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LE TREG: quand le coeur veut...

Publié le 20 février 2015 par Sylvainbazin
L'an passé, lorsque je publiais un court récit de ma course vite avortée sur le Treg après celle du Vibram HK 100 elle aussi abandonnée, j'avais évoqué dans mon post  ces impressions du"lorsque le corps dit stop". Cette année, j'abordais le Treg en bien meilleure forme, physique et morale. Pourtant, les conditions exceptionnellement difficiles de cette épreuve hors-normes et une météo à faire fondre le métal n'ont pas facilité ma tâche. L'idée, en retournant affronter ces 180 kilomètres à travers l'Ennedi, était bien sûr de prendre une petite "revanche", tout simplement en terminant la course. J'ai réussi, mais ce ne fut pas sans mal! Cette année, mon corps m'a permis de mener ma course jusqu'à son terme, et mon coeur m'y a bien poussé aussi!
LE TREG: quand le coeur veut...
Je retournais donc au Tchad bien plus confiant que l'an passé. Les habituelles craintes et mises en garde concernant la destination sont levées, et je me sens donc dans de bien meilleures dispositions de corps et d'esprit. Le voyage est long, sans doute encore un peu plus que l'an passé même si curieusement il m'apparait tout de même moins fatiguant: l'année dernière, après une nuit blanche entre l'aéroport de Marseille et Faya Largeau, j'étais arrivé "achevé" au campement d'Archei. Cette année, malgré les vingt heures de bus et de 4X4 enchaînés directement après notre vol (au départ de Paris et à l'arrivée de Ndjaména cette fois), j'arrive certes fatigué au village de tente, qui s'est un peu agrandi car nous sommes plus nombreux cette année, mais pas tout à fait cuit!
LE TREG: quand le coeur veut...
Pourtant, de cuisson il en sera question pendant notre séjour et notre course: le soleil tape encore bien plus fort que l'année passée, et le mercure grimpe dix degrés au moins de plus. Moi qui avait tant souffert de la chaleur, je vois mes craintes de grosse galère et de coups de chaud imparables se réveillaient. Mais je reste cependant confiant: même si le soleil et la chaleur sont très difficiles à supporter, en dehors même d'une activité physique intense, je me sens encore à peu près d'attaque.
L'ambiance est plaisante aussi: nous sommes donc un peu plus nombreux que l'an passé, puisque nous serons trente en tout, mais cela est surtout du à la présence d'équipes de l'association African Parks, employés dans divers parcs nationaux d'Afrique et venus essentiellement d'Afrique du Sud et du Tchad, qui couront sur 45 et 90 kilomètres. Pour le 180, tous les coureurs viennent de France à l'exception de mon ami Jacob, le petit viking danois que je connais depuis quelques années et que je suis content de retrouver ici, et l'italien Guido. Notre petit groupe, qui se mixte fort bien avec une équipe d'organisation et un team médical avec qui j'ai créeé l'an passé de bonnes relations amicales, m'apparait soudé autour de cet objectif "finir". L'atmosphère est moins compétitive que l'an passé, mais sans doute bien plus adaptée à la situation. Car finir, dans cette fournaise et sur un parcours encore un peu plus difficile que l'an passé, est un objectif qui ne peut être occulté derrière une ambition de classement: les données sont trop difficiles!
LE TREG: quand le coeur veut...
La veille de la course, une fois effectuées les vérifications d'usage (nécessaires mais heureusement pas trop tatillonnes et surtout sans exigences absurdes), les doutes que j'essaye de vaincre se montrent à nouveau plus pressant: il fait vraiment trop chaud. 45 degrés à l'ombre, sans ombre et presque sans un souffle de vent, c'est sans doute trop. Vais-je connaître à nouveau les affres de l'abandon, et surtout les coups de chaud, les crampes incontrôlables et la douleur d'un estomac qui ne répond plus du tout? Mais non, je me sens bien, le moral et le physique sont tout à fait différents de l'an passé, même le soleil est encore plus ardent, il me laissera passer j'en suis sûr. Ou presque.
Le "grand jour" arrive donc vite. Je suis surpris d'être aussi frais. Par rapport à l'an passé mon programme n'a pas été beaucoup plus light tout de même: une VF nel Sud terminée le 15 décembre, après quand même quelques belles balades, mais c'est vrai aussi une préparation à la fois régulière et légère, sans trop de fatigue, depuis, et surtout aucune compétition depuis ce bel Amalfi coast trail en octobre. Je ne pense pas avoir jamais fait ça, de ma vie de coureur. Un signe de mon passage vers une pratique de moins en moins compétitrice mais aussi une envie qui reste du coup un peu plus grande. Cependant ce n'est pas avec une grande appétit de compétition que j'aborde ce Treg, juste avec celle d'aller au bout de mon effort, peut-être, malgré tout et encore, pour me prouver quelque chose.
