Dans l'épisode précédent, de la Réforme à la Révolution, nous avons laissé notre territoire en 1798, au moment où les troupes françaises envahissaient Genève et que le Directoire faisait de cette ville le chef lieu du Département du Léman. A ce sujet, il me parait intéressant de s'attarder brièvement sur l'attitude de la population, tant savoyarde que genevoise, envers cette présence française. Pour ce qui concerne la Savoie, il faut noter que c'est la communauté émigrée et principalement celle émigrée sur les bords de la Seine, qui était très favorable au rattachement de la Savoie à la France révolutionnaire et qui exerça une influence forte sur les populations en faveur de l'annexion. Quant à Genève, la population vécut mal cette "invasion" dont les conséquences économiques furent néfastes et après la défaite de Napoléon, la Rome Protestante s'empressera de chercher à se protéger des Français, ce qui conduira les Genevois à renoncer à leur indépendance pour se rattacher à la Suisse en 1815.
L'administration française du département du Léman
Apres le coup d'état du 18 brumaire, l'administration centrale des départements est réorganisée pour faire place à un préfet: Le département du Léman créé en 1798 (puis augmenté du Haut Faucigny et intégrant donc le massif du Mont-Blanc à partir de 1800) est divisé en 3 arrondissements: Genève, Bonneville et Thonon et est constitué comme ceci (carte ci dessous). On notera que le département du Léman incluait le Pays de Gex mais qu'Annecy qui avait souhaité faire partie de ce nouveau département restait, à son grand regret, dans le département du Mont-Blanc sous la tutelle de Chambéry.
Les frontières du Département du Léman : 1798 -1814
La Savoie et la France
Pour ce qui concerne la Savoie, il faut noter que c'est la communauté émigrée et principalement celle émigrée sur les bords de la Seine, qui était très favorable au rattachement de la Savoie à la France révolutionnaire et qui exerça une influence forte sur les populations en faveur de l'annexion.Toutefois, bien que la Terreur n'y fut pas aussi brutale que dans d'autres régions (on pense bien évidemment à la Bretagne et à la Vendée), la Révolution ne laissa pas de bons souvenirs en Savoie, pays profondément religieux. Les réquisitions tant matérielles qu'humaines avec des enrôlements de force dans l'armée révolutionnaire, la dévaluation de la monnaie et surtout les persécutions religieuses , tout cela fit naître une hostilité sourde et croissante envers les Français dans cette population de paysans. Rappelons que les exactions commises par les français, en particulier par le tristement célèbre Albitte conduisirent à des mouvements de rébellion à Thônes et Annecy, voire même de contre révolution. Les choses s'améliorèrent toutefois en 1801 quand la signature du Concordat permet le retour des prêtres dans leurs paroisses.
Rappelons que par le traité de Paris de 1796, avant-gout peu connu de 1860, le Roi de Sardaigne avait été contraint de céder la Savoie et Nice à la France. Si notre territoire était donc à priori ancré de façon pérenne à la France, ce n'est qu'avec le Consulat puis l'Empire que les deux départements savoisiens connurent une décennie de calme jusqu'en 1810, année à partir de laquelle la lourde charge fiscale et la conscription militaire ramenèrent le mécontentement. Au final, les réformes introduites par la France profitèrent essentiellement à la bourgeoisie, classe sociale au sein de laquelle l'idée française ira se renforçant jusqu'en 1860. Dans le même temps, malgré un lourd tribut humain payé à l'épopée Napoléonienne, nombreux étaient les soldats rescapés (23000 soldats savoyards avaient servi dans l'armée française) qui étaient fiers d'y avoir participé, et qui rapportaient au pays une image exaltante de la "Grande Nation".
Genève et la France
Les conséquences de l’annexion de Genève à la France ont été désastreuses pour l’économie de la ville, qui traversa alors une période de profonde récession et de stagnation à cause de la guerre et du blocus continental qui ruinèrent industriels et banquiers. Mais le régime français apporte également de nombreuses nouveautés, qui seront conservées après l’indépendance et l’adhésion à la Confédération: notamment la séparation du civil et du religieux dans un nouveau code civil et une administration dirigée par un maire, deux adjoints et un conseil municipal.
