[Enquête] Le marché des montres connectées cherche à mettre les pendules à l’heure

Publié le 18 mars 2015 par Pnordey @latelier

Alors que la commercialisation de l’Apple Watch approche, le marché des montres intelligentes affiche déjà un certain dynamisme, doublé d’une grande diversité. Ce nouvel arrivant sur le marché annonce-t-il le déclin des monstres ultra-spécialisées au profit des appareils multi-usages ?

Après l’Iphone en 2007 et l’Ipad en 2010, Apple va-t-il de nouveau marquer l’essor d’un nouveau marché avec son Apple Watch en 2015 ? Quoiqu’il en soit, les experts s’accordent déjà pour pointer le dynamisme du marché des montres intelligentes, et ce ne sont pas les chiffres qui leur donneront tort. Une quarantaine d’entreprises se sont lancées sur ce créneau dans le monde en 2013, selon le cabinet Smartwatch Group, vendant plus de 3 millions d’unités et engendrant un chiffre d’affaires de 700 millions de dollars. En 2014, le chiffre de montres vendues est passé à 4 millions, et pourrait littéralement exploser en 2015 avec quelques 26 millions d’appareils vendus, selon l’institut GFK. « Il faut s'attendre à des croissances à 2 chiffres pendant 3 à 4 ans. Avec un pic, attendu entre l'année prochaine et l'année suivante » explique Laurent Michaud, chef de la division Loisirs Numériques à l’Idate.

Le nombre d’acteurs sur le marché est aujourd’hui pléthorique, et les appareils très diversifiés. Cependant, comme le rappelle Xavier de la Croix, Directeur de la Division Montres Casio France, « le marché des montres connectés est encore un non marché, d'ultra niche et non rentable. Cela principalement en raison de trois freins : le design, la résistance (au choix, à l'eau...) et l'autonomie ». Si le côté gadget peut séduire de nombreux consommateurs, il manque toutefois aux montres intelligentes ou Smart Watches, ce qui fait l’attrait principal des montres traditionnelles haut de gamme : la durabilité, le côté précieux, ancestral. Dans une interview accordée au New York Times, Jean Claude Biver, à la tête du département montres chez LVMH, résume les choses ainsi : « La technologie a pour elle toutes les merveilles, les caractéristiques les plus impressionnantes. Mais il y a une chose qu’elle ne possède pas : l’éternité ».

Il n’empêche, si les montres intelligentes parviennent à surmonter ces obstacles, elles pourraient bien devenir le nouvel appareil intelligent en vogue et beaucoup, comme Laurent Michaud, pensent que l’introduction de l’Apple Watch va donner le coup de pouce nécessaire. « Tout produit qui vient d'Apple suscite une attente importante parce qu'ils nous ont habitué à de la disruption dans leurs produits, explique l’expert de l’Idate, que ce soit au niveau des modèles économiques, du design, des contenus, des fonctionnalités. Ce qui a fait le succès des smartphones puis des tablettes pourra faire le succès de la montre connectée ». Un avis partagé par Frédéric Saint-Etienne, porte-parole et directeur de la communication chez Garmin : « Apple fait partie des acteurs capables de faire de la pédagogie sur ce marché, de légitimer le produit et de proposer de nouveaux types d'utilisation

Couplée à un smartphone, la montre intelligente peut permettre d'envoyer des messages, d'écouter de la musique ou encore de gèrer son agenda.

Vers la sectorisation du marché ?

Si beaucoup attendent du dernier-né d’Apple qu’il dynamise le marché, il pourrait également engranger un tournant dans sa structure. Pour l’heure, les produits qui s’attirent les faveurs du public sont principalement des montres ultra-spécialisées, destinées à un usage spécifique. Pourtant, la montre très généraliste que s’apprête à lancer la marque à la pomme pourrait annoncer la suprématie future des montres intelligentes multi-usages? « Apple risque de donner le tempo. Il est difficile de prévoir comment l’industrie va être impactée suite à la sortie de l’Apple Watch. Nous allons certainement vers une segmentation du marché. Mais il sera peut-être difficile pour des acteurs spécialisés d’exister face à des solutions aux fonctionnalités plus complètes », selon Laurent Michaud.

Il est en tout cas fort probable que, comme chaque fois qu’un jeune marché émerge, le nombre d’acteurs commence par s'accroître significativement jusqu’à ce que les meilleurs se distinguent, éclipsant peu à peu tous les autres : « Tout le monde ne rencontrera pas le succès. L’écosystème sera déterminant. Celui qui arrivera à proposer la meilleure expérience consommateur dans un écosystème varié sera le gagnant : gérer l'ensemble de mes réseaux sociaux de façon très simple, avoir accès à des jeux, de la musique, pourquoi pas à de la vidéo… », commente l'expert de l'Idate. Xavier de la Croix, directeur de la division Montres Casio France, est encore plus réservé sur le succès des produits spécialisés : « Si on regarde le secteur des bracelets connectés, on s'aperçoit qu'ils ont connu un véritable engouement il y a un ou deux ans. Mais les utilisateurs arrêtent souvent de s'en servir au bout de quelques mois. En effet, il manque encore un écosystème global ». Pour Frédéric Saint-Etienne, la clef réside dans la gestion des données : « On assiste à l'arrivée sur le marché d'acteurs venant d'horizons très différents : des horlogers, des acteurs du mobile, du monde du sport, chacun apportant son savoir-faire, mais il est clair que le data est le nerf de la guerre. Est-ce que le produit va être capable d'enregistrer, mettre à disposition et interpréter les données pour en faire quelque chose ? S'il y a aujourd'hui une convergence, c'est au niveau de la gestion des données qu'elle s'opère ». Le scénario privilégié par les experts semble donc aller dans le sens d’un marché marqué par la domination croissante des montres généralistes, où ceux qui parviendront à tisser un écosystème cohérent avec une gestion optimale des données parviendront à tirer leur épingle du jeu.

