Des habitants de l’île bretonne non raccordée au réseau électrique continental se bagarrent pour produire leur électricité à partir des énergies renouvelables plutôt qu’avec du pétrole. EDF et l’administration française leur barrent la route.
Par Louis Germain
C’est le comble de l’absurde à la française à l’heure de la « transition énergétique » : une petite île bretonne du Finistère qui se bat pour gagner son autonomie énergétique grâce aux renouvelables face à une administration qui fait tout pour l’en empêcher, avec la complicité active d’EDF.
Le 12 février 2015, la ministre de l’Ecologie et de l’Energie remettait le Trophée des énergies renouvelables au président … d’El Hierro, l’île des Canaries récompensée pour son modèle énergétique alimenté à 100 % par les renouvelables depuis décembre 2014. En oubliant qu’en Bretagne, l’île de Sein (189 habitants permanents, jusqu’à 1500 l’été), se désespère de ne pouvoir viser l’indépendance énergétique grâce aux énergies renouvelables. L’an prochain, Ségolène Royal aura le choix entre deux autres îles autonomes en Europe : Eigg, en Ecosse et Samso, au Danemark. L’île de Sein peut bien attendre…
Les îles françaises sont-elles condamnées à rester sous la coupe d’EDF ?
Pourtant, le 9 janvier, la même Ségolène Royal déclarait à l’AFP : « Tous les territoires insulaires doivent avoir le droit de monter des projets d’autonomie énergétique ». En remettant le trophée à l’île canarienne au demeurant exemplaire, a-t-elle un instant pensé à l’île bretonne et aux autres îles de la métropole qui ont la même ambition, comme Ouessant, Molène, l’archipel des Glénan ou encore Chausey ?
En cause, une réglementation dépassée à laquelle s’accroche EDF et qui limite à 30 % l’apport des énergies renouvelables dans la production d’électricité des ZNI (lisez : Zones non interconnectées) pour « assurer l’équilibre du réseau ». L’île est donc condamnée à rester sous la coupe d’EDF qui ne veut rien entendre, s’abritant aussi derrière une loi de 1946 sur la maîtrise du réseau électrique. Déposé par le député Paul Molac, un premier amendement au projet de loi sur la transition énergétique permettant de s’affranchir de cette contrainte a été rejeté mais un autre vient d’être déposé au Sénat par les sénateurs Ronan Dantec et Joël Labbé.
Le problème à Sein, c’est qu’EDF ne veut pas.
Pourtant, tout est prêt depuis des années et une structure créée par les habitants de l’île de Seins, Ile de Sein Energies (IDSE[1]), a monté un projet qui permettrait d’exploiter les énergies renouvelables disponibles sur l’île en se passant complètement des groupes électrogènes alimentés aujourd’hui au pétrole. Selon IDSE, il suffirait pour cela que les 400.000 euros que coûtent les 420.000 litres de fioul brûlés tous les ans soient investis dans les renouvelables, un réseau électrique intelligent et les économies d’énergie. « Plutôt que de gaspiller les deniers publics dans les énergies carbonées, nous proposons de les confier à une société locale (IDSE, ndlr) pour mettre en place un projet écologique et citoyen, explique le dirigeant de IDSE, Patrick Saultier, fort d’une expérience réussie d’autonomie énergétique dans la ville de Plélan-le-grand (3500 habitants, Ile et Vilaine), grâce à six éoliennes qui couvrent l’intégralité des besoins en électricité de la commune[2]. « Le problème à Sein, c’est qu’EDF ne veut pas ». Comme l’a écrit récemment IDSE à la ministre, « L’île de Sein est invisible à Paris ; serait-elle mal éclairée ? Changeons de fournisseur… ». Autre problème de taille : le maire de l’île élu en 2014 ne soutient pas le projet d’IDSE.
