La caricature est une forme d’art et d’expression indispensable à toute société libre. J’en suis profondément convaincu. Je crois aussi que tout peut être caricaturé. C’est le propre même de la caricature : détourner l’image de la vérité pour en dire une autre (« image » ou « vérité », vous choisissez). Cela n’a vraiment de sens que si l’auteur a toute la liberté de caricaturer comme il l’entend, ou plutôt comme il le voit. Comme toujours, la question est alors de savoir si cette liberté a une limite.
Comme l’a dit on ne sait plus qui – même si certains attribuent cette sentence à John Stuart Mill – « la liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres ». Plus précisément et plus ouvertement, l’article 4 de la Déclaration des droits de l'homme décrète que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Ces déclarations, qu’on y adhère ou non, montrent que la liberté, notamment celle d’expression et donc de caricature, aurait des limites. Celles de ne nuire à personne.
Forts des droits acquis par la Révolution française, de nombreux Français intellectuels – je suppose d’ailleurs que je devrais supprimer le substantif « Français » – s’opposent à cette vision limitative. Par exemple, j’ai eu dernièrement une discussion ouverte et passionnante avec un ami, professeur à la Sorbonne et ancien directeur dans une institution internationale. Il m’a défendu, avec beaucoup de talents, toute l’importance de la caricature, son rôle subversif et inquisiteur. Pour lui, promouvoir la caricature est de toute évidence une nécessité absolue et salutaire pour la défense de la République ! Le plaidoyer était limpide.
Comme ce qui nous réunissait était l’univers de l’éducation – fortement interpellé à la suite des événements « Charlie » –, je me suis permis, après l’avoir écouté, d’émettre cette simple remarque : « D’accord. Mais imagine un instant que dans un lycée, un élève au crayon talentueux produise, avec à-propos, quelques caricatures – pertinentes mais corsées – mettant en scène le proviseur de l’établissement et quelques-uns de ses professeurs bien connus… et diffuse ces quelques bonnes caricatures dans une petite brochure distribuée à qui la veut lors des récréations… ».
Comme seule réponse, je n’eus que le silence. Le sacro-droit à l’expression avait trouvé une de ses limites. Sans commentaire.
Notre dialogue n’était pas un combat, loin de là. Le silence de mon ami était la meilleure réponse qu’il aurait pu me donner. Implicitement, il reconnaissait que – malgré tout son discours – il y avait des situations où la liberté de la caricature rejoignait peut-être celle de l’autre, ici celle de l’institution éducative. Et qu’il était important de pouvoir concilier ces deux libertés. Non pas pour en écraser l’une ou l’autre. Mais pour pouvoir en construire une nouvelle : celle du respect mutuel.