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Côte-d'Ivoire: Ces bulldozers de la honte

Publié le 29 mars 2015 par Novelist225

Ils sont entrés dans la danse au lendemain du changement de régime suite à la sanglante crise postélectorale de 2011. Présentés comme des engins de salubrité, dans la volonté affichée des nouvelles autorités de redonner un visage moins cochon à certaines artères des grandes cités.

Il y avait un malaise évident né d'un certain laxisme dans le respect des mesures visant à garantir la chose publique. D'aucuns ont bâti sur des caniveaux, d'autres ont obstrué des canalisations importantes. Une frange importante s'est volontairement engluée dans les marais des bicoques et constructions précaires érigés dans des lieux à hauts risques avec les fâcheux débordements en termes de victimes humaines lors des saisons pluvieuses.

Toutefois, le scénario devient cauchemardesque quand ces bulldozers réduisent en gravats des constructions régulières, des habitations de haut standing, le fruit du labeur de toute une vie. Une centaine de maisons rasées, soufflées comme de vulgaires châteaux de cartes, suite à une contestation assez bizarre de villageois, tandis que les documents brandis par les acquéreurs sont vieux de plus de deux décennies.

Pourquoi les a-t-on laissé bâtir ? Pourquoi l'Etat a-t-il encaissé les impôts fonciers et autres taxes afférentes au long de ces années ? Qui relogera ou dédommagera ces familles ? Un préjudice de plus de deux milliards de francs CFA.

L'Etat a-t-il tous les droits dans un système de gouvernance moderne ? Et enfin au nom de quoi, un Ministère urinerait-il sur les prérogatives d'un autre Ministère ?

Il semble en effet qu'une procédure suivait son cours en justice entre le Promoteur immobilier et le Ministère de la Construction et de l'Urbanisme. Pourquoi alors cette autorité ministérielle a-t-elle pris la décision univoque et unilatérale de saborder les efforts de vies entières, de durs labeurs et de dizaines d'années de travail ? Serait-ce que le Ministre de la Construction a des entrées plus sures au Palais de la Présidence ?

A ce niveau, il se pose la question de la continuité de l'Etat en Côte-d'Ivoire.

On garde en mémoire le malaise d'une fâcheuse affaire de dame auto immolée par le feu aux alentours de la Présidence. Une question de créances de l'Etat attribuée à une gestion précédente aurait justifié la fin de non recevoir opposée à la malheureuse qui par désespoir s'était auto transformée en torche humaine.

Or l'Etat est une continuité, l'Administration est une continuité. Autant les mesures d'allègement de la dette du Programme PPTE initié sous l'ancien régime ont bénéficié à l'actuel régime, autant des protocoles et accords entamés sous l'ancien régime engagent le régime actuel, autant les arrêtés et documents officiels auparavant signés ont force de lois. Ils ne doivent être simplement balayés du revers de la main pour quelque motif que ce soit.

Si du jour au lendemain, l'Etat doit nier ses engagements et confondre la signature de l'autorité à la signature de l'individu, il y a fort à craindre pour la cohésion sociale et pour l'établissement d'une paix durable. Encore une fois, citons Emile Zola : " La main qui punit doit être impeccable car si la justice vient à se tromper, le lien social lui-même se dénoue ". Quand la justice devient abus, alors les peuples ou des franges de la communauté se donnent les moyens de rétablir un certain équilibre et la vérité, sinon leur vérité.

En attendant, des familles entières sont jetées à la rue et n'ont plus que leurs yeux pour pleurer et se lamenter. Il faut par ailleurs que l'Etat trouve le moyen de démêler cet écheveau de la cession des terres villageoises dans le district d'Abidjan. Si le mode de gestion traditionnel des communautés leur est reconnu et légitimé par l'Etat moderne, cela suggère aussi de l'ordre et de la discipline, l'intégration du principe de continuité. Des chefs destitués à tous bout de champ, l'annulation des décisions prises par eux, comme ça du jour au lendemain, cela produit une drôle de musique aigrelette dans un système de gestion moderne, des instruments mal réglés pour un concerto d'envergure.

Félicité Annick Foungbé Zimo, écrivain et analyste


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