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Je n'irai plus chez Primark.

Publié le 08 mars 2015 par Odile Sacoche @OdileSacoche
Il y a quelques années de cela, je suis partie en vadrouille du côté de Liège pour aller au Primark. Quand je suis arrivée là, je me rappelle que je m'étais dit que c'était genre le temple de la mode. C'était aussi complètement fou de voir tout ce monde s'arracher tant de vêtements pas chers. Je suis restée 4h dans le magasin, dont 1h de file à la caisse, pour m'acheter un énorme sac rempli de vêtements pour à peine une centaine d'euros. Je me souviens qu'en sortant de là, il y avait une queue dehors, menée par des vigiles, pour pouvoir entrer dans le magasin. La folie des petits prix. Déjà à ce moment là j'avais une petite conscience qui me disait "qu'est ce qu'on ferait pas pour s'acheter des fringues pas chers". D'ailleurs jusqu'ici, j'ai toujours été la reine du bon plan. De la bonne affaire. Du dépenser au moins cher (et au mieux).
Bien sûr j'ai toujours été consciente de la polémique autour de Primark. Tout le monde est au courant de cette affaire d'étiquette criant à l'aide retrouvée sur un vêtement. Des hommes et des femmes exploitées, des enfants aussi, travaillant des heures derrière un tout petit bureau, reproduisant la même couture, encore et encore, pour une bouchée de pain. On le sait. Tout le monde le sait. Tout le monde en parle. Pour s'en rendre vraiment compte il suffit de regarder le reportage "Sweatshop" où 3 blogueurs mode Norvégiens ont été envoyés sur place. Et jusqu'ici, j'avais des réponses bien préparées. Des réponses auxquelles je crois aussi parce que je travaille dans le monde du textile, dans l'import justement, et que je sais très bien comment ça se passe aussi bien ici, que là bas. Ce que je me disais, et ce que je pense aussi, c'est qu'on nous fait bien vite passer pour les méchants, mais que les fabricants de textiles de l'autre bout du monde ne sont pas non plus blancs comme neige. Ils cachent facilement leurs employés lors des inspections, ils payent d'autres sociétés pour que les tests sur les vêtements passent la frontière (et après on s'étonne de retrouver des phtalates dans nos vêtements), ils refusent de changer leurs lois de travail, etc... Je ne suis pas là pour faire le gendarme, dire qui a raison, qui a tort. C'est la société dans laquelle nous vivons et nous encourageons tous ce système de façon très hypocrite. Et ce dans un sens comme dans l'autre. 
Seulement cette semaine au boulot, nous avons reçu la visite d'un bureau de tendance qui vient chaque saison nous parler des futurs thèmes et couleurs qui se retrouveront dans nos magasins la saison suivante. Et ce qui a fait grand bruit cette saison c'est le manifeste et l'interview du grand gourou de la mode Li Edelkoort. En 3 mots, elle résume très bien la situation "Fashion is dead". Elle dénonce le mécanisme de création où des millions de dollars sont dépensés pour des catwalks d'à peine 15 minutes pour voir quelques mannequins se dandiner. Cette société qui continue d'encourager l'individualisme dans un monde de crise et de faim. Son constat est assez juste : la mode est devenue pathétique. Et pas mal de marques ou de bureaux de tendance ont décidé de s'accorder sur ce même pied. C'est la crise, il est tant de changer notre façon de faire, notre façon de concevoir et de (dé)penser. Même sur la blogo, je ne cesse de lire des articles sur cette consommation excessive que nous faisons. Mais ce qui m'a fait le plus réfléchir, non pas dans le discours de Li Edelkoort, mais bien dans le discours du bureau de tendance c'est cette phrase : "Aller chez Primark, c'est avoir du sang sur les mains et c'est encourager cette façon de faire". Depuis, cette phrase ne cesse de tourner dans ma tête.
Comme je te le disais, depuis toujours je sais bien où je mets les pieds. Je n'ai jamais eu envie de dépenser des centaines d'euros dans un pull et surtout, je ne peux pas me le permettre. Jusqu'ici j'étais celle qui disait : "Oui mais si je ne veux plus encourager ce système, alors autant apprendre à coudre, faire ses propres vêtements et au moins je saurai d'où ça vient". C'est une excellente idée, et certaines d'entres nous s'y sont déjà mis, mais je sais aussi que jamais je n'ai tenté de promouvoir l'artisan du coin. Et honnêtement, peu le font. Parce qu'on nous a appris à traquer les bas prix. On nous bourre le crâne de promo, de soldes et de rabais à longueur de temps. Au point où on en est devenu scandalisé (parfois à raison) de voir le prix de certaines choses et qu'on achète rarement prix plein. Surtout depuis qu'on sait que maintenant le label "made in Italy" ne veut plus rien dire car les marques de luxes importent carrément des villages clandestins de Chinois en Italie pour pratiquer la main d'oeuvre pas cher. Moi même je cherche toujours les soldes, les dupes de palettes à moindre prix et je ne vais certainement pas cracher dans la soupe. On cherche tous la bonne affaire. Mais ce que je me suis dit aussi, c'est qu'encourager Primark, c'est un peu contribuer à mon propre suicide de carrière.
Tous ces géants de la mode sont en train de nous tuer à petit feu. Et quand je dis nous, je parle par exemple des marques belges qui essayent tant bien que mal de concurrencer les prix proposés par des Primarks. Plus nous encourageons les t shirts à 3€, plus nous devons réduire le coût de la main d'oeuvre, et moins nous sommes prêts à dépenser "mieux". Mais que se passera-t-il si un jour toutes les boites de mode Belge ferment leurs portes car la concurrence est trop rude ? Que se passera-t-il quand je me retrouverai sur le marché de l'emploi avec une carrière de styliste à mon actif ne pouvant rien faire d'autres que ça ? Qu'il n'y aura plus aucune marque Belge pour me proposer du job ? Tout ça parce que d'une certaine façon j'aurai moi même encourager d'acheter des fringues au prix et à la main d'oeuvre dérisoire ?
En réfléchissant à tout ça, je me suis dit que je ne pouvais pas complètement arrêter d'être celle que je suis. Qu'il était difficile de changer radicalement de mode de vie, de mode de dépenser, et que mes factures ou mon temps ne me permettaient pas encore de me payer du "fait main". Mais même si je ne pouvais pas changer le monde du jour au lendemain, ni faire une révolution à moi toute seule, je me suis dit que je pouvais au moins faire une chose, et opérer un petit changement. Qu'un petit changement, c'était mieux que pas de changement du tout. 
Et comme ça, j'ai décidé, que je n'irai plus chez Primark.
Je n'irai plus chez Primark.
♥ ♥ ♥Crédit photo : Dezeen

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