Il aura fallu attendre 250 ans pour que l´opéra de Vicente Martin y Soler, L´arbore di Diana, remonte les cours du Danube et de l´Isar et arrive enfin de Vienne, ville où il fut composé et créé, à Munich, où il connaît enfin sa première grâce au travail des étudiants de l´Académie August Everding et de la Haute école de musique et de théâtre dans une mise en scène de Balázs Kovalik et sous la direction musicale de Paolo Carignani qui dirige l´Orchestre radiophonique de Munich. Ce très bel opéra quelque peu méconnu a été redécouvert ces dernières années sur les scènes européennes, notamment, avant Munich, à Barcelone et Montpellier.
La soirée commence sous les meilleures auspices avec un exposé théâtralisé d´Esteban Munoz, un jeune dramaturge chilien habillé en ado branché, qui se présente au public porteur d´un petit palmier en plastique gonflable, présenté comme un arbre de Diane d´une nouvelle espèce, le texte de Lorenzo da Ponte parlant d´un pommier. Qu´à cela ne tienne, le pot contenant le palmier recèle également quelques pommes, bio pour respecter le goût du jour. On s´amuse beaucoup de la nouvelle manière de cette introduction à l´oeuvre, dont le contenu a cependant toutes les qualités académiques requises.
La partition de l´opéra de Martin y Soler et de Lorenzo da Ponte a été quelque peu modififiée par le metteur en scène et le chef d´orchestre pour fluidifier l´action, et avec deux ajouts: une aria pour le dieu de l´amour a été retrouvée et introduite, et un grand air issu d´une autre opéra célèbre de Martin y Soler, Una cosa rara (Ah, perchè formar non lice), a elle aussi été ajoutée. Paolo Carignani, avec sa direction d´orchestre concentrée et précise, enjouée et sportive, et l´excellent Münchner Rundfunk Orchester nous font entendre la musique jubilatoire du compositeur espagnol, qui a des accents proches du répertoire mozartien. Leur travail, et en particulier le jeu des deux clavecinistes, remporte un franc succès.
Pour sa mise en scène, Balázs Kovalik donne une lecture adolescente du livret de Lorenzo da Ponte. Diane, déesse de la chasse et de la chasteté, défend farouchement sa virginité perpétuelle (Actéon l´apprendra à ses dépens). Elle se voit défier chez da Ponte par le dieu Amour qui finit par la vaincre. Pour Kovalik ce combat des dieux est semblable au combat intérieur auxquels les adolescents sont livrés dans leur découverte de la sexualité. Diane et ses nymphes seraient atteintes du complexe de Lolita, à l´instar de ces adolescentes qui aguichent les hommes tout en essayant de leur échapper. La Diane de l´opéra est une autre Circé: elle vit sur île avec ses compagnes qui subissent quotidiennement le verdict d´un pommier magique dont les fruits s´illuminent si elles sont restées chastes, et noircissent dans le cas contraire. Chez Kovalik, cet arbre est devenu un palmier d´un bronze métallique. Diane et ses nymphes semblent sortir de l´univers des mangas, ces bandes dessinées japonaises, avec un physique à la Mitsuki Hayase, elles ont les cheveux turquoise, des poitrines provocantes, portent des kilts coquins aux tartans bleus et blancs, et des bas bleus assortis, ont les cuisses nues, elles pratiquent les arts martiaux, et peuvent être lourdement armées (costumes de Sebastian Ellrich). Le décor d´Hermann Feuchter, trash et kitsch, dispose le palmier magique au centre d´un plateau tournant qui porte également des cubes recouverts de photos au contenu très érotique et aux couleurs criardes. A gauche de la scène, un espace d´habitation auquel on accède par un escalier, et dont les parois sont recouvertes de boiseries. L´île enchantée ne l ´est pas tellement que l´histoire voudrait le raconter, le fond de scène est formé d' une montagne d´ordures avec ses monceaux de déchets électroniques et plastiques, que les personnages gravissent par un sentier sinueux. Quelques éléments de mobilier d´un goût tapageur complètent le tableau, comme ce fauteuil daliesque, avec son dossier en forme de lèvres et son assise de langue tendue, ou cette baignoire dorée. Des silhouettes de personnages de mangas féminins armés découpées dans le bois complètent le décor. Diane et son amoureux finiront par céder à la passion et se dénuderont pour plonger dans le bain mousse de la baignoire dorée. Le dieu Amor, chanté par un sopraniste, adore se travestir pour mieux arriver à ses fins et parvient même à séduire Daristo, macho aux multiples conquêtes, ce qui ne manque pas de donner une scène homosensuelle cocasse. Tout est bien qui finit bien, Amor est vainqueur, Diane heureuse dans les bras d´Endimione, Daristo hérite des trois nymphes et Silvio, amoureux lui aussi de la belle déesse, mais éconduit, hérite du poste de Grand Prêtre. Dans le monde très adolescent des mangas on se photographie avec des téléphones portables et on s´envoie des selfies, et si la mise en scène de Kovalik donne une réponse à la peur adolescente de vivre une relation, le besoin d´amour l´emportant sur la chasteté farouche, il laisse entier le problème de la modernité et des montagnes d´ordure qu´elle engendre, le paysage devant lequel on pose étant loin d´être idyllique.
L´Académie August Everding est une grande école de haute qualité si on en juge par les performances de ses étudiants. Munich connaissait déjà Danae Kontora, une jeune soprano colorature grecque qui avait interprété avec grand succès l´Eurydice de Gluck au printemps dernier dans la production souterraine d´Opera incognita. Sportive, adepte du yoga, elle n´hésite pas à dénuder son corps somptueux au moment du bain avec Endimione dévoilant un trop bref moment une poitrine de rêve. Elle se joue des exigences du role avec un art remarquable et une grande agilité dans la colorature et des facilités dans l´aigu. La Grèce est à l´honneur dans cette production, puisque Endimione est interprété par le ténor Ioannis Kalyvas, avec une belle présence scénique et une voix bien projetée faite pour chanter des roles comme Don Ottavio ou Almaviva. Nikos Kotenidis, d´origine grecque lui aussi, donne un Doristo macho à la prunelle et à la sensualité ravageuses, avec un jeu très physique et une voix de basse puissante et envoûtante, dotée d´une chaleur sensuelle à damner une nymphe. Inguy Hwang chante la passion de l´infortuné Silvio avec un beau ténor lyrique. Belle prestation aussi des trois nymphes Britomarte ( Victória de Sousa real), Clizia (Florence Losseau) et Cloe (Nadia Steinhard) en lolitas pétulantes. Enfin, le sopraniste Robert Crowe, qui a prêté son concours pour incarner Amore, semble se jouer des difficultés de la colorature avec sa belle voix flûtée et le cristal de son timbre clair, et un jeu de scène délicieux, notamment dans les numéros de travesti.
Signalons également l´idée très originale de la conception du programme, qui se présente sous la forme d´un magazine pour teenagers, avec entre autres son roman photo en guise de résumé de l´action, l´interview du metteur en scène, le récit du make up de l´affiche, les réponses du psy de service, le Dr Amor, aux questions des personnages, ou son grand test de l´amour.
Prochaines représentations le 27 février et le 1er mars à 19H30 au Prinzregententheater. Places restantes.
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