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Badiouseries ...

Publié le 02 juin 2008 par Collectifnrv

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Les marxistes au XXIème siècle.

Dans un bref recueil datant du milieu des années 80 , intitulé « Peut-on penser la Politique ? », Badiou , dans un chapitre intitulé « Signification réactive de l’anti-marxisme contemporain » faisait l’analyse suivante : 

« Il n’est pas exagéré de dire que le marxisme est historiquement défait. Sa maintenance conceptuelle n’est que de l’ordre du discours, renvoyé au lot commun, si la substance vivante de son incarnation vient à défaillir.

Au regard de cette destruction, il y a bien entendu deux voies, deux orientations de pensée.

La première revient à dire que le marxisme a été jugé, et condamné, par l’histoire. Puisque le marxisme revendiquait les garanties positives de l’histoire, il doit être jugé selon ses propres critères. La destruction historique du marxisme ne signifie rien d’autre que sa mort, comme événement universel de la pensée politique. Le socialisme « réellement existant » est la sentence prononcée par l’histoire sur l’historicité du marxisme lui-même : il a vécu. Ce qui subsiste de son apparence n’est qu’un cadavre de langage, un discours qui ne se soutient que du mensonge de la mort.

Cette idée si répandue aujourd’hui va pour ainsi dire de soi. C’est la principale objection qu’on peut lui faire. Dire aujourd’hui que le marxisme est mort au regard de la pensée vivante est un simple constat. Il n’y a là nulle idée profonde, nulle découverte. C’est une idée commune, dont il y a lieu de craindre qu’elle ne soit que la tromperie d’une évidence.

Ce qui frappe en revanche, c’est que cette idée n’a eu pour l’instant d’autre fécondité que purement réactive. Quel est aujourd’hui l’usage dominant de l’idée que le marxisme est mort? Quelle est la conséquence tirée à grande échelle? C’est, tout simplement, que l’idée générale d’une politique autre que la gestion des contraintes — donc d’une politique digne de la pensée est elle-même morte. Et qu’une telle politique, où la pensée serait comptable de l’être — et non de la seule nécessité —, est une aventure nuisible. » 

Où en sommes nous près d’un quart de siècle plus tard ?

Je dirai : pas beaucoup plus loin.

On notera que Badiou écrivait ça avant l’effondrement final, marqué par la chute hautement symbolique du mur de Berlin. Il me semble utile de rappeler cette analyse aujourd’hui et le fait que, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle demeure pertinente après avoir été très précocement clairvoyante.

Pourquoi ? Pour essayer de mettre un terme définitif aux objections sans doute bien intentionnées et certainement sincères et honnêtes relativement à mes références récurrentes sur ce même blog à Marx et à sa philosophie ?

Il y a bien longtemps que les « marxistes bon teint » ont acté cet effondrement,  après Badiou, et pour reprendre ses termes un peu plus loin dans ce même texte : 

« Avançons ce paradoxe: si nous nous prononçons en « marxistes » — et quel que soit aujourd’hui le sens de ce terme —, nous dirons que les choses sont certainement plus graves que ne l’imagine l’anti-marxisme. Car la critique anti-marxiste (le goulag, la fin des libertés, la défense de l'occident...) n’étant que la répétition de très anciennes objections, s’il n’y avait que cela, nous aurions pour y répondre les anciennes réfutations.

Il y a plus de choses dans la crise du marxisme que l’anti-marxisme ne peut en rêver. 

Symétriquement, une défense dogmatique du marxisme revient à répéter la réfutation ancienne des anciennes objections, que répète à son tour l’anti-marxisme contemporain.

