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“J’ai pour la littérature la plus grande vénération” : rencontre avec Yasmina Khadra

Par Unefilleenchine
“J’ai pour la littérature la plus grande vénération” : rencontre avec Yasmina Khadra

Après Carole Martinez l'an dernier, l'une de mes auteurs favorites, puis David Foenkinos, Yasmina Khadra était l'invité hier du Consulat Général de France, dans le cadre du vingtième anniversaire de la fête de la Francophonie en Chine. C'est un auteur que j'aime beaucoup, pour sa capacité à nous faire voyager, réfléchir, et analyser de nouvelles perspectives sur les choses ou les événements. Il a écrit 35 livres en langue française, dont deux sont traduits en chinois.

La rencontre était passionnante, essentiellement sous forme de questions-réponses. Un moment très fort ponctué de beaucoup d'humour, durant lequel de nombreux sujets ont été développés : littérature bien sûr, culture, actualité, religion...

J'ai particulièrement apprécié la douceur et la franchise de Yasmina Khadra durant toute cette intervention. C'était la fête de la langue française, certainement pas celle de la langue de bois.

Parce qu'il serait dommage qu'on soit les seuls à pouvoir en profiter je reprends ici quelques morceaux choisis de l'intervention d'hier. A la première personne, mais grâce au rythme relatif à l'interprétariat en chinois mes notes sont fidèles.

Un grand merci à Yasmina Khadra pour cet échange, son humour et sa patience lors de la longue séance de dédicaces qui a suivi. " Belle comme tout " j'ai même eu droit à la bise !
( davantage de photos sur la page Facebook d'Une Fille en Chine)

" Je suis né dans le sahara algérien d'une tribu de poètes.
Je crois que je suis né uniquement pour écrire.
Mon père avait un autre projet pour moi : j'ai rejoint à neuf ans dans une institution militaire, et j'ai été sauvé par les livres. J'ai pour la littérature la plus grande vénération. Ma première nouvelle a été écrite à onze ans , mon premier recueil de nouvelles publié à dix-sept ans. J'ai passé trente-six ans dans l'armée, où j'était une anomalie. La littérature semblait incompatible avec le milieu militaire, mais j'ai ensuite trouvé la même attitude en rejoignant le milieu littéraire.

J'écris parce que j'aime les gens. Chaque rencontre est pour moi un enrichissement. J'écris parce que je veux comprendre l'homme que je suis dans l'univers d'aujourd'hui. Je veux interroger mon époque. J'ai la chance d'avoir une double culture, orientale et occidentale. Cela me permet de voyager à travers toutes les mentalités et toutes les cultures.
Je suis la synthèse de tous les écrivains que j'ai lu. Les frontières ne sont pas sur terre mais dans les esprits. J'ai tout lu ( la littérature française, arabe, russe, et d'autres...) et c'est un émerveillement permanent.

Pour vivre sa vie il faut aimer de chaque religion un saint et de chaque folklore une danse ". Ouvrir un livre est un geste citoyen. C'est accepter de sortir de sa bulle pour aller découvrir l'autre. Celui qui ne sait pas découvrir l'homme se perd lui même. Je sais aimer de chaque littérature un écrivain. Celui qui ne s'émerveille pas, c'est un être mort. C'est pour cela qu'il faut aimer la littérature, l'opéra, le théâtre... il faut chercher son bonheur partout.

(...)

A la question " qu'aimez vous chez l'homme ? "

Lorsque l'on me présente comme écrivain on parle beaucoup de violence. Mais pas seulement ; tous les sujets du monde m'interpellent. J'aime chez l'homme sa force de reconstruire le rêve partout où il est. Mais je lui préfère de loin la femme.

Je trouve la femme plus humaine que l'homme. Plus responsable et plus lucide, plus vaillante que l'homme dans les moments difficiles. J'ai pour la femme une véritable vénération. Tout ce que j'ai fait c'est pour mériter l'amour de ma femme. J'ai pris un pseudonyme féminin pour participer à l'émancipation de la femme dans nos pays musulmans. Le regard que nous portons sur la femme est réducteur et stupide.

(...)

Toute culture est une générosité, c'est une émancipation.

(...)

