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Yanis Varoufakis et les enseignements du jeu vidéo

Publié le 08 février 2015 par Michael Vincent @0vinz
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Yanis Varoufakis

Un mot d’abord pour évacuer tout de suite mes éventuelles pudeurs, je suis très enthousiaste à l’idée qu’un économiste comme Varoufakis puisse devenir ministre des finances dans un pays de l’Union, en l’occurrence la Grèce. Non pas parce qu’il est de gauche, bien que cela aide, mais bien parce qu’il balaie d’un revers l’ordre établi jusqu’à maintenant par tous les autres ministres européens « à la papa », dogmatique et old school, habitués aux paradigmes bien confortables et datés. Si cela ne les empêche pas a priori d’être de bons gestionnaires – loin de moi l’idée de leur faire un procès d’intention – ils n’ont cependant que peu de prédispositions à l’innovation. Du point de vue de la nouveauté, Varoufakis est sexy. En puissance seulement – il a maintenant tout à prouver pour ne pas décevoir les espoirs fondés sur lui. Pour l’avenir de la Grèce évidemment, mais surtout pour l’avenir de l’Union dont les positions pourraient s’infléchir suite au débat posé par un hétérodoxe comme Varoufakis.

Un économiste chez les gamers

Pourquoi hétérodoxe ? En particulier parce qu’il a croisé la route d’un certain Gabe Newell, patron de Valve et de la plateforme en ligne Steam. Comme quoi, le jeu vidéo mène à tout. Que nous enseignent les travaux du ministre des finances grec ? Je vous propose un bref résumé de ses écrits “période Valve”.

Gabe Newell

Gabe Newell

La promesse de départ est ambitieuse : Gabe cherche un économiste pour l’aider à lier les économies de deux de ses jeux vidéo phares par une monnaie commune, bien que celles-ci soient très différentes. Varoufakis est séduit par le père Newell ; il s’agit alors pour lui d’une opportunité unique de travailler sur une question qui lui tient à coeur, y voyant un parallèle évident avec l’euro, l’Allemagne et la Grèce.

L’accès facile aux données achèvera de convaincre Varoufakis puisque chaque action, chaque transaction au sein du jeu sont loguées, ce qui rend l’étude prometteuse : l’économiste peut s’affranchir de l’économétrie et de la statistique aux théories autoréalisatrices dont il dit lui-même qu’elles ne valent pas mieux que l’astrologie…

Team Fortress 2 – le travail du chapeau

Varoufakis va s’intéresser au jeu Team Fortress 2, jeu multijoueur en ligne dans lequel les joueurs, en marge des parties compétitives classiques, peuvent créer et s’échanger des objets – clefs, armes, et surtout des chapeaux pour lesquels le jeu est bien connu des initiés.

Les travaux de Varoufakis sur ce jeu l’ont amené à faire les observations suivantes : instinctivement, le caractère aisé et automatique des échanges inhérent à une plateforme électronique laisserait penser que le marché atteindra rapidement son équilibre et qu’il s’agit là d’un marché efficient. Contre toute attente, il y a énormément d’opportunités d’arbitrage sur le marché virtuel du jeu, sans que celles-ci ne se corrigent rapidement. Aucun des objets échangés ne s’est hissé au rang de numéraire, de monnaie d’échange – le troc bilatéral prime, et ce malgré les gros volumes échangés.

Pas de chance, la majeure partie des théories économiques repose sur la notion de market equilibrium chère à Adam Smith et David Ricardo, dont l’existence est remise en cause même dans un marché sophistiqué comme celui-ci.

Adam Smith mis à mal

La science économique nous a racontés pendant longtemps une bien belle histoire, digne de Rousseau et son Contrat social – de la même façon qu’il aurait renoncé à son état de nature pour devenir animal social, l’homo economicus, fatigué d’être à la merci de la double coïncidence des besoins à la base du troc, a choisi un numéraire qu’il a élevé au rang de monnaie universelle pour faciliter les échanges.

En réalité, la civilisation s’est principalement construite sur la division du travail, c’est-à-dire sur des échanges dits “impurs” car impliquant des normes sociales sans nécessaire réciprocité, plus que sur des échanges “purs” simplement réductibles à un acte comptable.

Un marché électronique comme celui de Valve semble de prime abord plus proche d’un idéal où l’échange pur et anonyme prévaudrait. Pourtant, un peu à la manière des marchés réels avant la révolution industrielle, le troc est ici essentiellement conséquence d’un surplus inattendu d’un objet X ou Y dont le joueur chercherait à se débarrasser, ne reflétant aucune logique mercantile. Dès lors, ces échanges biaisent le marché et il est impossible de faire émerger une monnaie commune et rationnelle.

Un dernier point à ne pas négliger enfin, qui souligne une certaine aberration de la construction de la monnaie unique sans mise en commun des dettes souveraines – certains historiens ont montré que la monnaie serait en réalité apparue non pas comme facilitateur d’échanges mais comme… un moyen de mesurer la dette ! L’absence de possibilité de crédit sur la plate-forme Steam pouvant alors expliquer en partie qu’un numéraire ne puisse émerger naturellement.

Pas certain que ces découvertes seront d’une importance étendue pour le mandat de Varoufakis, reste que la lecture de ses articles est intéressante et je vous invite à y jeter un œil :

http://yanisvaroufakis.eu/

Notez enfin que depuis le passage de Varoufakis chez Valve, de l’eau a coulé sous les ponts – Steam a opté pour un système de marketplace beaucoup plus classique où chaque joueur peut acheter et vendre ses objets contre de l’argent cette fois-ci bien réel, transactions sur lesquelles Valve ponctionne systématiquement 2 centimes…



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