Pour l’heure, les montres à usage spécifique dominent encore le marché. Les Smart Watches orientées sport et fitness, notamment, emportent les suffrages du public : alors qu’elles ne représentaient qu’un cinquième des produits sur le marché en 2013, elles ont constitué la moitié des ventes de montres intelligentes en 2014, selon Smartwatch Group. Parmi les marques présentes sur ce segment, on compte Nike, Sony ou encore Garmin, avec sa Vivioactive, qui permet de mesurer ses performances sportives, avec des applications dédiées à la course, mais aussi au vélo, à la natation, et même... au golf. On retrouve également des produits spécialisés dans le domaine musical, comme la G’Mix de Casio, qui permet notamment de naviguer parmi la bibliothèque musicale de son smartphone depuis sa montre et de reconnaître des morceaux environnants.

D’autres appareils sont davantage tournés vers la sécurité de leurs utilisateurs. Ainsi, la marque Limmex propose une montre spécialement conçue pour les personnes âgées, qui leur permet d’alerter leurs proches en cas de problème. La marque Filip, de son côté, propose une montre destinée aux enfants, dotée d’une interface simplifiée et d’un GPS pour permettre aux parents de localiser leur progéniture. Mais, Apple Watch oblige, les vents pourraient tourner en faveur des montres généralistes.

De gauche à droite : en haut, la G'Mix de Casio et la Pebble Time ; en bas : l'Apple Watch et l'Horological Smartwatch

Un marché qui attire géants de la téléphonie, start-up et horlogers

C’est sur le segment des montres généralistes, qu'on pourrait presque qualifier de mini-smartphones, que les géants de la téléphonie jettent leur dévolu. Qu’il s’agisse de Samsung et sa Gear S ou encore Sony et sa SmartWatch, en passant par LG, Asus, Wiko, Motorola et, à partir d’avril prochain, Apple, tous cherchent à se tailler la part du lion. Leurs montres connectées rendent possible la réception de toutes les notifications du smartphone auquel elles sont liées, l'envoi de messages, de mails et même les transactions à distance pour l'Apple Watch via l'Apple Pay. Certaines utilisent une connexion Bluetooth qui les lie à un smartphone pour envoyer des messages et recevoir des appels ; d’autres, comme la Gear S de Samsung, possèdent leur propre connexion cellulaire.

Certaines start-up viennent également concurrencer les grands noms de la téléphonie sur ce marché. La start-up américaine Pebble se taille ainsi un franc succès sur Kickstarter. Avec presque 19 millions de dollars en poche, il lui reste quelques jours de campagne à mener sur le célèbre site de financement participatif pour soutenir le développement de sa Pebble Time. Cette montre se distingue par son écran tactile fonctionnant à l’encre électronique, qui la rend bien moins gourmande en énergie que ses concurrentes à l’écran digital.

La campagne Kickstarter pour la Peeble Time. En moins de trente minutes l'objectif de 500 000 dollars était déjà atteint.

Et les horlogers dans tout cela ? « Ils sont dans un premier temps bousculés. De nouveaux acteurs entrent sur le marché avec des innovations disruptives et rebondir constitue un grand défi pour les constructeurs historiques », explique Laurent Michaud. « Certains constructeurs de montres ont commencé à réagir », souligne-t-il. C'est le cas de Swatch, qui a développé une montre connectée pour les adeptes du volley ball, prévue pour cet été, affichant une autonomie vertigineuse de neuf mois. Hewlett Packard, de son côté, s’est associé au créateur Michael Bastian pour mettre sur le marché une montre à l’élégance classique dotée de fonctions high tech : lecture des messages, informations sportives et boursières, calendrier… C’est sans doute sur ce créneau que les horlogers peuvent gagner des parts de marché : combiner la valeur sentimentale et symbolique des montres haut de gamme avec le côté pratique des Smart Watches. Jean-Claude Biver affirme ainsi au New-York Times son intention de promouvoir une gamme de montres intelligentes de luxe, à une seule condition : « Elles doivent être différentes et uniques ; si elles ne le sont pas, autant laisser la place à Samsung et Apple ». Ce créneau est d’ailleurs aussi investi par l’Apple Watch, qui se décline dans une version en or 18 carats à… 11 000 dollars. Si aujourd'hui certains semblent sortir une montre connectée pour faire preuve de réactivité aux yeux de tous, savoir si ce marché pourra constituer un véritable relais de croissance pour l'industrie de l'horlogerie reste à démontrer. « Il faudra un peu de temps », nous dit Laurent Michaud. « Deux attitudes seront alors possibles, si l'opportunité économique des montres connectées est avérée : développer en interne des produits à la hauteur de la concurrence ou opter pour une croissance en externe en rachetant des sociétés ».

Rédigé par Pauline Canteneur et Guillaume Renouard