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Chez ces gens là, on ne fraude plus, on optimise

Publié le 24 février 2015 par Blanchemanche
#Evasionfiscale
Chez ces gens là, on ne fraude plus, on optimise
©AFP
Fini, bientôt, le secret bancaire et l’évasion fiscale à la papa. Mais les grosses fortunes ont déjà anticipé ce petit souci. L ’« ingénierie patrimoniale » et l ’« optimisation fiscale » sont plus florissantes que jamais ! Avec certains montages ingénieux, transfert de propriété vers un havre accueillant et fiscalement intéressant ou tourisme fiscal, l’évasion de capitaux a encore de beaux jours devant elle.Douglas Hornung en est convaincu. Cet avocat en droit des affaires de Genève défend les collaborateurs dont les noms ont été transmis à la justice américaine par les banques suisses qui les employaient. « Les mallettes de billets, c’était sous Mitterrand. Le compte en Suisse à la Cahuzac, pour placer des honoraires au noir, ce n’est plus possible. Pour les “ petites gens ” qui ont jusqu’à 4 ou 5 millions d’euros, je n’ai qu’un conseil à leur donner: régulariser, et rapidement ! » poursuit notre interlocuteur. Marco Van Hees, député fédéral (Parti du travail de Belgique) et spécialiste des questions fiscales, voit lui aussi la fin d’une époque: « Le petit fraudeur qui allait au Luxembourg toucher ses coupons, on n’en est plus là ! Ce que proposent les banques luxembourgeoises, c’est du sur-mesure pour les plus riches, elles jouent les intermédiaires vers les paradis fiscaux. »

Fin du secret bancaire

La crise financière de 2008 est passée par là. Les caisses publiques siphonnées pour sauver le système bancaire, les États ont fait les poches des citoyens « moyens », frappés conjointement par le chômage et les coupes dans les budgets publics. Quelques scandales, tel celui du patron de la Deutsche Post, Klaus Zumwinkel, pris par la patrouille en 2008 pour avoir dissimulé plusieurs millions d’euros dans un compte au Liechtenstein, ont fait comprendre aux gouvernants qu’ils devaient agir pour se concilier leurs opinions publiques.
À compter de 2009, les membres du G20 ont donc affiché leur volonté d’en finir avec les paradis fiscaux.
De fait, le secret bancaire semble vivre ses derniers temps. Les États- Unis ont tiré les premiers. La loi FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act), votée en 2010, impose aux banques des pays ayant accepté un accord avec les États- Unis de renseigner les autorités américaines sur les avoirs et transactions de leurs clients imposables aux États-Unis – sous peine de lourdes sanctions financières. Fin 2014, quelque 101 pays s’y étaient engagés dont la France, la Suisse, le Luxembourg... Parallèlement, le G20 et l’OCDE ont établi une nouvelle norme d’échange automatique, et non plus à demande, de renseignements bancaires à des fins fiscales.
Une soixantaine de pays suivront cette règle dès 2017, dont Jersey, Guernesey, l’île de Man, le Luxembourg. Une trentaine d’autres, dont la Suisse et Singapour, en 2018.
Grillée la solution de repli à la Cahuzac, consistant à transférer un compte d’UBS Suisse vers l’ex-colonie britannique ! Officiellement, seuls résistent à l’opération transparence Vanuatu, Bahreïn, les îles Cook et Panama.

