Quelques jours après le départ du président Viktor Ianoukovitch, en
février dernier, Pavlo Sheremeta fut appelé au Saint des Saints pour
servir en tant que ministre de l’Économie. Son mandat principal :
attirer du financement étranger pour aider l’Ukraine, en grande
difficulté. En août, ayant constaté la résistance au changement
incrustée dans à peu près toutes les structures de l’État, il donna sa
démission. « Je ne pouvais tout simplement rien faire », confie-t-il.
Depuis, le pays va de difficulté en difficulté. Comme si mener
simultanément des réformes tous azimuts et une guerre depuis 10 mois
dans l’est du pays n’était pas suffisant — une guerre qui grève de
10 millions de dollars par jour, au bas mot, l’économie ukrainienne —,
Kiev doit également gérer une crise économique et budgétaire.
Des chiffres désastreux
Les chiffres sont désastreux. Le produit intérieur brut s’est
ratatiné d’environ 10 % en 2014, l’inflation a grimpé à 30 % et la
hryvnia, la devise nationale, a été dévaluée de moitié par rapport au
dollar au cours de cette période. Et la dégringolade se poursuit
allègrement depuis le début de l’année. La dette, elle, plombe les
finances de l’État, dont la survie dépend à présent de l’aide financière
internationale.
Pris d’assaut de tous côtés, le gouvernement ne pourrait-il pas
mettre certaines réformes en jachère, le temps de régler les dossiers
les plus urgents ? « C’est le meilleur temps pour faire des réformes », répond sans hésiter Pavlo Sheremeta, aujourd’hui revenu à ses premières amours, à la Kyiv School of Economics. « Je ne sais pas pour vous mais, quand la vie est bonne, je bois de la bière. Je me détends.
Je ne fais pas de réformes. Prétendre que c’est impossible parce que
les temps sont durs, c’est l’excuse qu’on sert quand on ne veut tout
simplement pas en mener. »
Un système pléthorique
Installé à Kiev depuis une vingtaine d’années, l’avocat torontois
Daniel Bilak, qui a fait ses études en droit à l’Université McGill, a
tenté à plusieurs reprises de pousser des réformes au sein de l’État
ukrainien. Il a notamment été chef de cabinet de deux ministres de la
Justice dans les années 1990, puis conseiller de la première ministre
Ioulia Timoshenko en matière de réforme administrative, et du président
issu de la Révolution orange de 2004, Viktor Iouchtchenko, pour la
réforme de la gouvernance. Aujourd’hui, il conseille pro bono divers membres du gouvernement.
Après deux décennies de tentatives, le bilan est pour le moins mitigé. « Impossible de décider quoi que ce soit au sein de la bureaucratie, tranche-t-il. C’est comme un millefeuille :
ce n’est que couche après couche d’échelons décisionnels. Tout le
système, ultracentralisé, est fondé sur le processus, pas sur les
résultats. » Un héritage de l’ère soviétique, selon lui.
Et pour compliquer les choses, « il y a au sein
de la bureaucratie un sabotage complet des initiatives visant à
réformer l’administration publique. Les gens ne veulent pas perdre leur
emploi ! », explique-t-il.
Le secteur public a besoin d’une thérapie de choc, estime Pavlo
Sheremeta, afin de ramener les dépenses de l’État — qui dépassent
actuellement 50 % du PIB — à un taux « normal » de 30 %. Les mesures
qu’il préconise : déréglementation de l’économie, réduction des taxes,
budget équilibré et, surtout, un holà aux subventions titanesques sur le
gaz naturel. Les ménages ne paient en effet que le quart du coût réel
du gaz — dont plus de la moitié provient de la compagnie russe Gazprom.
L’État finance le reste, ce qui représente une facture équivalant à 5 %
du PIB. « Quand on paie si peu pour chauffer sa maison, pas étonnant qu’on gaspille autant ! »,
tonne M. Sheremeta en montrant du doigt la fenêtre ouverte derrière
lui, en plein hiver. L’Ukraine est en effet l’un des pays les moins
efficaces au monde sur le plan énergétique.
Une partie des voeux de l’ancien ministre devrait être exaucée. Le
Fonds monétaire international a annoncé il y a une semaine qu’il
offrirait une aide supplémentaire de plusieurs milliards (voir encadré).
En retour, l’institution financière exige que Kiev accélère ses
réformes, dont celle dans le secteur de l’énergie. Cette fois-ci, le
premier ministre a annoncé que le coût du gaz sera presque multiplié par
trois. « Un bon pas en avant, mais il faut continuer », répond M. Sheremeta.
Plusieurs partisans des réformes, insatisfaits du bilan du
gouvernement, misent sur les prêteurs étrangers pour forcer Kiev à aller
de l’avant plus rapidement. Or il y a un risque, prévient M. Sheremeta. « Il
est extrêmement important qu’aux mesures d’austérité s’ajoutent des
investissements qui permettront le retour de la croissance. Autrement,
nous pourrions rapidement aboutir à un dénouement “à la grecque” : une austérité sans réformes structurelles et sans croissance. »
Source : LeDevoir