Si je me suis intéressé à la situation conflictuelle dans le monde c'est par devoir. Les politiques et les médias sont souvent à côté de la plaque. Je souhaitais prendre l'occidental et l'emmener dans ces pays pour qu'il comprenne ce qu'il se passe. Avec moi le lecteur voyage : Palestine, Israel, Afrique, Afghanistan, Irak... Mon prochain livre parle d'un tyran que tout le monde connait médiatiquement, mais pas à travers sa personne. Il raconte la dernière nuit de Kadhafi. C'est un roman, pas un essai. Il est écrit à la première personne du singulier, j'ai essayé de me glisser dans la peau d'un tyran. La sortie du livre est prévue en octobre 2015.

J'ai terminé un autre roman qui sortira en 2016 et se passe à Cuba.

J'écris également des scénarios. Le prochain parle d'une fille occidentale qui part faire la guerre en Syrie. Le tournage se fera en Belgique au deuxième semestre.

(...)

J'écris en langue française. J'ai pour la langue française un véritable amour. A quinze ans je rêvais d'être poète en arabe, puis j'ai rêvé d'être romancier en français.
La langue française est cosmique, généreuse, hospitalière. Elle sait tout faire.

Si j'avais écrit mes romans en arabe je n'aurais pas dépassé les frontières du monde arabe.

Il faut absolument avoir la curiosité de comprendre les autres cultures. C'est bien d'être instruit, c'est mieux d'être cultivé. La culture nous éduque. Il y a toujours des choses magnifiques dans la culture des autres. Nous pensons être inaptes à accepter la générosité des autres. Nous sommes des êtres humains, et tout ce qui est humain doit nous intéresser. Nous ne sommes ce que nous sommes que par rapport aux autres Sans les autres on n'est rien du tout.

(...)

Céline a écrit : " A chaque vertu sa littérature immonde ". Chaque écrivain est libre de faire ce qu'il veut. Je suis pour la liberté totale, la liberté d'expression. Dans les moments difficiles il faut faire preuve d'un minimum de responsabilité. Tous les peuples du monde ont le même rêve : élever leurs enfants, faire l'amour, vivre heureux... La guerre n'a jamais rien amené de bon, c'est la faillite du bon sens.

Je suis algérien, j'ai été militaire, j'ai quatre millions de lecteurs en France. Pourquoi continueraient-ils de m'aimer s'il y avait vraiment un problème entre les musulmans et les chrétiens ?
Si nous voulons avancer vers le salut il faut apprendre à être solidaires. La pire menace qui pèse aujourd'hui c'est l'indignation sélective.

(...)

Tous les plus grands écrivains, journalistes, artistes algériens ont été assassinés.

Toutes les victimes se valent. Toutes les vies sont précieuses. Pour avoir fait la guerre, je le dis et je l'assume : il n'y a rien de plus précieux que la vie. Ni patrie, ni religion, ni rien. Le seul dieu qui compte c'est vous même. Avant vous le monde n'existait pas, après vous il cessera d'exister. Il faut chercher son bonheur partout où il est sensé se trouver. Les seuls moments essentiels de notre vie sont les moments de joie que nous partageons avec nos amis.

(...)

Chaque livre est pour moi une évasion. Je ne ressens pas réellement d'influence d'autres auteurs, mais une grande admiration. J'écris dans ma propre langue. En français, mais pas comme les français. Il y a ma sensibilité d'arabe de berbère, de bédouin, du sahara.
Parmi les écrivains qui m'ont vraiment marqué il y a Gogol, Jack London, Steinbeck... Parmi mes contemporains j'apprécie beaucoup Amin Maalouf.

Mais je lis tout le monde, parce que chacun m'apprend une chose : la transcendance, la facilité, le génie, la médiocrité...

(...)

C'est la lecture de " L'étranger " de Camus qui m'a fait passé du rêve d'être poète en arabe à celui d'être romancier en français. Je n'ai pas tellement aimé ce qu'il a écrit mais j'ai adoré sa façon de l'écrire.

La littérature c'est un buvard. Elle absorbe tout. C'est le sismographe d'une époque. Grâce aux écrivains nous avons une mémoire.

(...)

Le problème de la religion n'est pas dans son contenu cosmique mais dans l'interprétation des hommes. Quelqu'un qui n'aime pas l'être humain ne peut pas aimer Dieu.

(...)

" Il ne faut pas avoir peur de mourir car l'on risque de mourir de peur ".

J'ai vécu ma vie normalement, et c'est la seule façon de vivre. On ne sait jamais de quel côté le malheur vous frappe.

Depuis toujours j'ai choisi de rêver. Je mourrai le jour où mon lectorat cessera de me lire. "


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