Des trusts opaques

Pas de quoi pourtant prendre de court les grosses fortunes, toujours très bien conseillées. Banques privées et « family offices », logées au sein des grandes banques (HSBC, UBS, Goldman Sachs, Crédit suisse, Rothschild, Pictet..) ou de cabinets de gestion de fortune, veillent sur leurs intérêts. Dans ce monde-là, on ne fraude pas, on fait de « l’ingénierie patrimoniale », de l ’« optimisation », on flirte avec les lignes rouges. On se paie même le luxe d’être vertueux. HSBC Private Banking fait ainsi l’éloge de la philanthropie, définie comme « l’usage stratégique de son argent pour le bien des autres». Bien conçue, la philanthropie est aussi une niche fiscale. Exemple: Bill Gates. En créant et dotant généreusement sa fondation, il a aussi utilisé à plein les avantages de la législation américaine: grosses exonérations fiscales et peu de comptes à rendre sur la gestion de l’argent dédié.
Faire du neuf avec du vieux, rien de plus efficace. Les révélations de SwissLeaks, le consortium mondial de journalistes qui travaillent sur la fraude fiscale, pointent le rôle des trusts, une spécialité anglo-saxonne, dans l’évitement fiscal en tout genre.
D’origine romaine, le concept s’est développé au Moyen Âge: le chevalier qui partait en croisade remettait ses biens à un ami afin que celui-ci les gère au profit de sa famille. Sur le même modèle, une personne (le constituant ou settlor) apporte de l’argent ou des biens à une entité juridique logée dans un havre juridiquement et fiscalement accueillant, qui en devient propriétaire. Le trust gère ces actifs, par l’intermédiaire de trustees (personnes, banques, ou sociétés spécialisées) selon les indications du constituant et au profit du bénéficiaire qu’il a désigné (luimême ou une autre personne). La divulgation de la liste des clients d’HSBC Suisse a grillé quelques montages effectués depuis ces comptes vers les Bahamas, le Panama ou les îles Vierges britanniques, au profit de personnalités aussi diverses que le clan Trabelsi (famille du président tunisien déchu Ben Ali) ou la famille la plus riche de Belgique, les De Spoelberch (actionnaires du brasseur AB Inbev).
Malgré cet accroc, le trust a encore de l’avenir. « Il n’y a aucune transparence, même avec les échanges de données. Le trust, c’est une sorte de nuage », explique Douglas Hornung. Pour les ONG de la Plateforme Paradis fiscaux et judiciaires, qui déplorent que « plusieurs pays, y compris au cœur même de l’Europe, continuent d’offrir la possibilité de (les) créer, en toute légalité », ces « outils privilégiés de l’opacité restent le point aveugle de la lutte internationale engagée contre les paradis fiscaux».

Un hobby juteux

Autre vieille ficelle, le crédit lombard, réminiscence des prêts sur gage pratiqués au Moyen Âge par les banquiers de Lombardie.
Depuis quelques années, les grandes banques suisses (le Crédit suisse, UBS, Julius Baer...), suivies par d’autres, l’ont remis au goût du jour. Le crédit lombard est un prêt, de 1 à 4 ans en moyenne, gagé sur un compte bancaire ou un portefeuille d’actions, par exemple. Si l’emprunteur ne rembourse pas son crédit, la banque devient propriétaire de cet actif donné en garantie.
Par extension, il permet de vider discrètement un compte non déclaré à l’étranger (on souscrit l’emprunt, on ne rembourse pas, la banque prêteuse saisit le compte, sans déclarer cette saisie, et tout le monde est quitte). La technique peut permettre aussi à un chef d’entreprise de faire fondre son impôt sur le revenu. Il suffit qu’il se verse un petit salaire et mène grand train grâce à un crédit lombard (ce n’est pas très cher) gagé par exemple sur une assurance-vie qui servira à rembourser le crédit à échéance. Le crédit lombard, résume le Crédit suisse dans ses brochures, c’est « une passerelle vers la flexibilité financière».Reste encore le tourisme fiscal, en jouant habilement de la concurrence que se livrent les États pour attirer les plus fortunés. Bien sûr, il faut bouger un peu. Mais plus on est riche, plus l’on est mobile, plus l’on jongle avec les résidences et les réseaux. Il n’est d’ailleurs pas toujours nécessaire d’aller bien loin. On connaît l’histoire des riches Français « exilés » en Suisse ou en Belgique, pour alléger leur impôt sur le revenu et échapper à l’impôt sur la fortune. Monaco reste aussi un eldorado: pas d’impôt sur le revenu, ni sur les plus-values, ni sur le capital pour ses résidents – avec un gros bémol pour les Français, puisqu’ils doivent justifier de 5 ans de résidence pour bénéficier de ce régime de faveur. Au Portugal, les étrangers qui n’exercent pas d’activité lucrative sont exonérés d’impôt pendant 10 ans: idéal pour les rentiers. Au Royaume-Uni, le statut de « résident non domicilié » permet de déclarer uniquement les revenus d’origine britannique ou rapatriés au Royaume-Uni, et de ne payer aucun impôt pendant sept ans sur les revenus venus de l’étranger – et au-delà une simple taxe forfaitaire. On pourrait continuer la liste. Sur son site Internet, le cabinet John and Partners, outre ses conseils en gestion de fortune, propose ses services pour s’expatrier, choisir sa résidence fiscale, changer de nationalité... À la carte, Andorre, Grande-Bretagne, Suisse, Belgique, Luxembourg, île Maurice, Bahamas...DOMINIQUE SICOTVENDREDI, 20 FÉVRIER, 2015HUMANITÉ DIMANCHEhttp://www.humanite.fr/chez-ces-gens-la-ne-fraude-plus-optimise-566279

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