Nicolas Jounin, Paris, La découverte, 2014.
Dans ce livre au titre éloquent, l’auteur, sociologue ayant enseigné à l’université Paris 8 Saint-Denis, relate une expérience intéressante conduite avec une centaine d’étudiants : les initier à l’enquête sociologique en enquêtant. Son ouvrage répond alors à une triple ambition ou offre trois lectures différentes, il est en quelque sorte un manuel méthodologique, un livre sur la réception d’étudiants de banlieue par la haute bourgeoisie, et, en miroir, sur le regard que portent ces derniers sur un monde pourtant proche (géographiquement) qui leur est étranger. On pourrait ajouter sa dimension politique, évidente quoique implicite tout au long du livre, déjà par le seul choix du terrain d’enquête, plus nette dans la conclusion avec un plaidoyer pour l’université.
Avant d’examiner ces trois aspects, notons que la lecture de l’ouvrage est aisée et agréable et la description de nombreuses situations concrètes tient bien le lecteur qui pourrait autrement être lassé par les considérations d’ordre méthodologique ou quelques commentaires un peu doctes ou péremptoires. Ce livre s’adresse donc à un large public à qui il donne à voir l’enquête en train de se faire et c’est une de ses qualités.
Dans le cadre de ce cours, il s’agit de faire découvrir aux étudiants les différentes techniques d’enquête en les éprouvant. Ainsi vont-ils successivement observer, compter, utiliser un questionnaire, réaliser des entretiens… au fil des chapitres. Si cela se justifie d’un point de vue pédagogique, l’absence de dimension critique – l’auteur semble convaincu de la complémentarité de celles-ci – pose question à un chercheur. La partie la plus faible de l’expérience me semble d’ailleurs être celle sur la « mesure » et non pour des seules raisons liées à l’expérimentation (jours et heures par exemple). Remarquer par ce biais qu’il y a plus de femmes que d’hommes dans les parcs, et moins dans les cafés, par exemple, ne distingue en rien semble-t-il d’autres quartiers et n’apporte aucune information. Quant à passer son après-midi à dénombrer les caméras de surveillance, qu’en dire… ? On peut seulement espérer que l’expérimentation engendrera chez les étudiants cette dimension critique, notamment sur la pertinence et l’importance des statistiques que défend pourtant leur professeur.
Après avoir expérimenté, les étudiants devaient produire un écrit et une discussion collective s’ensuivait. L’auteur cite quelques extraits, relate quelques discussions mais le lecteur qui s’intéresse à cet aspect-là sera un peu frustré de ne pas en savoir davantage. D’autant plus que, ce faisant, l’auteur en vient à utiliser des sources de seconde main – les textes des étudiants – qu’il synthétise ; on peut alors regretter qu’il n’y ait pas co-rédaction.
La frustration évoquée tient sans doute à la triple ambition du livre qui au final devient un hybride qui reste un peu à la surface des choses : même si les informations demeurent intéressantes, elles n’en sont pas moins toujours partielles : on en apprend un peu sur le monde des riches (mais beaucoup moins qu’en lisant Pinçon et Pinçon-Charlot), un peu sur le regard des étudiants, un peu sur l’enquête. Mais était-ce évitable puisqu’il s’agissait de rendre compte d’une expérimentation réalisée avec des étudiants ?
Colette Milhé