A l'issue de l'épopée Napoléonienne, Genève, qui vient de retrouver son indépendance après sa libération par les Autrichiens le 31 décembre 1813, se rend compte que la période des cités états est révolue et qu'il lui faut s’allier à un Etat de plus grande taille. C'est l'origine de ses efforts pour rejoindre la Confédération Helvétique.
St Julien au début du XIXème Siècle
A titre anecdotique on signalera que Saint-Julien fut pour quelques mois débaptisée pour être renommée "Crez" (ou "Crêt"), un signe de plus de l'anticléricalisme primaire des révolutionnaires qui ne pouvaient accepter l'idée qu'une ville portât le nom d'un saint chrétien. Notre bonne ville dont le maire n'était autre qu'un certain Pierre Burnet retrouva cependant son nom le 4 janvier 1795 grace au représentant du peuple Gauthier qui ordonna à toutes les communes de reprendre leur ancien nom.
C'est le Préfet qui nomme le maire et le Conseil Municipal: le 8 avril 1801, et c'est Jacques Dunand qui est nommé maire de St Julien, qui est devenu chef lieu d'un canton de 24 communes. Le 14 septembre, le Conseil Municipal prend la décision de déplacer le cimetière qui est alors autour de l'église (sur le site de la Poste actuelle), vers l'emplacement actuel sur le Cret, grace au don du terrain par Prosper-Gaetan d'Allinges. Toutefois, par suite de l'opposition d'un citoyen, ce n'est qu'en 1806 qu'aura lieu la première inhumation dans le nouveau cimetière, que nous connaissons aujourd'hui.
En 1805, la commune de St Julien compte 803 habitants, dont seulement une vingtaine savent lire et écrire, et 7 auberges. L'évèque et prince de Genève, Mgr Joseph-Marie Paget décède à St Julien le 22 avril 1810. Le 14 mai 1811, le Conseil Municipal approuve une pétition des habitants de Cervonnex demandant à être rattachés à St Julien, et non plus à Feigères.
La Chartreuse de Pomier et la Révolution
Si la Chartreuse avait bien survécu à l'occupation Bernoise, il n'en fut pas de même avec la République Française qui laissa commettre le sac de la Chartreuse de Pomier. Outre la destruction des splendides ouvrages de sa magnifique et inestimable bibliothèque, la fièvre révolutionnaire laissera abattre les murs de celle-ci .. Avec cette destruction s'envolait une grande partie de l'histoire de notre territoire.
La fin de l'Empire
A partir de la Bérézina, la situation militaire de la France va devenir de plus en plus difficile. La France lève des impôts et lève des troupes, ce qui n'empêche pas l'Empereur de reculer sur tous les fronts. Le 31 décembre 1813, les troupes autrichiennes libèrent Genève et viennent le lendemain occuper St Julien qui compte alors 123 maisons. Le général Dessaix, originaire de Thonon, libérera St Julien après une longue et féroce bataille qui opposera le 1er mars 1814 les troupes françaises aux Autrichiens des bois d'Ogny à Archamps, en passant par Thairy. Victorieux, il se rendra à Carouge, d'ou il devra faire retraite le 23 mars après la perte de Lyon par le maréchal Augereau, provoquant sa poursuite par les Autrichiens qui pillèrent une nouvelle fois notre territoire. Mais c'est la fin: Les Alliés entrent dans Paris le 31 mars, et le 2 avril le Sénat proclame la déchéance de l'Empereur, qui abdique quatre jours plus tard à Fontainebleau. Le 29 avril 1814, Napoléon quitte Saint-Raphael pour l'exil sur l'île d'Elbe qui lui a été cédée en toute souveraineté.
Arrivée de Napoléon sur l'île d'Elbe
Mais Napoléon ne peut se satisfaire de ce petit royaume: Le 1er mars 1815, il débarque à Golfe Juan pour ce qui deviendra connu comme les cent jours, à l'issue desquels la défaite de Waterloo le 18 juin 1815, sonne le glas de ses espoirs. Le 22 juin, il abdique une seconde fois avant son exil définitif pour Sainte-Hélène en octobre, tandis que Louis XVIII retrouve son trône le 8 juillet. Cet épisode qui a anéanti la France l'obligera à signer le second traité de Paris du 20 novembre 1815. Mais cette fois ce ne sera plus Talleyrand qui sera le négociateur français, puisqu'il a été remplacé aux Affaires Etrangères en septembre 1815 sur injonction du Tsar Alexandre 1er.
