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Je est un autre : « Moon », de Duncan Jones (2009)

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Les films se déroulant dans l’espace sont propices au traitement du huis clos et celui-ci tient généralement de l’espace unique du vaisseau dans lequel évolue le ou les personnage(s). Mais le huis clos réside également dans l’enfermement provoqué par l’isolement dans l’Espace avec un grand E.

Dans Moon, il n’est pas question d’une conquête ou d’une guerre spatiale, il n’y a pas ni départ ni arrivée du personnage de Sam dans l’espace confiné de sa station.

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Sam est employé par une entreprise d’extraction de l’hélium 3 dont l’exploitation permet de répondre à la crise de l’énergie sur Terre et ainsi d’abattre les inégalités entre les Hommes. Il dirige seul les machines dans sa station sur la Lune depuis bientôt près de trois ans et s’apprête à retourner chez lui à la fin de son contrat dans quelques semaines.

La mise en scène du huis clos tire par définition sa spécificité dans son unité de lieu. L’espace dans lequel évolue(nt) le(s) personnage(s) passe alors du rôle de décor à celui de personnage. Si la station dans laquelle vit Sam ne déroge pas à la règle de l’environnement blanc et clinique, elle n’en est pas moins un espace qu’il s’est approprié et dans lequel il laisse sa trace. Rien ne l’empêche de compter les jours de son isolement sur les murs et de faire de sa chambre un rappel de sa vie sur Terre. Il y a déposé des photos de sa femme et de sa fille, fait des plantations et a même imité le bruit du vent dans les arbres avec du papier sur la ventilation. Son objectif ultime est de retourner sur Terre et il tente de démortifier la coquille vide et stérile de la station pour qu’elle fasse perdurer les sensations qu’il éprouvait sur Terre.

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La station est représentée comme une imitation de son quotidien mais ces repères ne sont que des leurres. Cet espace est fondamentalement opposé à l’espace connu de sa maison familiale ; il y est seul, aucune pollution sonore ne vient briser le silence des lieux, son lieu de travail est également sa cuisine, sa salle de loisir et de sport, sans soleil les plantes meurent et les aliments n’ont pas de saveur. La station est un univers sans surprise, répondant parfaitement aux normes définies par le genre du film, que le spectateur comme le personnage connaissent par cœur. Mais sans pour autant marquer un manque d’originalité de la part du réalisateur, ce choix de décor-personnage prépare le twist du film. Cet univers lisse, sans recoin ni ombre, cache finalement un espace que Sam tente de trouver à tout prix pour comprendre sa condition et le sort qui lui est réservé. Alors qu’il pense avoir pris possession de cet espace devenu familier, il s’aperçoit que les traces qu’il croyait siennes sont peut-être celles d’autres employés, qu’il n’a pas souvenir d’avoir construit les premières maisons du village miniature qui lui sert de divertissement, ni même de souvenirs de son arrivée…

En dehors de la station, l’univers lunaire est un prolongement de l’emprisonnement dans la station. Sam y a l’illusion du contrôle : réparer les machines défaillantes, s’affirmer comme leur maître ; mais ces machines avancent en réalité sans pilote et leurs immenses structures glaciales en métal renforcent la solitude de Sam. Alors que l’intérieur de la station est animé par la présence du robot-assistant Gerty, celui-ci ne peut en sortir et Sam évolue seul sur la planète sombre, vide et poussiéreuse. Tout comme les machines sont sous contrôle des ordres informatisés de Sam, il est sous le contrôle de l’entreprise Lunar pour laquelle il travaille. Cette emprise sur sa personne est paradoxalement plus explicite à l’extérieur qu’à l’intérieur de la station. En effet, le périmètre appartenant à l’entreprise est strictement délimité et indiqué à Sam par des alarmes, mais il cache en plus des brouilleurs de satellite qui empêchent Sam d’être en liaison vidéo directe avec la Terre.

L’extérieur de la station est finalement la véritable prison du personnage n’ayant aucun moyen de quitter cette planète où il est seul à résider.

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A l’unité d’espace répond une unité de personnage. Sam est seul à bord de la station lunaire avec pour unique compagnon le robot Gerty. Celui-ci s’avère être bien plus qu’un assistant à la maintenance des robots extracteurs, il joue le rôle du collègue dans les taches techniques autant que dans la relation affective qu’une telle proximité entraîne.

Animé d’un smiley sur écran LCD représentant ses « émotions », Gerty est le véritable soutien psychologique de Sam. Tout en rappelant dans ses mouvements et son fonctionnement sa nature robotisée, Gerty semble doué d’une conscience dépassant amplement ses fonctions dans l’entreprise Lunar. Il devient un véritable allié de Sam, même quand celui-ci tente de déjouer les tours de ses patrons.

