La Chine à la conquête de l’Afrique
Published on Jun 1stUn des phénomènes les plus importants de la mondialisation, peut-être le plus important et le plus symbolique, est la conquête de l’Afrique par la Chine.
Le chef du chantier de construction d’une route à Addis Ababa, en Ethiopie. (flickr)
Conquête économique, mais qui pourrait mener à un bouleversement géopolitique d’une ampleur gigantesque. Sous l’ère Mao, des migrations de la Chine vers l’Afrique avaient été vivement encouragées, pour des raisons purement politiques. Mais en 1978, 2 ans après la mort de Mao, Deng Xiaoping, dirigeant chinois à l’époque, lance ce slogan révolutionnaire : “Enrichissez-vous !” . 1 milliard 300 millions de Chinois vont alors tenter de le suivre, et une partie a réussi (tandis qu’une autre s’est appauvrie sous les coups de boutoir du capitalisme).
Pourquoi s’expatrient-ils en Chine ?
La pression démographique est telle que les ressources en matières premières diminuent dangereusement depuis quelques dizaines d’années. L’Afrique possède d’énormes ressources inexploitées que ce soit par les Africains qui manquent de moyens ou par les Européens qui n’y voient pas assez de chances de profits. Mais ces profits sont, comparés à ceux que peuvent réaliser les agriculteurs chinois en Chine, énormes pour des centaines de milliers de Chinois ! Leurs salaires peuvent littéralement tripler s’ils s’installent en Afrique ! De quoi subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles qui bien souvent restent en Chine. Ils trouvent des opportunités là où d’autres ne voient que de l’inconfort ou du gaspillage. Ils persévèrent là où les Occidentaux ont baissé les bras pour un profit plus sûr.
De plus la pression démographique et la surchauffe économique a entraîné dans leur sillage une hausse incroyable de la pollution. Sur les 600 rivières en Chine, 400 sont mortes polluées. Pour éviter un désastre écologique et sanitaire, le gouvernement chinois encourage donc les agriculteurs chinois à quitter leurs rizières pour s’installer, non définitivement, en Afrique. L’État chinois est prêt à investir dans des projets et organise de véritables campagnes de sensibilisation pour vanter les avantages que procureraient aux agriculteurs et à leur famille une expatriation en Afrique. Ce sont des centaines de milliers de Chinois qui ont déjà fait ce choix.
Conséquences ?
Le commerce bilatéral entre les deux régions a été multiplié par cinquante entre 1980 et 2005. Il a quintuplé entre 2000 et 2006, passant de 10 à 55 milliards, et devrait atteindre 100 milliards en 2010. Il y aurait déjà 900 entreprises chinoises sur le sol africain. En 2007, la Chine aurait pris la place de la France comme second plus gros partenaire commercial de l’Afrique.
Les Chinois ont été bien accueillis en Afrique car ils représentent peut-être le rebondissement que l’Afrique attend depuis la décolonisation, et que les Européens n’ont pu leur apporter. Les Chinois ne se comportent pas en colon, mais en entrepreneurs, désireux de faire marcher l’économie, en respectant la culture africaine (ce qui n’a pas toujours été le cas des Occidentaux). La recherche du profit pourrait entraîner avec elle un vrai bouleversement positif pour l’Afrique qui verrait son économie grandir grâce aux apports des Chinois, et pas seulement dans l’agriculture, mais aussi dans le commerce, le bâtiment …
Même si les Chinois n’amènent que très rarement leurs familles avec eux et ne s’intègrent pas vraiment à la communauté du pays dans lequel ils s’installent, préférant rester entre eux dans des communautés 100% chinoises, ils investissent massivement dans la rénovation des pays dans lesquels ils s’installent, ils construisent des bâtiments, des routes, finissent les chantiers laissés en plan par les Occidentaux, construisent des hôpitaux, des orphelinats, des dispensaires, des barrages au Soudan et au Congo pour pallier au problème de l’énergie… La Chine s’apprête également à aider l’Égypte à relancer son programme nucléaire civil et équipe toute l’Afrique de réseaux sans fil et de fibres optiques.
Tout cela en restant comme à leur habitude humbles et sans faire de tapage (même si quelques incidents ont eu lieu, notamment en Guinée Equatoriale où une grève d’ouvriers chinois a dégénéré) ou de grands discours mais en effectuant un travail de fond qui ne peut que plaire aux Africains avec lesquels ils collaborent. Ils se désintéressent des problèmes intérieurs, sur la consigne expresse de leur gouvernement qui ne veut pas se voir accuser de collaborer avec les dictateurs locaux.
L’ambition de la Chine et des Chinois en Afrique n’est pas politique, elle est économique et c’est ce qui plaît aux dirigeants africains qui voient d’un bon œil le travail des Chinois.
Des travailleurs chinois à Merowe Dam, au sud du Soudan (photo par David Haberlah)
D’un autre côté, cette conquête de la Chine pourrait représenter, pour Pékin, une opportunité de montrer à la face du monde leur capacité à réussir des miracles économiques même à l’extérieur de leurs frontières. Mais il ne faut pas non plus tomber dans le piège idéologique que pourrait (car ce n’est pas encore le cas) nous tendre l’État chinois : son incompétence a été maintes et maintes fois prouvées, pas besoin de revenir sur le désastre des Jeux Olympiques. Je ne fais pas dans cet article l’apologie de la Chine, mais il faut admettre que le courage de ces Chinois qui travaillent en Afrique fait du bien à l’économie africaine et au moral des Africains.
N’oublions pas non plus le rôle de la Chine dans la guerre du Darfour. Les relations militaires très étroites entre le Soudan et la Chine font que celle-ci ne veut pas faire pression sur le Soudan pour accepter le plan de paix de l’ONU. La Chine doit éviter de se mêler des affaires intérieures des pays avec lesquels elle entretient de forts liens économiques si elle ne veut pas salir l’image qu’elle donne d’elle aux Africains.
Autre raison de se “réjouir” de ce phénomène : ces Chinois ne pourront pas revenir dans leur pays sans que quelque chose ait changé dans leur façon de voir le monde. Même si pour le moment ils ne vivent principalement qu’entre eux, ça ne pourra pas rester ainsi indéfiniment. Ils comprennent peut-être déjà que le monde est plus complexe que ne le décrit le Quotidien du peuple, l’organe de presse officiel du Comité central du Parti communiste chinois.
La Chinafrique est partie pour durer et il faudra commencer à réfléchir à ce que ça implique ! M’est avis que c’est le plus grand bouleversement géopolitique depuis la chute du Mur de Berlin, peut-être que je m’avance un peu trop, certes, mais c’est énorme !
(sources : “La Chinafrique. Pékin à la conquête du continent noir“, par Serge Michel, Michel Beuret et Paolo Woods, © Editions Grasset & Fasquelle, 2008, BBC.co.uk, Danwei.org, ChinaDialogue.net)
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