Je pars donc tout doucement. En marchant. Je sais bien qu'il est illusoire et fatiguant de courir ici, même au début. Le sable est mou, les roches coupantes, et en plus la pente s'élève très vite. Deux petits kilomètres et nous grimpons déjà, sous un soleil brûlant dès huit heures du matin, au dessus de la Guelta d'Archei.
Mon premier compagnon de route du jour se nomme Olivier. Raideur expérimenté, il promène sa soixantaine toute légère avec facilité. Son rythme me parait même parfois légèrement trop élevé. Mais nous abordons ensemble le plateau rocheux où, contrairement à l'an passé, le vent a oublié de souffler. Elodie, qui l'avait si joliment emporté l'an passé chez les dames, nous rejoint bientôt. Je discute avec l'un et l'autre. Avec Elodie, nous évoquons la serenpidité. Un beau thème dans un lieu aussi insolite. Autour de nous s'élèvent de grandes parois rocheuses, des scultures naturelles aux formes fantasmagoriques, comme sorties d'un songe ou d'un tableau d'Yves Tanguy.
Après le premier CP, déjà 26 kilomètres d'avalés, la chaleur devient vraiment insupportable. Je fais toujours cause commune avec Olivier, qui parait en excellente forme. Le sable du wadi est mou, le soleil me plombe. Je commence à éprouver des douleurs d'estomac. Haut le coeur, la nausée n'est pas loin. J'arrive dans un état assez mauvais au CP 2. Ma figure est, on me le dit, d'un rouge cramoisi. Heureusement Isabelle, la "chef" du team médicale, sait y faire pour arroser et faire un peu baisser les températures. Les autres coureurs sont plus ou moins dans le même état, l'endroit prend des airs d'hôpital de campagne.
LE TREG: quand le coeur veut...
Après ces bons soins, après avoir pu avaler quelques bouchées d'une salade de fruit salvatrice offerte par Paul Dune, qui est dans le même état que moi, je repars. Le soir s'avance, la température baisse déjà un peu mais malheureusement mon estomac ne se remet pas. Cette portion sera vraiment difficile. Reviennent les démons de l'abandon, le souvenir douloureux de l'année passée. J'ai peur de devoir à nouveau renoncer à cette épreuve, décidément hors normes. Au CP 3, où nous arrivons en pleine nuit, je ne suis pas brillant. Je vomis. Les autres ne sont pas bien en forme non plus: nous ne sommes d'ailleurs plus que six en course, les autres ayant dû renoncer à cause de la chaleur et des barrières horaires exigeantes. Seul Guillaume caracole loin devant en tête, apparemment en bonne forme. Nous repartons en petit groupe, Jean-Noël, Olivier et moi, dans la nuit, bientôt rejoins par Elodie. En prime, nous nous perdons un peu dans le canyon suivant, où le signal GPS ne passe pas. Une grande montée de dune plus tard, nous retrouvons cependant le bon tracé.
Nous retrouvons aussi Guido, notre italien, qui lui n'a même pas vu le CP 3 et qui semble bien désemparé, mais pas trop exténué. Il pensait avoir déclenché sa balise (il a en réalité fait une fausse manoeuvre) et nous avait pris pour les secours. Nous repartons donc tous ensemble après l'avoir "recueilli".
Dans la nuit, l'effort est tout de même beaucoup moins difficile, même si le dénivelé reste bien présent (je pense davantage qu'annoncé) et que mon estomac ne se soit encore pas du tout remis dans les rails. J'avance un peu en mode "zombie", mes compagnons ne sont d'ailleurs pas tous bien plus fringuants. Elodie a aussi beaucoup souffert de la chaleur, bien plus que l'an passé. Seul Olivier me parait tout à fait en forme.
LE TREG: quand le coeur veut...
L'immense arche d'Aloba (c'est la deuxième plus haute arche naturelle du monde) se dessine enfin sous le ciel étoilé, à la lumière de la pleine lune: nous avons franchi les 75 premiers kilomètres, sans doute les plus difficiles. Nous retrouvons au CP4, installé au pied de ce monument de roches, Daniel et Marie. Je suis éreinté. Pas tout à fait sûr de pouvoir repartir. Marie m'administre un médicament contre la nausée qui se révèlera le bon. Je m'endors aussi, sous la grande arche. Une heure et demi dans le monde de Morphée avant d'être réveillé par mon amie médecin. Il est temps de repartir, trois heures du matin sonne et la barrière horaire n'est plus loin. Nous sommes tous là. Enfin Olivier est déjà parti, il est en forme, et Guido a fermement décidé d'arrêter là. Je repars donc, encore un peu hésitant, avec Elodie et Jean-Noël, qui semble avoir encore moins bien récupéré que moi de ses maux d'estomac.