Le Congrès de Vienne
Le Congrès de Vienne, si important pour l'avenir de notre territoire, s'ouvre le 29 Mars 1815 et se termine le 12 aout 1815. Pendant sa tenue auront eu lieu les 100 jours, période qui commence avec le retour de Napoleon de l'île d'Elbe, qui voit sa reprise du pouvoir le 20 mars, et se conclut par la défaite de Waterloo le 18 juin 1815 et son abdication définitive le 22 juin.
Les plénipotentiaires au Congrès de Vienne
Ce Congrès aura 2 corollaires principaux pour la Savoie:
- Le traité de Paris du 20 novembre 1815
- Le traité de Turin du 16 mars 1816
Redécoupage du territoire - Genéve devient suisse
Après la défaite de Napoléon, Genève ne cherche pas à diriger l'intégralité du département du Léman mais au contraire veut s'en détacher. C'est ainsi que le Conseil Provisoire entame des négociations pour devenir suisse afin de se prémunir à l'avenir de la menace française tout en cherchant à agrandir son arrière pays. Les démarches de Mr Bastian à Zurich, avec l'appui des Autrichiens, pour demander l'annexion de la Savoie du Nord à la Confédération Helvétique avec Genève pour capitale n'aboutirent pas, suite au refus du Roi de Sardaigne Victor-Emmanuel 1er de se séparer de la Savoie. Ne prononça t-il pas à cette occasion la phrase restée célèbre " Nous ne sommes ni la Maison de Piémont, ni la Maison de Sardaigne, mais celle de Savoie", ce qui ne manque pas de sel quand on sait ce qu'il advint 45 ans plus tard.
Le négociateur genevois Charles Pictet de Rochemont souhaite établir les frontières sur les crêtes dominant le bassin genevois (Jura, Fort l'Ecluse, Vuache, Mont-Sion, Salève et Voirons) mais il sera désavoué par les dirigeants Genevois qui redoutent un afflux trop grand de catholiques. Genève rédigea alors une nouvelle constitution, votée par le peuple le 14 août 1814; et le 12 septembre 1814 la Diète ratifie l'adhésion de Genève à la Suisse sans que les contours du futur canton n'aient été clairement établis. Et c'est ainsi que le 19 mai 1815, le canton de Genève, allié historique des cantons de Fribourg et de Berne, entra dans la Confédération Helvétique et devint le 22ème canton suisse.
Grace au Traité de Paris du 20 novembre 1815, qui est plus sévère envers la France que le premier traité du 30 mai 1814, Genève obtient enfin la continuation géographique avec la Suisse puisque la France doit lui céder les communes de Collex-Bossy (avec Bellevue), Le Grand Saconnex, Meyrin, Pregny, Vernier et surtout Versoix, ce qui permet de relier le canton de Genève à sa nouvelle patrie. D'autre part ce traité avalise la création de la zone franche du Pays de Gex.
Lors du traité de Turin du 16 mars 1816, le même Pictet obtint une nouvelle modification des frontières , permettant en particulier le désenclavement du mandement de Jussy; mais il dut renoncer au pied du Salève où Turin entendait conserver la route donnant accès au Chablais. Il accepta aussi de rendre St-Julien qui était devenu genevois depuis le traité de Paris du 20 novembre 1815. En tout Genève obtenait 24 communes, dont Carouge, soit un territoire de 109 km² et une population de 12700 habitants;
Les communes de Savoie communément appelées "communes réunies" rattachées au canton de Genève par le traité de Turin sont :
Collonge-Bellerive ; Corsier (y compris Anières) ; Hermance ; Veyrier ; Compesières (y compris Bardonnex et Plan-les-Ouates) qui s'agrandit de Troinex et Evordes ainsi que les hameaux de Perly-Certoux (détachés de Saint-Julien) ; Avusy-Laconnex ; Bernex (y compris Onex et Confignon) ; Aire-la-Ville ; Lancy ; Carouge ; Soral (détaché de Thairy) ; Choulex ; Meinier ; Chêne-Thônex (sauf les villages de Moillesulaz, Verna et Gaillard) ; Bel-Air détaché d'Ambilly fut rattaché à Vandoeuvres. Présinge ; Puplinge et Carra détachés de Ville-la-Grand formèrent la commune de Presinge. Soit 108.8 km² et 12 700 habitants. Tandis que la ville d'Annemasse est rattachée à la province du Faucigny
Par ailleurs, une seconde zone franche était créée, la zone sarde, couvrant un territoire de 190km²
en bleu, la zone franche du Pays de Gex, en rouge la zone franche sarde
Quelle nationalité pour St Julien?
