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« Sarkozy parle comme le FN, mais agit comme Juppé »

Publié le 30 avril 2015 par Delits

Rédacteur en chef politique à Paris-Match, Bruno Jeudy est un des plus fins observateurs de la vie politique française. Pour Délits d’Opinion, il livre en exclusivité son analyse des forces en présence à deux ans de la présidentielle de 2017.

 

Le match Juppé-Sarkozy est il définitivement lancé ? Et quels sont les atouts de chacun ?

Bruno Jeudy : Oui, pour l’instant le match Juppé- Sarkozy demeure l’hypothèse la plus probable. Le match est installé dans l’opinion, on le voit dans les sondages. Et même si sur le plan économique, les orientations semblent proches, l’opposition va se jouer sur le terrain du tempérament.  Car, moins que les idées, c’est surtout  dans la sémantique que les deux présidentiables  s’affrontent déjà. Quand Alain Juppé joue l’apaisement,   Sarkozy hésite toujours entre clivage – question des menus de substitution dans les cantines- et posture de rassemblement.

Juppé est convaincu qu’il faut en priorité ratisser les déçus du Hollandisme et les modérés du centre,  plutôt que d’espérer inutilement ramener à soi une frange plus droitière. Sarkozy, pour sa part, tente de jouer sur les deux tableaux : il parle comme le front national, mais agit comme Alain Juppé. Cela a plutôt fonctionné pendant la campagne des élections départementales.

Qui est dans la posture du favori ?

Bruno Jeudy : Nicolas Sarkozy a pris le maillot jaune. Il a refait son retard méthodiquement. Mais rien n’est joué. Car il ne s’est pas encore réconcilié avec les Français. Son refus de faire son propre inventaire, d’adopter une posture d’humilité : tout ça  peut lui coûter cher au moment crucial. Son calcul est simple : il blinde son cœur de cible dans la perspective de  la primaire. Il évite de s’en prendre de front publiquement à ses rivaux en appliquant la technique de l’édredon. La primaire est le combat le plus compliqué pour lui. Après, il estime que face au FN au second tour,  la présidentielle  ne sera qu’une formalité.

Alain Juppé se pose en rassembleur : il ne veut  pas cliver, mais s’imposer comme la figure de recours et de sagesse dans un pays troublé, traumatisé de s’être choisi un Président qui n’avait aucune expérience.

Inversement, on connaît également ses faiblesses : un caractère loin d’être apaisé, et une rigidité. Par ailleurs, des doutes sur sa capacité à faire une campagne de cette envergure peuvent poindre. Durant sa traversée du désert, Alain Juppé est devenu plus solitaire : saura-il demain agglomérer des soutiens, faire travailler les gens ensemble, accepter une forme de collégialité ?

Pourquoi François Fillon a t-il autant  décroché ?

Bruno Jeudy : François Fillon  est passé du statut de presque favori en 2012 à celui  d’outsider qui lutte pour rester dans la course. Comment  en est-on arrivé là ? Il y a d’abord l’erreur de la campagne interne de 2012 pour prendre la tête de l’UMP : Fillon se croit encore Premier ministre et refuse de prendre à bras le corps la campagne, d’endosser les habits de candidat. Le malheur, c’est qu’il se fait ensuite voler l’élection, et qu’il vit cela comme une profonde injustice.

Il y a par ailleurs les tergiversations envers le FN, et des louvoiements qui apparaissent comme autant de calculs politiques.

Il y a enfin l’attitude face à Nicolas Sarkozy. Il a d’abord tapé trop fort, trop loin, et braqué une partie des militants UMP. Et ensuite, il a laissé le créneau de la droite modérée et sociale,  à Alain Juppé.

Pourtant, il est le seul dans l’opposition à avoir conduit un travail intellectuel pour préparer l’alternance. Il a produit entre 200 et 250 propositions. Son problème c’est qu’il n’imprime plus. Pire, il baisse dans les sondages. Son programme radical fait peur y compris à droite. Peut être a-t-il confondu liberté et libéralisme.

Est-ce que  c’est rédhibitoire ? Rien n’est fini à ce stade. Un des deux favoris peut être empêché. Mais il doit rebondir vite, s’il ne veut pas rejoindre le camp des magnifiques loosers, ces politiques auxquels on promettait un destin présidentiel, qui étaient favoris et qui finalement  ont raté le coche.

 A quelles conditions François Hollande peut-il espérer être élu ?

Bruno Jeudy : Hollande a sur le papier très peu de chances d’être réélu. Mais d’autres avant lui ont réalisé l’exploit que l’on considérait impossible : Mitterrand, Chirac. Mais dans les deux cas, ils étaient en situation de cohabitation. La tâche de Hollande s’annonce très très compliquée. Il n’en reste pas moins, qu’il commence mine de rien à déminer son chemin.

Il y a un an, on réalisait des sondages pour savoir s’il fallait qu’il démissionne. Aujourd’hui, on imagine mal qu’Hollande ne soit pas candidat .

