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En 2014, l’avalanche de commandes concrétisées par les deux principaux avionneurs mondiaux ont atteint des sommets. Aussi est-il un peu naturel que dans un secteur reconnu pour ętre cyclique, les industriels tendent un peu le dos en se disant que cela ne va pas durer. Et bien non, les analystes de tous bords restent optimistes, męme si force est de constater que ce sera encore les activités commerciales qui mčneront la danse.
3 %, c’est la croissance avancée par les experts de chez Deloitte pour l’aérospatiale et la défense en 2015. Si tant est qu’ils affirment que cette croissance sera soutenue majoritairement par les cadences de production afin de satisfaire les besoins de remplacement d’avions commerciaux par des appareils moins gourmands en kérosčne, l’aviation militaire aura montré en ce début d’année qu’elle ne baisse pas les bras. Certes les ventes sont modestes, mais le moral des industriels vient d’ętre boosté, tout du moins en France, par la commande inespérée de la part de l’Egypte de 24 avions de combat omnirôle Rafale. Or, on constate que l’’avionneur de Saint-Cloud n’est pas le seul ŕ bénéficier de nouvelles commandes. Ainsi Lockheed Martin vient de recevoir une commande pour 14 appareils interarmées F-35 en plus des 19 que le ministčre israélien de la défense avait déjŕ confirmé en fin 2010. De son côté la Défense turque persiste dans sa volonté d’acquérir une centaine d’exemplaires de ce męme appareil. Il faut dire que Lockheed Martin n’hésite pas ŕ Ť casser ses prix ť si l’on en croît les propos rapportés par certains confrčres et qui ont été tenus par la trčs charismatique patronne de Lockheed Martin Marillyn Hewson ŕ la mi-février.
La dérive des coűts liés au F-35 a depuis longtemps été mise ŕ l’index ne serait-ce que par le GAO (l’équivalent américain de notre cour des comptes). Travaillant sous couvert du département de la défense (DoD), Lockheed Martin a pour objectif d’abaisser les coűts du F-35A de 5e génération afin qu’il ne dépasse pas le coűt d’un F-35 de 4e génération, a expliqué Marillyn Hewson. Et d’insister sur le fait que maturité de programme oblige, depuis la construction du premier F-35 son coűt a chuté de 55 % sans compter que le coűt d’exploitation a également chuté ce qui rend l’appareil encore plus attractif. Cependant pour compenser la baisse des budgets du DoD, Lockheed Martin entend bien faire du dumping commercial afin de faciliter les ventes du F-35 ŕ l’export.
Quel que soit le constructeur, les ventes d’appareils militaires ŕ l’exportation passent par des efforts financiers mais aussi industriels de la part du constructeur d’origine. On en a la preuve avec les tergiversations contractuelles qui accompagnent la vente du Rafale en Inde, et on constate qu’il en va de męme en Australie pour le F-35 dont la vente s’est accompagnée d’un transfert de production auprčs d’un certain nombre d’industriels indigčnes. La preuve nous en a encore été donnée cette semaine au salon d’Avalon prčs de Melbourne.
Toujours est-il que les nations, męme si elles connaissent des baisses de leur budget de défense, sont amenées ŕ revoir leurs plans d’investissement (et la France ne fait pas exception) face aux menaces de tous bords : terrorisme, état islamique, situation en Ukraine, guérillas larvées dans nombre d’états africains, différents sino-chinois sur la possession d’îles…
Des situations géopolitiques qui conduisent parfois, comme c’est le cas de la vente de Rafale en Egypte, d’accélérer des décisions d’achat. Malgré tout si cette situation devait se poursuivre, il faudra tout de męme quelques années avant que les ventes aéronautiques liées ŕ la défense ne se redressent sensiblement. D’autant que Lockheed Martin n’est pas le seul ŕ revoir ses coűts ŕ la baisse.
C’est une question de survie et de compétitivité et en revoyant les procédures d’approvisionnement tout au long de la chaîne des fournisseurs, le cabinet d’expertise PWC estime qu’il n’est pas rare de voir une baisse des coűts de 30 %. Outre l’environnement géopolitique, les constructeurs de défense appliquent ainsi de plus en plus des méthodes ordinairement mises en œuvre dans les secteurs civils.
Toujours selon le cabinet PWC le succčs rencontré en aviation commerciale est incontestable. En tenant compte uniquement des commandes des deux leaders Boeing et Airbus, leurs carnets de commande conjugués s’élčvent ŕ plus de 10 000 appareils. Sans compter que leurs challengers ou les nouveaux venus –Bombardier, Embraer, Comac ou encore Sukhoi- tirent aussi les volumes vers le haut. Ce qui fait dire ŕ PWC que la difficulté pour les avionneurs ne serait-ce qu’en 2015 est de piloter la forte augmentation des prises de commandes et de relever le défi industriel que cela représente.
Ce contre quoi s’élčve le président du Groupe des équipements aéronautiques et de défense (GEAD) du Gifas, Emmanuel Viellard également PDG du fournisseur LISI Aerospace. Il réfute que la chaîne des fournisseurs soit en difficulté. Ť Certes il y a des défis ŕ relever, il ne faut pas les minimiser, mais il faut les dépasser ce pourquoi le Gifas a lancé le plan Performance Industrielle, que la filičre dispose d’un médiateur et que les industriels de l’ensemble de la supply chain discutent ensemble pour trouver des solutions ť. Ť Depuis les deux ou trois derničres années, on avait l’augmentation des cadences (le ramp-up) devant nous, poursuit-il, et on disait que la chaîne des fournisseurs n’allait jamais suivre. Il faut reconnaître que la supply chain a suivi. En plus, les équipementiers français ont pris des ensembles importants auprčs de Boeing, de Comac, ou encore les russes, etc. Nous ne sommes pas simplement exposés aux constructeurs français ni européens, on est sur le marché mondial et on a réussi le ramp-up, nous avons franchi les peaks et nous avons réussi ŕ développer les nouveaux programmes dans de bonnes conditions ť. En quelque sorte, Emmanuel Viellard estime qu’il faut positiver et ne pas penser a priori qu’on n’y arrivera pas ! D’autant que ce matin męme Airbus annonce accroître ŕ nouveau la cadence de production de sa famille A320 pour la porter ŕ cinquante par mois dčs le premier trimestre 2017, cela bien sűr pour permettre de faire face ŕ la demande. Parallčlement, la cadence de production de l’A330 Ť classique ť va ętre ajusté ŕ six par mois ŕ partir du premier trimestre 2016 (au lieu des dix actuels) pour faire la transition avec l’A330 remotorisé, ŕ savoir l’A330neo.
Ce qui confirme s’il le fallait que l’aviation commerciale en 2015 se profile bien.
Nicole Beauclair pour Aeromorning