Alors que Louis XVIII avait été remis une première fois sur le trône par les souverains alliés, il signa un premier traité à Paris le 30 mai 1814 qui faisait reprendre à la France ses frontières d'avant 1792. Cependant, si le Faucigny et le Chablais étaient rendus au duché de Savoie, St Julien resta français, alors que l'espace entre notre ville et l'Arve était lui rendu au Royaume de Sardaigne, nous coupant donc de Genève, redevenue indépendante (avant de devenir suisse). Situation fort préjudiciable pour les échanges commerciaux puisque nos paysans "français" de St-Julien devaient traverser le pays sarde pour livrer leurs produits à Genève. La carte ci-dessous illustre bien la problématique liée à ce découpage.
Carte du partage de la Savoie lors du Traité de Paris du 30 mai 1814
en rose, la partie restée française, en orange la partie restituée au royaume de Sardaigne
Une brigade de gendarmerie française vint s'établir à St Julien le 1er juillet 1814 et un nouveau Conseil Municipal fut nommé par le Préfet du Département du Mont-Blanc auquel notre ville avait de nouveau été rattaché. Le 23 avril 1815, ce même conseil prêtait de nouveau serment de fidélité à l'Empereur revenu de l’île d'Elbe. Tandis que le général Pacthod refusa lui, de servir à nouveau l'empereur. le général Dessaix revenait à St Julien le 9 juin avant d'attaquer les possessions Piémontaises et avant de conclure, au lendemain de la défaite de Waterloo, un accord avec le feld maréchal Autrichien qui venait d'occuper Genève.
Le 28 juin, les troupes autrichiennes occupèrent à nouveau St Julien, commettant toutes sortes d'exactions, jusqu'au 18 décembre 1815, date à laquelle St Julien fut remise à la République de Genève, suite à l'accord de Paris du 20 novembre décrétant la restitution du Genevois "français "de 1814 au roi de Sardaigne, à l'exception de St Julien cédée à Genève. Cette décision générait de fait une enclave genevoise en territoire sarde et une situation ubuesque puisque entre St Julien et Genève, on était en territoire sarde. En effet dans l'attente de la négociation entre Genève et le Roi de Sardaigne pour la cession du territoire intermédiaire entre les deux villes, les formalités douanières de transit aux bureaux de douane de Plan les Ouates et de Carouge handicappaient les échanges entre les deux cités.
Aussi curieux et problématique que put être ce découpage géographique, cette situation semblait toutefois bien convenir à nos ancêtres, si l'on en croit les témoignages d'alors:
Extraits du rapport de Noble d'Yvernois au Conseil d'Etat de Genève sur la prise de possession de St Julien le 18 décembre 1815: "A un quart de lieue du bourg, nous fumes reçus par la Garde Nationale qui était venue en armes au devant de nous pour faire éclater sa joie d'être associée à la nation suisse et au canton de Genève. a notre arrivée, le maire et son conseil municipal vinrent exprimer les mêmes sentiments. Ils nous conduisirent à l'appartement du maire ou l'officier autrichien nous fit, au nom de son général remise de la commune....
Notre arrivée avait été annoncée au bruit des bottes ainsi qu'au son des cloches, et nous apprîmes que cette journée devait se terminer par un bal.
