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Les «Mémés déchaînées» et leurs combats

Publié le 11 juin 2011 par Richardlefrancois

Par Richard Lefrançois, La Tribune, 11 juin 2011

Les «Mémés déchaînées» et leurs combats

L'image convenue et obsolète de la personne âgée passive, apolitique, nostalgique et recroquevillée sur elle-même est révolue. Il en va de même des représentations stéréotypées des grands-mères de jadis perçues comme passant l'essentiel de leur temps à leurs fourneaux et à leurs tricots.

Depuis qu'a émergé la tendance au vieillissement actif, c'est-à-dire à l'engagement social sous toutes ses formes, les attributions dévolues au genre et à l'âge ont profondément changé. Certains de ces rôles peuvent surprendre tellement ils sortent de l'ordinaire, comme c'est le cas pour le militantisme gris. Ces nouveaux rôles progressistes étonnent, d'autant qu'ils sont exercés par des femmes âgées dans le contexte où la gauche contestataire au Québec bat de l'aile depuis plusieurs années.

L'activisme des femmes âgées

Qui n'a pas vu à la télé, voire aperçu dans un lieu public, un attroupement de ces grands-mères enjouées, mais paradoxalement en colère, qui brandissent des pancartes lors d'une grande manifestation tout en fredonnant des airs satiriques? Ce sont les "Mémés déchaînées", des groupuscules de femmes âgées sans attache politique partisane, ni allégeance à un mouvement bien en vue pour aînés.

On les reconnaît aisément à leurs costumes bariolés, insolites et extravagants, à leurs chapeaux fantaisistes parés de fleurs multicolores, à leur humour mordant et à leur humeur décontractée. Elles sont de toutes les causes sociales et altermondialistes, comme la paix, la justice sociale, le respect des droits de la personne, le développement durable ou la décroissance et la protection de l'environnement.

Ces militantes sont toujours prêtes à descendre dans la rue et à braver les intempéries et les moqueries éventuelles du public pour s'exprimer lors des grandes marches mondiales ou des rassemblements populaires. Elles utilisent habilement leur humour corrosif et l'ironie pour promouvoir la paix, combattre l'oppression, dénoncer les inégalités sociales ou s'attaquer aux mythes sur le vieillissement. Elles font de la sensibilisation dans des écoles, répandent leurs idées dans les regroupements de femmes et livrent leur opinion dans des débats.

Les premiers regroupements de ces femmes activistes, les "Raging Grannies", ont vu le jour en Colombie-Britannique en 1987. Depuis, ils ont tellement essaimé qu'on les retrouve partout à travers le monde. Citons l'exemple des Grand Mothers for Peace aux États-Unis et les Babas Gayas en France.

Des groupes "spécialisés" ont été lancés, comme Révolution des grands-mères en Suisse, lequel revendique plus de places en garderie. Les Abuelas de Plaza de Mayo en Argentine recherchent les enfants placés en adoption après la mort de leurs parents sous la dictature des années 70 et 80. Au Québec, d'autres formations radicales sont nées dans le sillage des Mémés déchaînées, telle la chorale Les amères Noëlles, un collectif de féministes anti-capitalistes.

Leurs chants, leurs poésies enjouées, mais surtout leur façon inédite de prendre la parole citoyenne en ont inspiré plus d'un. Clarissa Pinkola Esté leur rend un vibrant hommage dans son roman " La danse des grand-mères", tout comme le cinéaste montréalais Magnus Isacsson avec son documentaire "Les Super Mémés" réalisé en 2010. Des ateliers de réflexion aux titres évocateurs comme Ridées mais pas fanées ou Jouer avec nos personnages de femme sont offerts, tandis que des sites internet répertorient religieusement leurs chansons "subversives" ou folâtres (p. ex. http://raginggrannies.net/)

Le langage multiple de la séduction

On peut bien sûr se montrer hésitant devant l'ambition hyper-idéaliste de leur mission qui consiste à sauver la planète et à léguer un monde meilleur et merveilleux aux futures générations. Mais chose certaine, leur approche unique incite à réfléchir sur le sens de nos actions et peut-être à secouer l'indifférence ou l'apathie de bien de nos concitoyens.

La parole militante et la critique sont parfois investies d'un pouvoir énorme, comme en témoignent deux événements récents, même s'ils sont d'un autre ordre. Ainsi, sans l'action conjuguée des opposants aux dictatures dans les pays arabes et l'usage des nouveaux médias, les révoltes populaires n'auraient sans doute pas eu lieu. Sans les analyses politiques contagieuses des blogueurs et les commentaires ras-le-bol des internautes, le Québec n'aurait peut-être pas été balayé par la gigantesque vague orange de ce printemps.

Tout ceci pour dire que les groupes qui exploitent intelligemment les médias peuvent marquer des points. Les Mémés déchaînées l'ont bien compris. Elles se font d'abord remarquer à la faveur de leur tenue vestimentaire bigarrée. Elles se révèlent à notre sensibilité grâce à leurs chants joyeux et entrainants. Puis elles éveillent notre admiration par leur courage et l'audace de leurs convictions, et surtout elles touchent notre cœur en raison des causes nobles qu'elles défendent. Brandir des pancartes à 75 ans n'invite-t-il pas au respect!

Le moins que l'on puisse dire est que ces femmes, fortement engagées et qui se présentent comme des agentes de paix, secouent bien des préjugés solidement ancrés au regard du potentiel des personnes aînées. Du même coup, elles ébranlent des idées reçues sur la retraite en plus de mettre à mal le regard trop bien-pensant et archaïque, toujours présent dans certains milieux, sur le rôle et la place des femmes dans la société.

Comprendre l'engagement militant féminin

Le militantisme est une démarche d'engagement social, relativement minoritaire, dont le but est de rallier la population à une cause. On distingue le militantisme de soutien populaire, celui des manifestants occasionnels ou circonstanciels, et le militantisme structuré et permanent comme celui exercé par les représentants syndicaux ou ceux d'un parti politique.

S'agissant du militantisme de soutien, les formes d'action pragmatiste qui ont prévalu au XX e siècle se sont visiblement estompées, relayées par les nouvelles exigences de performance et d'expression de soi. En notre ère postmoderne qui prescrit l'épanouissement individuel et la solidarité des groupes restreints, l'innovation créatrice et l'originalité, on comprend déjà mieux la préférence des Mémées déchaînées pour le militantisme ludique.

Mais plus fondamentalement, cet activisme innovateur à connotation esthétique s'inscrit dans la mouvance protestataire des années 60 et du même coup des batailles menées par des groupes féministes appartenant à la génération lyrique. Il reflète, par ricochet, le niveau d'éducation accru des femmes, leur émancipation sociale, et du même coup les frustrations accumulées au fil des ans sur le marché du travail et dans le cadre familial.

Quoi qu'il en soit, les Mémés déchaînées ont certes saisi ce message adopté en septembre 2010 au Sommet sur les objectifs du Millénaire pour le développement : "Promouvoir l'égalité des sexes et l'empowerment des femmes ".


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