Mieux, il est en train de lever une à une  ses plus grosses embûches à gauche. Arnaud Montebourg et les frondeurs sont sous contrôle, Martine Aubry a baissé les armes, Manuel Valls a fait le choix de la durée à Matignon, et on ne le voit pas quitter brutalement Matignon. Cécile Duflot se débat au sein d’EELV pour créer les conditions d’une candidature en 2017. Le chemin sera long pour elle, et s’achèvera probablement autour de 1 ou 2%. Quant à Jean-Luc Mélenchon, il doit retrouver de la fraicheur et de l’élan pour une seconde candidature.

Donc à gauche, le terrain s’est éclairci.

Oui. Encore faudra-t-il qu’il obtienne quelques résultats sur le front du chômage. Sinon… En revanche, concernant ses alliances, il est gêné par son erreur originelle : celle d’avoir fermé la porte aux centristes.  Il a préféré soutenir une gauche plurielle brinquebalante, qui ne l’aide  guère, et n’a plus grand chose en commun.

Or, François Hollande  doit dans le même temps  faire revenir à lui des électeurs de centre gauche qui n’ont plus confiance. La tâche s’avère compliquée,  même s’il a en magasin Emmanuel Macron et Manuel Valls qui s’avèrent de véritables aspirateurs à voix centriste.

Cela milite pour une campagne au centre ?

Bruno Jeudy  : La réponse est arithmétique. Dans les sondages, le total du bloc de gauche est à 38%. Son score au premier tour de 2012 était de 28% et il fera bien-sûr beaucoup moins. Il lui faut donc circonscrire son flanc gauche, et limité le poids des candidats de la gauche à gauche à 10%. Dans la même temps, il doit se rapprocher des 25% pour espérer une qualification au second tour…

Dans cette équation, son meilleur épouvantail s’appelle Sarkozy : Son credo va être de mettre en garde contre le retour de son prédécesseur, qu’il va brocarder sur le thème ‘au secours  la droite revancharde, ultra-libérale et ultra-droitière revient !’Bref, son discours est tout trouvé pour garder les voix centristes.

Quel bilan faites-vous des départementales pour Marine Le Pen ?  

Bruno Jeudy : Croire que les départementales ont été un mauvais cru pour le FN est une erreur.  Certes, les résultats ont été moins bons que dans les sondages. Mais le FN  s’est ancré  dans tous les territoires,  lors d’une élection qui lui est pourtant historiquement défavorable. Le nombre de cantons remporté est faible, mais on peut aujourd’hui parler d’un véritable maillage territorial,  y compris dans les zones où le FN était absent, et  notamment dans le monde rural.

Pour autant, cette élection a révélé les faiblesses structurelles du FN. Le parti a un problème avec le scrutin majoritaire. Quand il ne réalise pas 35% au premier tour, il éprouve ensuite beaucoup de difficultés à remporter le second tour,  faute d’alliances.

La seconde difficulté de Marine Le Pen  est le programme économique qui empêche un second décrochage des électeurs UMP vers  le parti d’extrême droite.

La dernière vague d’électeurs UMP migrant vers le FN date de l’après 2007. Cela avait  permis à Marine Le Pen de réaliser 18% en 2012.  Depuis, c’est plutôt l’électorat de gauche qui a basculé vers le FN. Je pense que le programme économique de Marine Le Pen (la retraite à 60 ans, l’abandon de l’euro, le maintien des 35H) effraie l’électorat de droite classique. Les mesures qu’elle défend limite son pouvoir d’attraction sur les électeurs restés fidèles à l’UMP.

Et au sein même du FN, la ligne économique commence à devenir une ligne de  fracture notamment entre le « Front du nord », très étatiste, et dont les thèses sont défendues  par l’ex-chevènementiste Florian Philippot,  et puis un « Front du sud » qui  souhaitent infléchir ce programme économique. D’ailleurs, ces derniers temps au  FN, on ne parle plus franchement de quitter l’euro,  mais plutôt d’un retour à « une monnaie commune ». Bref, une partie du FN veut enclencher la marche arrière.

Enfin, on ne peut pas non plus écarter l’hypothèse que le FN connaisse un reflux. Ce n’est pas impossible. Je ne crois pas que le FN puisse gagner une région.  Dans le sud, je pense que Marion fera un bon score.  Mais la gauche étant tellement faible, on se retrouvera dans une configuration  de duel  UMP/ FN très compliquée à remporter pour ce dernier. D’autant qu’Estrosi constitue un très bon cheval pour la région. Or, si le FN ne parvient pas à conquérir de région, les interrogations sur la stratégie suivie se feront plus insistantes.

Pourquoi selon vous,  Marine le Pen n’irait-elle pas défendre les couleurs du FN en Nord Pas de Calais Picardie, lors des prochaines régionales ?

Bruno Jeudy : La première raison est qu’elle risque de perdre : une défaite viendrait saper son élan pour la présidentielle.

Par ailleurs, et elle me l’a dit il y a assez longtemps, elle ne veut pas courir plusieurs lièvres à la fois. Elle ne cherche pas à multiplier les mandats. Elle considère qu’elle a changé de dimension. Le match contre l’UMP Xavier Bertrand et le socialiste  Pierre de Saintignon ne l’intéresse pas. Elle veut se consacrer totalement à la présidentielle de 2017.


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