Tout autorise à croire que la joie dont nous avons été témoins est sincère... et que les habitants de cette commune se félicitent d'être associés à notre canton"
De son coté, le maire Boimond s'adressait à ses administrés en ces termes: "Livrons nous donc à la joie qu'un pareil événement doit faire naître dans les cœurs; respectons les opinions de ceux qui, par reconnaissance, conserveraient quelques souvenirs pour leurs anciens souverains; n'altérons pas le bonheur d'un si beau jour! Que toutes nos pensées soient pour la prospérité de notre nouvelle Patrie! Nous faisons maintenant partie de la famille de Guillaume Tell; montrons nous dignes d'être ses enfants."
Mais cette parenthèse heureuse allait être victime de considérations géo-politiques car Genève, comme elle l'a fait avec la France un an plus tôt, souhaite "arrondir" sa frontière et donner à son territoire une meilleure cohérence géographique. C'est l'épisode dit des "communes réunies".
Source DHS - Genève
(cliquez sur l'image pour une lecture plus confortable)
Ainsi, le traité de Turin du 16 mars 1816 entre le roi de Sardaigne et la Suisse rétablit la frontière à St Julien qui redevient sarde tandis que toute la partie sarde entre St Julien et Genève, y compris Perly et Certoux, devient suisse; en contrepartie de quoi, Lathoy est détaché de la commune de Compesières pour être rattaché à St Julien. La ratification du traité eut lieu le 23 septembre 1816 et c'est le 23 octobre au matin que les Sardes reprirent possession de St Julien qui devint ainsi le chef lieu de la province de Carouge, Carouge étant désormais devenu suisse. In fine, Genève venait d'acquérir un tiers de population catholique; quant à notre ville, elle n'était restée suisse que 10 mois.
Par lettre du 20 octobre au Conseil d'Etat de Genève, le maire de St Julien Jean-Louis Boimond exprimait sa reconnaissance, celle de ses adjoints et des habitants, pour la douceur et la sollicitude paternelle avec lesquelles ils ont été administrés sous les lois du canton.
Les clauses essentielles du Traité de Turin
Outre la description exacte de la définition des frontières entre la Savoie et la Suisse, et la création de la zone franche sarde, le traité de Turin comporte un article d'une importance capitale:
"les puissances reconnaissent et garantissent également la neutralité des parties de la Savoie désignées par l'acte du Congrès de Vienne du 29 mars 1815, et par le traité de ce jour, comme devant jouir de la neutralité de la Suisse de la même manière que si elles appartenaient à celle-ci".
Il faut ajouter que l'article 2 du Traité d'Annexion de Turin de 1860 confirmait cette neutralité helvétique pour notre territoire: "Il est également entendu que S.M le Roi de Sardaigne ne peut transférer les parties neutralisées de la Savoie qu'aux conditions auxquelles il les possède lui même et qu'il appartiendra à S.M l'Empereur des français de s'entendre à ce sujet, tant avec les puissances représentées au Congres de Vienne qu'avec la Confédération Helvétique et de leur donner les garanties qui résultent des stipulations rappelées dans le présent article"
Cela signifiait que tout en restant propriété du Roi de Sardaigne, la zone neutralisée pouvait être occupée par la Suisse et bénéficier de sa neutralité en cas de conflit. Cela épargnait ainsi à la Maison de Savoie de fortifier la frontière dans une région qui restait de toutes façons trop facile à forcer et difficile à défendre pour des troupes situées au delà des Alpes.
Pour comprendre comment était compris cet accord, il suffit de lire ce qu'écrivait Joseph Jacquier-Chatrier, à l'origine de l'idée de la grande Zone, et l'un des plus fervents partisans , avec le député de Saint-Julien, Hyppolite Pissard, du rattachement à la France: "Quoiqu'il arrive, n'oublions pas que notre patrie de Savoie a, comme la Suisse, le droit d'être à l'abri de toute guerre, et usons de notre droit"
Zone de neutralité telle que négociée lors du traité de Turin en 1816
On comprend à quels malheurs notre territoire aurait été soustrait si ces dispositions avaient été respectées après l'Annexion de la Savoie par la France en 1860.
