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Les habitants de Seine-Saint-Denis aussi ont le droit au respect de leur dignité humaine !

Publié le 20 avril 2015 par Lepinematthieu @MatthieuLepine

   Vivre dignement, c’est avoir du temps. Du temps pour se reposer, du temps pour se faire plaisir, pour sortir, pour partir en vacances. Du temps pour voir ses amis, sa famille. Vivre dignement, c’est ne pas s’interdire d’aller chez le coiffeur ou le dentiste parce qu’on a du mal à boucler les fins de mois. C’est pouvoir remplacer les lunettes de son enfant si elles sont cassées, c’est pouvoir lui acheter des vêtements neufs si besoin est. Vivre dignement, c’est ne pas se voir refuser un emploi ou un logement parce qu’on a la mauvaise couleur de peau ou le mauvais accent. C’est ne pas avoir peur du lendemain. C’est ne pas sacrifier sa santé ou sa vie de famille, c’est ne pas subir le quotidien. C’est vivre et non survivre. Et pourtant, dans une France qui n’a jamais été aussi riche, des millions de personnes n’y parviennent pas. Pourquoi ? Parce que l’humain n’est plus une priorité. Plus que tout autre, un département hexagonal est le révélateur de cette situation inique : la Seine-Saint-Denis.

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©Ioan Bacivarov

La Seine-Saint-Denis, angle mort de la République ?

   « Mauvais élève », voilà le qualificatif employé par les médias au sujet de la Seine-Saint-Denis, suite à l’abstention record dans le département lors des dernières élections (près de 70%). Il est toujours plus aisé de mépriser, de pointer du doigt, que d’expliquer et de comprendre… Pourquoi donc les Séquano-dionysiens ne trouvent plus d’intérêt à se rendre aux urnes ? Peut-être tout simplement parce que depuis trop longtemps, la République leur tourne le dos. Département le plus pauvre de France, le 93 cumul les difficultés. Des problèmes criants notamment dans des domaines essentiels comme l’éducation ou la santé.

Ici, les parents sont contraints de se battre pour que leurs enfants aient face à eux des enseignants ! Car quand l’un d’eux est absent, personne n’est là pour le remplacer. Parfois pendant deux semaines, d’autres pendant deux mois, des élèves se rendent alors à l’école sans que rien ne leur soit enseigné faute de personnel disponible. Des CP en plein apprentissage de la lecture se voient stoppés dans leur dynamique. A l’approche de l’épreuve du brevet, des troisièmes se retrouvent privés d’enseignement de maths ou de français.

La Seine-Saint-Denis détient le triste record du taux d’élèves en retard scolaire à l’entrée en sixième (18.1%) et se situe chaque année en fin de classement pour la réussite au DNB. C’est aussi ici que le taux de chômage chez les jeunes est le plus élevé… Triste constat donc, département le plus en difficultés, le 93 est abandonné par l’Éducation nationale. Comment donc vivre dignement lorsqu’on est parent et que l’on constate que le droit à l’éducation de son enfant est bafoué ?

De son coté, lorsqu’il ne supprime pas des postes d’enseignants, l’État met en place dans l’urgence des plans de recrutement peu ambitieux sans réelle prise en compte des besoins. Ne se souciant pas des conséquences humaines et sociales de son action, il se laisse guider par la sacro-sainte politique de restriction budgétaire. Loin d’agir pour réduire les inégalités, il les accentue même. Un rapport de la Cour des comptes révèle par exemple que la somme dépensée pour la scolarité d’un élève parisien est 47% supérieure à celle d’un élève de l’académie de Créteil.

Si les établissements de Seine-Saint-Denis se vident de leurs enseignants, ils doivent par ailleurs faire face à une pénurie de médecins scolaires. A la rentrée 2014, 25 postes étaient vacants dans le département. Là encore, les premières victimes sont les enfants. Ne pouvant financer le prix d’une consultation (notamment chez un spécialiste), nombre de familles comptent sur l’apport de la médecine scolaire pour jouer un rôle de prévention et d’accompagnement. Cependant, avec près de 10 000 élèves par médecin l’efficacité du suivi est aujourd’hui plus que jamais remise en cause.

