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"A plat" de Jean Chauma

Publié le 30 avril 2015 par Francisrichard @francisrichard

Des phrases toutes faites trottent parfois dans la tête. Même si elles sont rebattues, elles rassurent, comme peuvent rassurer toutes répétitions, au contraire des expressions nouvelles, qui heurtent d'abord, avant d'être polies par le temps et les gens, et d'être généralement adoptées.

Dans A plat, le dernier roman de Jean Chauma, le héros de l'histoire, Jean, alias Jeannot d'en bas, a ainsi une collection de phrases toutes faites à disposition de son esprit:

"Maintenant il faut tout mettre à plat."

"Tout est dit et ce qu'il y avait à dire a été dit."

"Quand la main est mauvaise, il faut attendre une nouvelle donne."

Ces phrases toutes faites datent. Elles ont été faites à une autre époque. Où, en France, avant l'euro, pour se rendre compte d'une somme, on convertissait encore les francs en centimes, ce qui devenait surréaliste quand elle était énorme. Elles illustrent la progression du récit. Elles en sont comme des jalons.

Le roman de Jean Chauma, un polar noir, se passe avant l'an 2000 et après Mai 68, vraisemblablement au milieu des années 1980, dans une banlieue parisienne, où, dans la journée, quand le soleil fait son apparition, il joue à cache-cache avec les tours, comme ce jour-là, et égaie quelque peu, en pesant, cité, terrains vagues et parkings.

Jeannot est un personnage sans prétention dans le fond: "Cela contrarie l'impression qu'il donne aux gens, avec ses cent kilos et sa sale gueule de brute que même ses tentatives de sourire n'arrivent pas à rendre plus sympathique."

Jeannot a pourtant du succès avec les femmes, enfin avec certaines femmes, parce qu'il a des arguments, que rigoureusement ma mère m'aurait interdit de nommer ici. Alors me contenterai-je de citer ce passage soft:

"Les femmes n'aiment pas les brutes, bien au contraire, mais elles sont prêtes à prendre le risque de la brute pour tenter d'attirer, de capturer dans leur lit, leur maison, l'homme fort, le battant, le gagnant."

De ses cinq sens, Jeannot n'a su développer fortement que l'odorat, le goût et le toucher: "On pourrait dire qu'il est aveugle et malentendant." Toutefois, et ce n'est pas contradictoire, "il est capable de percevoir le moindre bruit, avant tout le monde", don développé en prison où il a passé cinq ans en quartier de haute sécurité...

Sinon, Jeannot ne s'intéresse à rien, ne donne son avis sur rien et ne dit jamais rien de lui. Il pense à beaucoup de choses, mais aucune de ses pensées ne dure plus de quelques secondes. Il n'est ni un rêveur, ni un romantique. Sa vie est bien réelle, bien concrète.

Jean est indéfinissable, s'il est habillé avec élégance: "Le fait de porter un costume, une cravate et des pompes cirées n'a pour lui aucun rapport avec une quelconque étiquette dont il se servirait de carte de visite, d'ailleurs Jean n'a pas de carte de visite, d'aucune sorte, et n'a même pas l'idée d'en avoir une."

Jean Chauma raconte donc une journée de Jeannot, qui vit dans une HLM avec Louisette, et les trois filles de celle-ci, Constance, Hillary et Agnès, dont il est devenu le père. Marcelle y vient faire le ménage... Quand il sort de l'appartement, il rencontre des femmes et des hommes, notamment ses complices, Francky et Momo, avec lesquels il doit faire un coup le soir même.

Le récit est en fait celui d'une journée ordinaire de Jeannot et de ses potos, à la faveur de laquelle l'auteur lui fait le portrait. On a envie de dire qu'il le lui fait au sens propre comme au sens figuré... Car cette journée n'est peut-être aussi ordinaire que ça. Il est mal à l'aise. Quelque chose ne va pas. Il transpire, il se met à avoir la trouille... Serait-ce prémonitoire?

L'essentiel de ce livre n'est pas dans l'intrigue mais dans la peinture des caves et des voyous de cette époque révolue, que Jean Chauma décrit avec force détails, crus et réalistes, et dans le portrait précis de son protagoniste atypique: "Le reste de l'histoire est du fait divers et n'est-ce pas là le lot de beaucoup, pauvres ou riches, hommes ou femmes, de vivre et de finir dans le fait divers"...

Francis Richard

A plat, Jean Chauma, 136 pages, BSN Press

Livres précédents de l'auteur chez le même éditeur:

Le banc (2011)

Echappement libre (2013)


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