Les Zones franches (voir article connexe sur ce blog en cliquant ici)
Pour mener à bien son rattachement à la Confédération helvétique, la République de Genève doit devenir un Canton suisse politiquement ; obtenir un territoire plus étendu et d'un seul tenant (pour se prémunir d'une invasion française), et enfin être rattachée physiquement à la Suisse (Versoix est alors français).
Plusieurs remaniements territoriaux sont proposés, dont l'un - défendu par Charles Pictet-de Rochemont au Congrès de Vienne - prévoit la création d'un territoire borné par les frontières physiques que sont les crêtes du Jura, du Vuache, du Salève et des Voirons. Mais ces projets n'emportent pas l'adhésion, car certains Genevois craignent un trop grand apport de catholiques dans la Genève réformée.
Après de féroces négociations, des compromis sont trouvés qui offrent à la fois l'« arrondissement » du territoire genevois et le « reculement » de certaines douanes :
- En 1815, lors du Traité de Paris, la France cède à la Confédération – contre l'abandon de droits sur Mulhouse – les communes du Pays de Gex nécessaires au désenclavement du Mandement, de la Campagne et de Genthod. De plus, « la ligne des douanes françaises » est reculée sur l'ouest du Jura, laissant en dehors le pays de Gex.
- En 1816, lors du Traité de Turin, le roi de Sardaigne cède à la Confédération les communes permettant le désenclavement de Jussy, en échange de la commune de Saint-Julien. Là aussi, une zone franche est créée, comprenant St-Julien et le pied du Salève.
Les zones franches gessiennes et sardes garantissent la libre circulation des denrées et constituent en quelque sorte la « réserve agricole » de Genève.
1 Zone du Pays de Gex - 1815
2 Zone Sarde - 1816
3 Zone Sarde de Saint-Gingolph - 1829
4 Grande Zone - 1860
Carte des zones franches
Retour au royaume de Sardaigne et instauration du Buon Governo
C'est le duc de Genevois qui devient roi de Sardaigne après l'abdication en sa faveur de son frère Victor Emmanuel Il en 1821. Il prend le nom de Charles Félix (sa statue trône encore au cœur de Bonneville) et régnera 10 ans . C'est le retour à la monarchie absolue, avec les traditions d'avant la Révolution. Ce régime très conservateur est mal perçu par la population , et par dérision on nomme cette époque "le buon governo". En 1831, Charles Albert devient roi de Sardaigne et continue à équiper et développer les infrastructures savoyardes. C'est à lui qu'on doit le fameux pont suspendu de la Caille inauguré en juillet 1839 devant une foule de plus de 10000 personnes.
A cette époque la province du Genevois est constituée de 7 mandements pour une population de 80786 individus en 1826 (6735 hb à Annecy).
Annecy (26 communes dont St-Julien)
Albens, Duingt, Faverges, Rumilly, Thônes, Thorens pour un total de 87 communes.
NB: La Roche fait désormais partie du Faucigny tandis que la province de Carouge est supprimée en 1838 et que St-Julien réintègre la province du Genevois. Notons qu'en 1851, le Conseil Communal de St-Julien tentera en vain de favoriser la création d'une nouvelle province pour se séparer d'Annecy .
Les ambitions italiennes du Royaume de Piémont-Sardaigne
Il y a bien longtemps que les rois de Sardaigne ont compris que face à la puissance de la France, il n'y avait pas d'avenir d'expansion pour eux à l`ouest des Alpes.C'est pourquoi, tout naturellement leurs ambitions de conquêtes vont se focaliser sur le versant oriental des Alpes, ou se trouve déjà et depuis longtemps leur capitale, Turin. Ces ambitions sont cependant limitées par la domination autrichienne sur la Lombardie; il s'agit donc de trouver un allié pour repousser les Autrichiens. En effet la première tentative de chasser les Autrichiens de Lombardie s'était soldée par un échec en 1848, défaite qui avait conduit Charles-Albert le père de Victor Emmanuel II à abdiquer. en faveur de son fils. Le nouveau roi est donc conscient qu'il ne pourra atteindre son objectif tout seul et qu'il lui faut trouver des alliés pour bouter les Autrichiens hors du nord de l'Italie.C'est ainsi que Victor Emmanuel II et son premier ministre Cavour, vont se tourner vers la France, à qui ils vont proposer un deal qui peut se résumer ainsi: Aidez nous à chasser les Autrichiens de Lombardie et de Vénétie, et en récompense, nous vous céderons la Savoie
Les négociations franco-sardes
C'est à Plombières, station thermale où l'empereur français prenait les eaux qu'eurent lieu le 21 juillet 1859 les négociations secrètes entre Napoléon III et Cavour et que fut scellé l'avenir de la Savoie. Cavour s'était assuré les bonnes grâces de la France et de l'Angleterre en ayant accepté de venir combattre à leurs cotés lors de la guerre de Crimée en 1855, y envoyant un corps expéditionnaire de 15000 hommes.Un accord est donc conclu entre les 2 hommes. L'armée française se joindra à l'armée sarde pour chasser les Autrichiens du nord de l'italie et en contrepartie, le Royaume de Sardaigne cèdera à la France le comté de Nice et le duché de Savoie.