Financé par une taxe supportée par tous les consommateurs d’électricité[3], le fioul qui produit la totalité des électrons de l’île serait remplacé par des énergies « 100 % renouvelables et locales avec un véritable projet de territoire ». Un objectif réaliste autant d’un point de vue technique qu’économique, comme le souligne Patrick Saultier qui, le premier, a proposé de se passer du pétrole en se servant des éléments naturels disponibles sur place : « la mer, ses marées et sa houle, un vent généreux, un soleil d’été plus fréquent que sur le continent….et une population sensibilisée, volontaire, engagée et solidaire ». L’idée est aussi de miser sur l’efficacité énergétique[4] tout en ciblant tous les moyens de réduction de la consommation. Le système actuel n’est « ni soutenable ni durable ». En 2014, les énergies fossiles utilisées sur l’ensemble des îles françaises non-interconnectées ont coûté à la collectivité environ 1,7 milliard d’euros sur un total de 2 milliards d’euros selon la Commission de régulation de l’énergie (CRE).
Un ancien directeur de l’ADEME s’oppose à l’autonomie énergétique de l’île de Sein
IDSE voit aussi dans cette authentique transition énergétique la possibilité de développer de nouvelles activités et de faire de l’île « une terre d’innovation et d’expérimentation, un véritable laboratoire technologique et éco-citoyen », qui pourrait augmenter le nombre de visiteurs. D’un problème – la séparation avec le réseau électrique national – on ferait un avantage. Dans une île qu’on ne peut visiter en voiture et où les habitants n’aiment pas dépendre des autres, le projet d’Île de Sein Énergies s’inscrit aussi dans le cadre d’une « lutte pour la protection de l’environnement et en faveur d’une activité économique respectueuse de l’île ». Il n’est pas inutile de rappeler que l’île se situe à une dizaine de kilomètres du village de Plogoff, qui s’était soulevé contre un projet de centrale nucléaire sur son territoire et avait contraint EDF et l’Etat à y renoncer en 1981. Une première en France.
Dans ce combat de « la guerre moderne des Gaules » comme l’a écrit avec humour une journaliste anglaise, David s’appelle Patrick Saultier et Goliath Vincent Denby-Wilkes, le directeur interrégional d’EDF pour l’Ouest, maire de Saint-Briac, et surtout président de France énergies marines, chargée de promouvoir les hydroliennes mais qui s’oppose de toutes ses forces à la transition énergétique de Sein. On n’en est plus à une contradiction près dans ce dossier : Vincent Denby-Wilkes a été le directeur de cabinet de Brice Lalonde au ministère de l’Environnement de 1990 à 1992 puis directeur de l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) de 1992 à 1998, donc chargé à ce titre de promouvoir les énergies renouvelables, avant de rejoindre EDF. Est-ce pour amadouer les Sénans, à qui il n’a cessé d’affirmer qu’il n’était pas possible d’insérer des énergies renouvelables sur leur réseau électrique, qu’il vient d’annoncer l’arrivée d’une éolienne sur l’île en 2016 ?
Sabotage à Saint-Pierre et Miquelon
Au-delà de la Bretagne, Saint-Pierre et Miquelon, l’archipel français d’Amérique du Nord, est un autre exclu scandaleux de la transition énergétique. En janvier 2014, un parc de dix éoliennes a été contraint de stopper sa production alors qu’il avait permis une économie de fioul de 2.000 tonnes de 2000 à 2013, soit environ 10.000 tonnes de dioxyde de carbone (CO2) évitées. Selon son exploitant, Eole Miquelon, l’électricité produite par les éoliennes était vendue 14 centimes d’euro par kWh alors que celle des groupes diesel d’EDF revenait à 35 centimes. En fait, Eole Miquelon n’a jamais été autorisé à produire à pleine puissance par EDF, qui privilégiait en priorité ses groupes diesel. Aujourd’hui, l’électricité de Saint-Pierre et Miquelon est donc 100 % pétrole !