Un grand nombre de Séquano-dyonisiens renonce aujourd’hui à se soigner faute de moyen, mais aussi en raison de la pénurie d’équipements et de professionnels de santé. En effet, le 93 est le principal désert médical de l’hexagone avec 58 médecins pour 100 000 habitants. Les besoins y sont pourtant importants. Depuis plusieurs années, ce territoire voit resurgir des maladies comme la tuberculose notamment. En Seine-Saint-Denis, le nombre d’habitants touchés est 4 fois supérieur à la moyenne nationale (31.4 cas pour 100 000 habitants).

Et pourtant, l’Assurance maladie a récemment décidé de supprimer une subvention versée au département visant à prévenir le développement de la tuberculose et des maladies sexuellement transmissibles. Un frein de plus, une absurdité de plus, qui malheureusement n’étonnent plus quand on fait le constat de la situation dans laquelle se trouve le 93.

Ni pitié, ni charité, uniquement la justice !

   « Égalité des chances », « lutte contre le décrochage scolaire », « priorité à la jeunesse », les mots des politiques ne sont que poussière lorsqu’ils viennent se heurter à la réalité du quotidien des Séquano-dyonisiens. Comment ne pas se sentir écoeuré face à un tel aveuglement, un tel mépris, une telle indifférence ? Quelle valeur apporte la République à la dignité des habitants de ce département ? Si quelqu’un doit être qualifié de « mauvais élève », c’est elle et elle seule, car elle faillit à sa mission, bafoue ses valeurs et piétine ses principes.

Lors de ses derniers vœux aux français, François Hollande nous a rappelé avec fierté, la main sur le cœur, que « la France, c’est un grand pays, elle est la cinquième puissance économique du monde. Nous avons donc toutes les raisons d’avoir confiance en nous ». Mais où est cet argent ? Pourquoi n’est-il pas destiné à permettre à chaque élève d’avoir un enseignant, à chaque malade de pouvoir se soigner, à chaque français de pouvoir vivre dignement ?

« Si c’était la guerre qui menace, est-ce qu’on attendrait (…) pour que les décisions qui s’imposent soient prises ? Or sur ce problème, (…) c’est la guerre ! (…) Qui sont les agresseurs ? (…) Le manque d’écoles, l’analphabétisme, l’illettrisme qui prend des proportions inimaginables, la mauvaise santé, la rupture des familles et le plus grave de tout ces ennemis, la perte d’espérance. (…) C’est tout cela qui nous agresse (…). Oui notre pays est agressé, depuis longtemps. Et on nous dit de tout coté que nous sommes un des 5 ou 6 pays les plus riches du monde… » (1).

L’incurie des politiques est insupportable. S’ils refusent d’agir significativement pour endiguer la pauvreté et la misère, c’est qu’au fond ils tolèrent la souffrance ! Alors, ils ne sont pas digne de confiance. Le peuple ne réclame ni pitié, ni charité. Il réclame uniquement la justice. Car tout Homme, parce qu’il est Homme, doit pouvoir jouir pleinement de sa dignité.

Trahis, humiliés, abandonnés, nombreux sont les habitants du 93 qui en sont aujourd’hui venus à la conclusion qu’il est inutile et vain de participer aux élections. Aussi démunis soient-ils, ils ne sont pas aveugles ! Pourquoi continuer d’apporter sa confiance à des personnes qui depuis tant d’années vous tournent le dos ? Aujourd’hui, le pas qui sépare la méfiance de la défiance est franchi…

(1) Henri Grouès, dit l’abbé Pierre, Discours à la Sorbonne le 2 février 2004.


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