Nous avançons un peu comme dans un songe. Je ne dois pas encore être tout à fait réveillé, même si je n'ai pas sommeil. Elodie lutte contre l'envie de dormir. Jean-Noël avance comme un automate. Heureusement le parcours se fait un peu moins difficile. Et surtout la température de cette fin de nuit est bien plus agréable. Encore une heure et le matin pointe. Nous avançons sur une large savane. Je vais mieux.
LE TREG: quand le coeur veut...
J'arrive quelques minutes avant mes compagnons de route au CP suivant. Le soleil s'est levé, nous retrouvons là Isabelle qui me trouve en bien meilleur état que la veille. Je me sens effectivement bien mieux. Je mange enfin vraiment. Mon estomac semble accepter cette nourriture. Une deuxième course commence pour moi. Je suis bien décidé à terminer, cette fois. Même si le soleil pointe déjà et que la journée s'annonce encore plus chaude que la précédente. Je repars d'un bon pas, déterminé.
Je rattrappe d'ailleurs quelques kilomètres plus loin Philippe, que j'ai aperçu lui aussi tout au long du parcours, mais qui était plutôt devant. Nous discutons un peu alors que le soleil monte droit dans le ciel, prêt semble t il à nous lancer de véritables flammes. Il fait bientôt une chaleur suffocante. Mon pas se ralentit. Philippe ne semble pas bien frais non plus. Il est très rouge, un peu hagard, mais avance. Un peu plus loin, il me dit: "On pourrait demander de l'eau à cette maison non?"... Il n'y a aucune maison, mais un arbre maigrelet. Je lui dis, il réitère: "mais si, la maison...". Les hallucinations ont pris possession de sa vision et de son cerveau fatigué; je lui conseille de prendre un peu de repos.
L'ombre des arbres, encore présents sur cette portion, fournit une halte un peu moins écrasée de chaleur. Nous naviguons entre deux pauses. Il est cependant difficile de se reposer vraiment: la cheleur reste trop forte, le sol est plein de crams-crams (les piquants d'herbe à chameau, particulièrement nombreux cette année). Nous repartons. J'opte cependant pour une nouvelle pause un peu plus loin, Philippe préfère avancer, coûte que coûte.
Le soleil brille, trop fort, cuisant. La zone qui suit est totalement dépourvue d'ombre. Je n'ai bientôt plus qu'un fond de bouteille. Trois litres pour trente kilomètres, c'était trop peu sous cette fournaise. Je suis à nouveau bien fatigué, même si mon état n'est pas aussi mauvais qu'hier. Mais il fait vraiment trop chaud pour envisager parcourir sans risques les six kilomètres qui me reste avant le CP, sans eau. Je décide de me "réfugier" à l'ombre d'un rocher, le seul coin à l'abris de l'endroit, et de déclencher ma balise pour demander à ce que l'on vienne me ravitailler. Au vu des circonstances exceptionnelles de cette météo, je ne pense pas que cela soit un abus!
LE TREG: quand le coeur veut...
J'attends un peu plus d'une heure à l'ombre et comme personne n'est encore venu, je reprends ma course. La température a déjà un peu baissé, le soir s'avance. Les roches se dessinent encore plus nettement sur l'horizon, révélant leurs formes fantasmagoriques. Je n'ai fait que quelques hectomètres lorsque je vois débouler un 4X4, conduit par Rocco, qui vient à ma rencontre. Je leur explique la raison de mon appel. Rocco, qui n'est pas sûr du réglement, appelle le PC course pour savoir si je peux continuer une fois ravitaillé. Je suis sûr que oui mais je dois attendre un peu (le temps d'engloutir une bouteille d'1.5 litres, ce qui finit de me rassurer sur l'état de mon estomac) que la communication par satellite, toujours délicate ici, passe, pour qu'on me confirme que je suis effectivement autorisé à poursuivre mon chemin. Quelques instants de repos plus tard, me voici donc reparti.
Il me reste un peu plus de six kilomètres pour atteindre le CP 6. Et soixante pour l'arrivée. Je suis déterminé à passer une seconde nuit complètement blanche: si j'avance bien, je vais pouvoir arriver avant que le soleil se remette à frapper trop fort. Ce n'est même plus la compétition qui me pousse à aller le plus vite possible, mais cette course contre le soleil.
