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Le huis-clos à ciel ouvert : « L’Inconnu du lac », d’Alain Guiraudie (2013)

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Le huis-clos, lorsqu’il est réussi, est généralement une leçon de cinéma. Faire vivre, passionner, raconter et transmettre à travers un décor unique : l’un des exercices les plus difficiles de la mise en scène au cinéma. Il est la façon la plus explicite et directe pour prouver l’ingéniosité du réalisateur. Tout subterfuge est mis de côté pour ne laisser place qu’à l’essence même de la mise en scène : le jeu des acteurs à travers l’espace, leurs interactions, et bien évidemment la science du découpage technique qui vient rompre la frontière entre théâtre et cinéma.

A ce titre, L’Inconnu du lac s’inscrit comme le dernier film en date à exposer avec une telle prouesse la science du huis-clos (et qui, rappelons-le, gagnera le prix de la mise en scène d’Un Certain Regard du Festival de Cannes 2013), et s’apparente, par lui seul, à une véritable leçon de cinéma que tout cinéaste en devenir se devrait d’étudier, d’analyser et de décomposer. Ou comment Alain Guiraudie parvient-t-il à faire un huis-clos à ciel ouvert.

© Les Films du Losange

© Les Films du Losange

Franck (Pierre Deladonchamps), un homme de la trentaine, passe ses jours d’été à errer autour d’un lac de la région PACA, lieu de drague réunissant une communauté d’homosexuels à la recherche d’aventures gays. Il aperçoit un soir, caché derrière des arbres, l’un des hommes noyer son partenaire. Quelques jours plus tard, l’assassin, qui se nomme Michel (Christophe Paou), fera tomber Franck sous son charme , bien que ce dernier sache qu’il s’agit du meurtrier. Franck garde pour lui ce qu’il a vu, se rendant dès lors complice de celui qu’il désire. Il cède bientôt à ses avances et en devient passionnément épris, tout en devant cacher sa peur, afin que Michel ne devine pas qu’il fut témoin de l’assassinat. L’amour au détriment de la justice, et de la prudence. Mais pendant ce temps, les enquêteurs se penchent sur l’affaire et comptent bien trouver le coupable.

La trame scénaristique permet au lieu de prendre toute son importance, celle de faire naître un suspens propre au thriller (Franck va-t-il réussir à rester complice du meurtre tout en faisant l’ignorant devant Michel ? Quel psychopathe se cache derrière Michel qui parait à première vue tranquille et apaisé puisque amoureux ? D’autres crimes vont-ils avoir lieu ? L’enquête des détectives va-t-elle leur permettre de trouver le coupable ?) et d’enlever une quelconque utilité à toute action pouvant se situer en dehors : l’action et le lieu ne font plus qu’un.

A travers le récit, Guiraudie nous prouve bien une chose : l’inventivité dans sa science du découpage. Il opte pour un format 2.35 qui favorise l’aspect rectangulaire du cadre, qui s’exprime ainsi surtout dans la largeur, ce qui se révèle légitime puisque le film est composé de nombreux plans larges afin de mettre en avant, un peu à la façon d’une peinture, le paysage et le positionnement des personnages à l’intérieur de cet espace. Derrière le lac, les hommes vagabondent librement en quête de rapports sexuels dans un espace édénique comprenant du vide et quelques buissons.

© Les Films du Losange

© Les Films du Losange

La fixité du décor et du cadre forment l’essence de la mise en scène féerique et quasi-mystique de L’Inconnu du lac. L’espace de tournage des séquences se résume au parking, aux buissons, à la plage de galets, et au lac. Le découpage s’alimente en grande partie de plans larges et de plans moyens la plupart du temps fixes, ou parfois avec de très lents mouvements panoramiques. Guiraudie nous rappelle avec talent combien la création de l’univers et la trame narrative d’un film, si elles sont particulièrement maitrisées, permettent de donner vie au récit là où certains metteurs en scène n’arriveront jamais à atteindre ce même résultat, malgré des moyens et des outils techniques beaucoup plus importants (rappelons que le film a été fait avec moins d’un millions d’euros).

Car Guiraudie fait naitre dans son espace une multitude d’émotions, une ambiance à la fois mystérieuse, poétique et fantastique, un aspect du polar hitchockien très ancré, une déstigmatisation totale de la sexualité gay en jouant des codes, et d’une culture queer à la fois démonstrative et intelligente. En plus de son originalité par le jeu de découpage à ciel ouvert, le dispositif de mise en scène minimaliste anime et nourrit le récit pour le hisser au-delà du simple film de série B et le hisser dans le rang des chefs d’oeuvres du huis-clos.

© Les Films du Losange

© Les Films du Losange

A travers ce dispositif externe, en enfermant son récit à l’extérieur autour de ce lac, Guiraudie parvient à donner à l’histoire toute sa beauté, plastique, naturelle, érotique, fantastique, et à jouer avec les codes du polar, en manipulant le suspens à l’intérieur même d’un groupe d’homosexuels dont la représentation est encore sujette à commentaires là où le résultat prouve bien qu’il ne devrait pourtant n’y avoir aucun bruit. L’Inconnu du Lac constitue donc la définition première du huis-clos : une action enfermée dans un espace réduit, une zone fermée dans laquelle la caméra se déplace. Et c’est d’autant plus intéressant lorsque la façon de le faire est à la fois transgressive et innovante comme c’est le cas dans L’Inconnu du Lac.

Thomas Olland


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