==> Spoiler Alert !! <==

L’autre personnage peuplant la station avec Sam et Gerty est Sam (que nous appellerons Sam2) ; le futur remplaçant de Sam. Il est envoyé sur la station par Lunar après la disparition de Sam dans un accident de travail sur la Lune. Sam2 est le clone parfait de Sam mais une nouvelle version au caractère différent. Il apporte la problématique du Sam1 : qui est le clone de qui ?, pourquoi sont-ils des clones ?, que se passe-t-il à la fin de leur contrat ? …

Mais ces trois personnages ne sont pas les seuls du récit, tous les autres sont mis en scène sous l’influence du huis clos. Ils sont en effet présents via les vidéos envoyées depuis la Terre. Les discussions de Sam avec sa famille sont alors toujours en différées et enferment davantage le personnage dans sa solitude spatiale. Sam n’a aucun contact direct avec la Terre, il en est obligatoirement séparé par le laps de temps écoulé entre l’enregistrement de la vidéo et sa diffusion, ainsi que par l’objet de la représentation, l’écran d’ordinateur. Sam ne peut donc pas influencer l’évolution de sa famille qui a lieu sur Terre, il est bloqué au rang de spectateur. Les messages répondant aux siens se font plus rares au fur et à mesure que son contrat dans la station perdure.

Ces messages font également partis de la manipulation de l’entreprise sur Sam. Il est tout comme Sam2 le clone d’un Sam1 et la vie dont il a des souvenirs appartient en réalité à ce Sam1. Sam et Sam2 n’ont pas plus de contrôle sur leur mémoire que Gerty, leurs souvenirs avec cette famille ont été programmés. Ces vidéos familiales sont une des clés de la réussite de Lunar ; les Sam ont besoin d’être motivés par la promesse de revoir leur famille pour être efficace set rigoureux au travail. L’entreprise possède ainsi un parfait contrôle sentimental sur ses employés.

Les représentants de la société sont eux aussi présentés via les écrans de communication. L’unique rapport entre Sam et ses employeurs est la vidéo : il leur envoie ses rapports sous forme de vidéo et ils lui communiquent les nouveaux ordres par vidéo. A nouveau, cette communication contrôlée renforce l’impression d’importance de Sam dans l’entreprise : il bénéficie de l’intérêt de ses supérieurs qui s’adressent directement à lui dans les vidéos et se soucient de sa santé, il est un acteur clé du confort énergétique sur Terre.

Dans une de ces vidéos, les représentants de Lunar annoncent l’arrivée d’une équipe de renfort affrétée pour réparer une machine défectueuse. L’arrivée de ces personnages que nous ne voyons pas devient le compte à rebours de l’action. Sam et Sam2 doivent s’être enfuis de la station avant leur arrivée s’ils ne veulent pas subir tragiquement le contrôle de Lunar sur leurs vies.

Le huis clos influence donc la mise en scène de l’espace, des personnages, mais aussi du temps. Enfermé dans cette station stérile sur une planète sans Soleil, Sam a peu (pas) de moyens de comptabiliser le temps passé à son poste. Les unités temporelles sont donc floues. Avant l’arrivée de Sam2 dans la station, il est difficile d’établir la chronologie des séquences, celles-ci arrivant à la suite avec toujours le même costume et le même personnage. Seuls ses cheveux et sa barbe qui poussent permettent à Sam de visualiser le temps qui passe. Cette abstraction du temps provoque un lâché-prise de Sam sur son quotidien. Il n’a pas véritablement d’horaires de travail, il n’a pas de notions de saison ni d’heure. Ces conversations vidéos étant toujours en différées, il n’a pas notion de la différence de temporalité entre la Lune et la Terre.

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Ce détachement du temps est aussi l’effet de son isolement sur une longue période. Il n’a plus de notion du temps qu’il a passé dans la station. Celui-ci n’est représenté que par le nombre de bâtonnets qu’il marque chaque matin et par l’agrandissement de son village miniature. Sam ne se souvient plus de son arrivée sur la station. Il se souvient ne pas avoir vécu sur la station mais la durée de son séjour sur la Lune est désormais complètement abstrait. Il s’accroche à la date de fin de son contrat comme à la lumière d’un phare. La perspective de son retour sur Terre est son unique moteur.

Une fois que Sam2 le rejoint dans la station, il y a un second témoin du temps qui passe. Sam2 lui ramène la notion des jours. Il est fraîchement arrivé dans l’espace et n’est pas encore engourdi par la durée du contrat. Il suit encore toutes les règles d’hygiène recommandées par Lunar alors que Sam a abandonné la salle de sport depuis bien longtemps. La chronologie se fait plus précise ; Sam compte les derniers jours de son contrat puis ensemble ils surveillent l’arrivée programmée de l’équipe de renfort.

Ces trois éléments – les lieux, les personnages, et le temps – contribuent pleinement à l’installation d’un climat anxiogène dans le récit et concrétisent l’enfermement dont est victime le personnage principal, mais s’ils sont les outils du huis clos, ils sont également modelés par lui. Duncan Jones parvient habillement à jouer sur ces différents tableaux et fournit une mise en scène en huis clos millimétrée et réussie.

Marianne Knecht


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