisque le cubisme n'existait pas ! "

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Vlaminck Derain, Matisse, commencent des collections ; Guillaume Apollinaire qui possède un fétiche Nkonde défend l'art africain dans ses articles et prédit : " les arts des pays lointains auront droit de cité au Louvre comme les autres chefs d'œuvre de l'art occidental "

De même pénétrer dans l'atelier d'André Breton c'est pénétrer dans un antre ou il juxtaposait et faisait dialoguer les objets de l'univers entier, dont il désirait " s'approprier les pouvoirs ". Y cohabitaient donc des œuvres de Miro, Dali, Giacometti... avec des œuvres d'arts populaires, des racines et des minéraux et des masques et statues, océaniens, précolombiens, amérindiens...A.Jouffroy écrit à propos du " Mur " d'A.Breton : " objets qui constituaient tout autre chose qu'un musée privé, tout autre chose que la collection d'un grand amateur, mais le manifeste patent, visible, tangible d'une volonté de dépassement de toutes les catégories esthétiques telles qu'on les conçoit en occident seul....un palais de la découverte, au-delà de toutes les frontières, de toutes les idéologies...la découverte plus que surréaliste du formidable vrac du monde.... "

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Pourtant, l'écrivain allemand Cari Einstein dans son essai pionnier de 1915 sur la sculpture " nègre " défend une thèse inverse et paradoxale : Il considère que c'est " l'art moderne de l'Europe " et non l'inverse, qui a " consacré la qualité d'art aux statues et aux masques d'Afrique noire. Pour Cari Einstein, si Derain, Matisse, Picasso ou Vlaminck avaient commencé à peindre autrement que leurs aînés à partir de 1904-1905, la sculpture nègre n'y était d'abord pour rien. Dans la mesure où c'était déjà bien fini d'imiter la nature, de la reproduire, l'art en arrivait tout naturellement, en Occident, à une phase de développement qui retrouvait le " primitif" en l'intégrant. La statuaire nègre en devient presque à ses yeux une sorte d'appendice du cubisme par exemple , et non, selon les vues de Max Jacob, Salmon et bien d'autres, la matrice.

Le primitif " recouvrait alors un sens très général, référant aussi bien aux objets des peuples exotiques qu'aux figures rupestres de l'ère paléolithique, aux dessins d'enfants, à la peinture paysanne. Du reste, les fervents d'art nègre étaient aussi le plus souvent des amateurs de tableaux naïfs. En juillet 1914" Apollinaire ne manque pas d'observer que l'art populaire est partout " dans une bonne passe ", qu'il est recherché par les marchands et par les musées. Le critique Waldemar George écrit : " C'est en raison même de la filiation étroite qui existe entre le folklore plastique et les arts barbares ou archaïques que les expressions du génie populaire jouissent de nos jours d'une vogue sans précédent. " [...] L'artiste populaire d'aujourd'hui est un barbare au même titre que l'était le sculpteur africain. Sans doute n'atteint-il pas, dans le plan de la perfection technique, le stade du Congolais. Sans doute n'a-t-il pas son esprit créateur. Mais il s'apparente à lui (il s'apparente bien davantage aux primitifs chrétiens, aux peintres des catastrophes romaines) par sa vision du monde

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En 1935, revenant sur les premières années du XX e siècle, Matisse donne implicitement raison à Cari Einstein quand il impute l'émergence de ce " primitif " à l'évolution de la peinture .Il note simplement que l'art moderne " art d'invention " a plus d'affinité avec l'art primitif qu'avec celui de la Renaissance. Pour sa part, indique-t-il, il recherchait alors une stylisation, une pureté des lignes. La tradition était plutôt tenue en disgrâce ", rappelle-t-il, et la réduction de la forme " à ses contours géométriques fondamentaux ", dont Seurat s'était fait le champion, était la grande innovation.

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Autrement dit, la simplification des formes, la mise en cause de leur assemblage conventionnel, la " déformation " étaient dans l'esprit du temps aux alentours de 1900. La découverte de l'" art nègre " n'est venue qu'appuyer une orientation déjà manifeste dans tout un pan de la peinture occidentale. Beaucoup de jeunes artistes européens, dans les deux dernières décennies, avaient perçu confusément la nécessité d'un changement dans les valeurs plastiques. Ils avaient pris conscience que les formes avaient besoin d'être rénovées, réinventées. Les sujets, les modes de représentation, les techniques de l'art occidental s'étaient dégradés en procédés. Il fallait donc avoir le courage, ainsi que le dit Matisse ,de " retrouver la pureté des moyens ".