Le déroulé des opérations
La guerre avec l'Autriche reprend dès 1859 et les franco-sardes remportent plusieurs victoires (Magenta, Solférino...) qui conduisent les Autrichiens à signer la paix de Villafranca. Cependant, s'ils perdent la Lombardie, les Autrichiens conservent la Vénétie et Napoléon III (qui s'est satisfait de cette paix (probablement effrayé à l'idée que les Prussiens ne viennent aider les Autrichiens) n'a donc pas rempli son engagement, ce qui ne lui donne donc pas droit à sa récompense.
Vive déception en Italie: Cavour démissionne le 19 juillet 1859 et quitte la Présidence du Conseil (à laquelle il reviendra le 21 janvier 1860).
Finalement, après quelques péripéties, les négociations pour la cession de la Savoie reprennent.
Il faut noter qu'à l'époque le mécontentement en Savoie envers l'Administration Piémontaise était fort, tant à cause des lourds impôts qui accablaient le pays qu'à cause de l'agitation du clergé qui était très défavorable à sa politique libérale et qui était grandement hostile à Cavour. De plus en Savoie du nord, l'établissement d'une ligne de douane en 1816 avait causé un préjudice considérable à toute cette région (hors la petite zone franche) , la plongeant dans la misère en lui fermant les débouchés vers Genève.
La promesse de l'empereur
Napoleon III qui, rappelons le avait vécu enfant en Suisse et parlait dit-on avec un fort accent Bernois, fait alors en février 1860 la promesse secrète aux Suisses de leur céder la Savoie du nord, à savoir le Chablais, le Faucigny et le territoire du Genevois au nord des Usses. Cet accord était à ce point entériné que le gouvernement suisse se demandait si ce nouveau territoire devait être rattaché au canton de Genève ou devenir un nouveau canton à part entière; de son coté le gouvernement français avait déjà décidé de ne faire qu'un seul département de la Savoie et du surplus provenant des territoires "haut-savoyards".
Signalons que cette décision allait plutôt dans le sens de ce que souhaitaient les populations de notre territoire qui souhaitaient lier leur destin à celui de leur "capitale économique" et qui peut se résumer par cette phraserestée célèbredeJoseph-Léandre Bard, l'un des leaders partisan de l'annexion de la Savoie du Nord à la Suisse: ..."si Genève est française, il faut être français; si Genève est suisse, il faut être suisse, si Genève est cosaque, il faut être cosaque."
Ce mouvement était puissant puisque, malgré les efforts du clergé qui était en faveur du rattachement à la France, protectrice du Pape, une pétition rassemblant plus de 14000 voix (soit 14000 familles puisque seuls les hommes chefs de famille votaient) demanda le rattachement du Chablais, du Faucigny et du nord du Genevois à la Suisse, et particulièrement à Genève Ce chiffre est particulièrement significatif si on considère la population de l'époque:
Genève: 98357 hb
Annemasse: 2811 hb
Thonon les Bains: 6268 hb
St Julien en Genevois: 1432 hb
Bonneville: 2114 hb
La Roche sur Foron: 3377 hb
Sallanches: 2032 hb
Cette pétition rassembla exactement 13651 signatures dans 60 communes du Faucigny, 23 du Chablais et 13 dans les environs de St Julien en Genevois
Le destin contrarié de la Savoie du Nord
Cependant le secret de la négociation entre Napoléon et Cavour transpira et cet accord suscita une opposition forte de plusieurs parties. Annecy voyait d'un mauvais œil le fait d'être rabaissé au niveau d'une sous préfecture alors que Chambéry craignait de perdre sa Cour d'Appel. Un mouvement se développa alors pour lutter contre le démembrement de la Savoie et une délégation fut envoyée à Paris rencontrer Napoléon.qui leur donna audience le 21 mars 1860.et qui trouva là l'occasion de revenir sur sa promesse faite à Dufour.