Espagne, Ecosse et Danemark : trois expériences réussies d’autonomie énergétique
Avec El Hierro, primée à Paris, deux autres îles européennes sont aujourd’hui autonomes grâce aux énergies renouvelables : l’île d’Eigg, en Ecosse et Samso, au Danemark.
En Espagne, l’île d’El Hierro a mis plus de trente ans pour que son projet aboutisse, grâce à un système qui infirme l’argument d’EDF selon lequel l’équilibre du réseau ne pourrait pas être assuré par les énergies renouvelables. Le système « hydro-éolien » de l’île canarienne est basé sur la production de 5 grandes éoliennes et d’une centrale hydroélectrique. Il permet d’offrir à ses 8 000 habitants une électricité 100 % renouvelable. L’astuce ? Une station de transfert d’énergie par pompage à laquelle est relié le parc éolien : lorsque les éoliennes produisent plus d’électricité que nécessaire, le surplus permet de pomper l’eau d’un réservoir et de la déplacer dans un réservoir situé en amont du premier. Et lorsque le vent ne suffit pas à faire tourner les éoliennes, l’eau stockée est turbinée pour compenser la demande, d’où une production constante d’électricité renouvelable. Avec à la clé des économies substantielles : 8 millions d’euros par an et près de 19.000 tonnes de CO2 évitées. Afin de compléter l’offre énergétique, le soleil et les huiles usagées remplaceront bientôt le pétrole pour développer des transports neutres en carbone d’ici 2020.
En Ecosse, l’île d’Eigg (90 habitants) à la devise faussement modeste : « Trying to be that little bit greener, step by step » (Tentant d’être un petit peu plus vert, pas à pas) a réussi son pari d’autosuffisance énergétique. Gâtée par le vent, la pluie et le soleil, cette île des Hébrides était privée jusqu’en 1997, lorsqu’elle a pu être rachetée par ses habitants. En 2008, elle obtenait de pouvoir décider de son destin énergétique en lançant des projets d’énergies renouvelables financés en partie par les habitants réunis dans une régie participative. Les renouvelables fournissent aujourd’hui jusqu’à 95 % de l’électricité grâce à des barrages au fil de l’eau, des éoliennes, des panneaux solaires photovoltaïques, des batteries, du chauffage au bois et des bâtiments bien isolés pour réduire la demande d’énergie. L’effort a été couronné dès 2010 par une victoire au « Big green challenge » avec un prix de 300.000 livres (environ 400.000 euros).
Au Danemark, enfin, l’île de Samso (4100 habitants) est une pionnière. Elle s’est lancée en 1997 dans un projet de communauté autosuffisante en énergie en misant à fond sur les renouvelables grâce à la conviction d’un homme, Soren Harmesen et à une forte incitation du gouvernement qui avait mis en concurrence quatre îles sur un projet d’autonomie exemplaire. L’éolien y fournit toute l’électricité, tandis qu’un réseau de chaleur (bois et solaire thermique) distribue l’eau chaude dans les bâtiments. En cas de production excédentaire d’électricité, l’île qui est reliée au continent y envoie le surplus. Samso est devenue célèbre dans tout le pays et des touristes viennent spécialement se former à l’autonomie énergétique insulaire à la « Samso Energy Academy ». Une formation qui ne serait pas inutile au fournisseur d’énergie EDF et à l’administration française.
[1] 25 % des habitants permanents de l’île sont sociétaires d’IDSE selon la société.[2] En moyenne annuelle.[3] La CSPE : contribution au service public de l’électricité.[4] Utiliser moins d’énergie pour obtenir le même service. un réfrigérateur de classe énergétique A++ consommera deux fois moins d’électricité qu’un réfrigérateur de classe G pour garder les aliments au frais.Photo : ferme d’éoliennes, Danemark, Vattenfall.
Par Louis Germainhttp://journaldelenergie.com/transition-energetique/lile-de-sein-privee-de-transition-energetique/