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En ce sens, la rencontre avec l'art africain et sa reconnaissance nécessitaient toute une préparation culturelle.Si l'art nègre devient brusquement si important entre 1903 et 1905, pour Vlaminck et pour Nolde, pour Kirchner et pour Derain, et ensuite pour Cubistes, Surréalistes, et peintres abstraits, c'est qu'il entre en contact avec un courant, souterrain mais persistant, de la pensée européenne. L'art nègre, en tant qu'objet de pensée pour les artistes, surgit en écho de ce courant de pensée, où la réflexion d'un certain nombre de philosophes, anthropologues et psychologues du XIX e siècle a joué un rôle crucial.

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objets tribaux en tant que tels ne se prêtaient pas à une appropriation directe de la part des peintres. La sculpture tribale consistait presque entièrement en des figures isolées, taillées directement dans le bois, faisant ainsi usage de ce qui était considéré au début de ce siècle comme un matériau "primitif " et mettant en œuvre celui-ci selon une technique elle aussi " primitive " (la taille directe2). Tandis que les peintres pouvaient adapter à leurs besoins les motifs et le système de représentation des estampes japonaises et des reliefs du Sud-Est asiatique avec quelque aisance, en revanche ni les motifs ni les principes structuraux de l'art tribal ne pouvaient être facilement assimilés aux traditions occidentales, fondées sur les conventions de l'espace pictural de la Renaissance et les canons de la représentation qui remontaient à l'Antiquité. Non seulement l'art tribal comprenait essentiellement des figures isolées, mais il présentait également la restructuration la plus radicale du corps humain à laquelle l'artiste occidental avait jamais été confronté...

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.... Les sujets de l'art africain étaient par ailleurs incompris. Celui-ci semblait dénué de contenu narratif, contrairement à l'art chinois ou japonais, dont on pouvait retracer le développement historique et qui comportaient, outre leur aspect fréquemment discursif, un répertoire d'attributs et de symboles assez bien connus. A l'opposé, les figures africaines n'étaient impliquées dans aucune activité reconnaissable ; elles restaient étrangères aux occupations ordinaires de l'homme, au temps et à l'espace habituels. Ainsi, mis à part ce qu'on regardait comme leur aspect " déformé, hideux6 ", et donc " barbare ", elles suscitaient un sentiment puissant de mystère.

Jack D. Flam. Matisse Et Les fauves. Dans. W.Rubin.Le Primitivisme Dans L'art Du 20 L'art africain était également étranger au temps d'une autre façon importante, dans la mesure où, au début de ce siècle, son développement historique restait inconnu ; il semblait ainsi exister dans une sorte de vide temporel. Ses créateurs anonymes et leurs cultures inexplorées avaient ainsi pu échapper à la tyrannie de l'historicisme du XIXe siècle - bien que, selon les théories évolutionnistes en vogue, on les considérât cependant comme la représentation du " commencement " du développement de l'homme . " ème Siècle

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Au début du XX e siècle, ces caractéristiques mêmes qui, auparavant, heurtaient la sensibilité occidentale, correspondaient de plus en plus à des besoins et des tendances qui se faisaient jour en Europe. Vers 1906, les peintres les plus avancés étaient à la recherche d'une alternative aux images narratives et surchargées d'effets optiques et des détails circonstanciels du monde matériel. Ceci coïncidait avec un profond intérêt pour de nouvelles façons de combiner l'idéal et la réalité, et de procéder à la synthèse de la perception et du conceptuel. Deux sources historiques principales étaient à l'origine de cette attitude : l'art de certains post-impressionnistes qui avaient justement entrepris avec succès - quoique d'une façon non systématique - une telle synthèse, et, par ailleurs, comme signalé plus haut des formes d'art exotiques et antinaturalistes variées, estampes japonaises, miniatures persanes, sculptures de pierre égyptiennes, ibériques préromaines, ou encore sculptures du Proche-Orient antique.


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