Au CP 6 je retrouve Bénédicte, du staff médical. Olivier et Philippe sont allongés là. Ils sont arrivés bien avant moi, mais se sont sans doute beaucoup fatigués à marcher ainsi au soleil. Philippe dort. Olivier me dit de l'attendre un peu, il va repartir avec moi.  Même Guillaume est passé fatigué ici, et il a beaucoup ralentit. Tout le monde tente de gérer, de "survivre". Je me pose donc quelques minutes. Sous la voûte naturelle qui abrite le CP, je contemple le ciel étoilé. Je me concentre aussi. Le défi est donc d'avancer toute la nuit. Malgré la fatigue, que je ne sens même plus, malgré le manque de sommeil. J'ai surmonté mes soucis du début de course et je suis sûr de moi.
Nous repartons. A la lueur de nos frontales, de petites gerboises courent entre les herbes à chameau et une végétation rase. Nous escaladons ensuite quelques dunes. La portion n'est pas si facile. La trace est un peu complexe à suivre aussi sur une haute dune. Olivier est fatigué, il m'annonce qu'il va s'arrêter dormir au prochain CP. Je vais continuer. Même pas pour arriver devant lui, mais par obsession d'arriver avant que ça ne chauffe trop.
J'ai mis la musique dans mes oreilles. Je marche seul désormais. Le décor est toujours aussi fantastique mais après le CP 7 le terrain s'est fait plus facile. Le sol répond mieux, je marche d'un très bon pas. La nuit est mon alliée. Le ciel est clair, la lune encore presque pleine.
Je sens que le but se rapproche. Je ne lutte finalement pas trop contre le sommeil. Comme finalement presque tout au long de la course, mes pensées sont positives et me portent. Depuis que je sens que je vais terminer, encore davantage. C'est vrai que le moral joue beaucoup. Dans la forme physique sans doute, dans la détermination. Les derniers mois ont été plus que positifs pour moi et je le ressens. Je me bats, mais pas tout à fait comme d'habitude, la vie semble m'avoir mieux souri et je profite au mieux d'être là.
Les silhouettes fantasmagoriques des roches, les sculptures de pierres, même les dromadaires et les ânes que je rencontre sur mon chemin ne se transforment même pas en d'inquiétantes hallucinations. L'Ennedi cette fois m'a laissé passé.
Le matin se lève, après que je sois passé sous l'arche de l'éléphant (Guillaume me dira plus tard qu'il a vraiment pris cet arche pour une sculpture humaine tant elle lui a semblé ressemblante même dans les détails avec l'animal) où est installé le dernier CP. J'approche. Une dernière dune et j'aperçois le village où est dressé l'arche, d'arrivée cette fois.
Quelques coureurs tchadien, dont le vainqueur du 45 kilomètres Valentin (un excellent semi-marathonien) m'attendent pour m'escorter sur les derniers hectomètres. C'est donc en courant que je franchis la ligne d'arrivée. Le soleil n'est pas encore trop chaud. Je suis tout heureux de ce dénouement, après juste un peu plus de 48 heures d'effort (Guillaume est arrivé six heures avant tout de même!), avec, c'est vrai, en prime, une deuxième place.
Sur la ligne d'arrivée, je retrouve plein de monde: Jean-Philippe et Caroline, bien sûr, qui semblent partager ma joie, mais aussi Marie et Luc, qui avait du me perfuser l'an passé, en haut d'une dune où je n'étais dans un état bien brillant! Les coureurs qui ont du abandonner, dont Jacob, sont là aussi. Je me souviens bien des arrivées de l'an passé, où j'étais dans la même situation qu'eux aujourd'hui. Il y a longtemps que je n'avais pas ressenti un tel sentiment de fierté et d'accomplissement à l'arrivée d'une course. J'ai vaincu le "signe énédien" et surtout surpasser mes soucis d'adaptation à la chaleur, ce qui vraiment me satisfait beaucoup. Décidément ce Treg est une course à part, une véritable expédition aussi et cela participe sans doute aussi de ces émotions particulières.
Olivier arrivera un peu plus tard, suivi de Philippe qui aura du déjà bien supporté la chaleur de ce troisième jour. Il fait d'ailleurs même trop chaud pour dormir, même totalement cuit comme je le suis après plus de cinquante heures de veille à peine entrecoupées. Jean-Noël et Elodie arriveront en début de soirée.
LE TREG: quand le coeur veut...
Le lendemain, nous trouverons cependant tous l'énergie pour aller avec le reste du groupe visiter encore quelques uns des plus beaux sites du parcours et d'autres endroits magiques de l'Ennedi, avant d'entamer un immense voyage de retour. Une journée éprouvante de 4x4 en pleine poussière, puis une autre de bus après un arrêt appréciable à Abeche. Enfin l'épreuve de l'incroyablement bordélique et vétuste aéroport de Ndjamena avant le retour à Paris. Nous sommes tous un peu malade, la récupération progresse doucement. Mais les beaux instants vécus là bas valent bien ça!
Toutes les photos sont de www.photorunning.fr

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