Pour obtenir l'adhésion de la Savoie du Nord et finaliser l'affaire, il fut alors proposé aux populations de ces territoires l'édification d'une grande zone franche qui leur garantirait la facilité de commerce avec Genève. Le traité de cession de la Savoie ayant été signé le 24 mars 1860, M. De Thouvenel, le ministre des affaires Etrangères fit connaitre officiellement la volonté de la France d'accorder cette zone franche (avec le même régime économique que la zone du Pays de Gex) un mois avant la date du vote du plébiscite fixé à la date des 22& 23 avril 1860 dans le but évident de gagner les voix de cette région frontalière.
On notera que bien que le vote n'ait pas encore eu lieu, l'administration de la Savoie avait déja été confiée à la France. C'est ainsi que le sénateur Laity, envoyé officiel de l'empereur vint sillonner notre région pour donner les assurances les plus formelles au nom de la France. Il fut alors créé un bulletin de vote "OUI & ZONE" qui serait déclaré comme un vote affirmatif.
Au vu du résultat des votes de la province d'Annecy, on comprend à quel point l'instauration de la zone franche fut déterminante dans le vote d'adhésion de nos ancêtres.
Détail des votes de la province d'Annecy lors du Plébiscite des 22-23 avril 1860
NB: les 11263 votes "OUI & ZONE" du Genevois provenaient en majeure partie des communes situées au nord des Usses. Dans les 29 communes qui composaient le mandement de Saint-Julien, on compta seulement 2 bulletins "OUI" pour 4754 bulletins "OUI & ZONE".
Le vote unanime des populations de la Savoie du nord lié à l'instauration de la Grande Zone permettait ainsi à Napoléon III de se désengager honorablement de sa promesse antérieure faite aux Suisses. On comprend que la création de cette zone fut créée de la manière la plus régulière et la plus légitime et que sa suppression ne puisse se faire qu'avec le consentement préalable des deux parties
La Savoie se donne à la France
A la suite du résultat favorable du plébiscite, la Savoie devient officiellement française le 14 juin 1860, abandonnée par son souverain après plus de 800 ans d'indépendance sous la férule d'une dynastie, la Maison de Savoie, qui tire son nom de ce territoire.Cet abandon donna lieu d'ailleurs à une rumeur comme quoi Victor Emmanuel II qui abandonnait la terre de ses ancêtres ne pouvait être le véritable descendant de la Maison de Savoie, et qu'il n'était en fait qu'un usurpateur(le fils de la nourrice) qu'on aurait substitué dans son berceau au véritable fils de Charles-Albert qui aurait péri bébé dans un incendie.
Sources & bibliographie
www.lasalevienne.org
L'histoire du Département de la Haute-Savoie: A. Folliet - C. Duval - M. Bruchet
Atlas historique du Pays de Genève: Claude Barbier - Pierre-François Schwarz
Atlas historique de la Savoie 1792-1914 - Romain Maréchal & Yannick Milleret
Histoire de l'Annexion de la Savoie à la France - Paul Guichonnet
La Savoie une destinée française - Michel Amoudry
Saint-Julien en Genevois - Abel Jacquet
Histoire de Saint-Julien - César Duval
Le Genevois - Marie Thérèse Hermann
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La neutralité de la Savoie du Nord - Revue des Armées
La neutralité de la Savoie du Nord et les zones franches par Daniel Bourgeois
Pictet de Rochemont - le Benon de la Salévienne Page 18
Il y a 150 ans que la Savoie est devenue française - Bibliothèque de Lyon
L'annexion de la Savoie vue de l'étranger