Nouvel anti-marxisme et vieux marxisme défensif sont deux aspects d’un même phénomène, qui est le phénomène du maintien du politique en son retrait, jusqu’au point où la pensée abdique devant son propre impératif de crise. »

N’est-il pas en effet nuisible de s’ordonner à la mort? Les anti-marxistes de la nouvelle génération tiennent pour assuré qu’il faut surtout conserver ce dont, tout de même, on dispose: les libertés, la pensée occidentale, les droits de l’homme. Autrement dit, l’essence politique de l’anti-marxisme contemporain a été, dans les faits, le ralliement — et pour la première fois le ralliement massif — des intellectuels à la forme parlementaire des pays de l’Ouest, et le renoncement à tout radicalisme, à toute essentialité de la politique.

Ce mode de réflexion de la destruction historique du marxisme revient à penser réactivement les vertus de la démocratie parlementaire comme la forme perfectible, mais essentiellement bonne, de l’Etat. Cette critique de la politique ne parvient pas à excéder le retour pur et simple à la théorie libérale du politique. Le droit est restauré comme ce dont la philosophie doit assurer le fondement. Premier exemple d’une critique dont l’aveu est la restauration d’un âge classique du philosophème politique.

L’anti-marxisme contemporain est donc tenu dans une pulsion conservatrice et occidentale. L’anti-marxisme a pour noyau une formation conceptuelle réactive, où le dynamisme historique est remplacé par l’esprit de la spiritualité démocratique conservatrice. Il s’agit là d’un véritable désastre de la pensée, dont le désastre du marxisme est l’induction conjoncturelle. Ce désastre a ôté toute radicalité à la question philosophique quant au politique. Ici le retrait est bien plutôt une débâcle. » 

Badiou écrivait donc ça en 1985 … Or, cette pensée « purement réactive » ( essentiellement produite « par réaction » au « non pensé » mais « en actes » du déferlement du désastre capitaliste ) , c’est la même aujourd’hui qui obère toute possibilité de re-penser la Politique, c’est la même qui se déploie aussi bien dans la cage où tournent frénétiquement (en rond) notre classe politique, et singulièrement ceux parmi elle qui se prétendent « de gauche », mais c’est aussi celle qu’adoptent le plus souvent, sur ce blog, la plupart des billets et des commentaires.

Une pensée « d’humeur » , infantilisée (au sens propre ), donc capricieuse : les élections comme modalité d’expression de ce caprice : on alterne (les majorités représentatives) pour marquer son mécontentement et sa frustration mais à l’intérieur d’un cadre stable où rien ne change , ni ne peut changer.

Une pensée ou plutôt un mode d’expression proprement « pathologique » à peu près généralisé, du fait que chacun de ceux qui l’adoptent ( le plus grand nombre) se sentent piégés , enfermés dans une situation figée et univoque, dont aucune issue ne semble plus accessible.

En réalité le constat induit  est que la pensée marxiste, la théorie historique et pratique du progrès vers l’émancipation est certes défaite , mais n’a pas de vainqueur , dans la mesure où aucune autre n’est venue s’y substituer. Nous ( tous ceux qui portent l’idéal et le projet de l’émancipation ) sommes tout simplement « en panne », de pensée , de théorie, de capacité d’analyse, de projet, de méthode.

Comment retrouver une pensée critique consistante, capable de porter le projet de l’émancipation et de la justice sociale ?

En émancipant d’abord cette pensée, et son discours, en lui restituant son autonomie.

Comment accomplir cet objectif , en pratique ?

Concrètement en cessant le « décryptage » , le « commentaire » de la logorrhée médiatique, ce qui est déjà l’acceptation d’une sujétion,  et en choisissant d’autres sujets, d’autres problèmes , d’autres axes de réflexion que ceux de « l’actualité » médiatisée.

Il faut refuser de « répondre » aux (mauvaises) questions, de prendre part aux simulacres de débats, ne plus donner d’alibi, et au contraire porter le fer ailleurs. Là où il n’est pas prévu/attendu. A gauche, cette direction est claire : faire place nette , déconstruire, par tous les moyens les partis « de gouvernement » , les amicales d’apparatchiks, les clubs de sieste conceptuelle. Boycotter, miner, saboter tout ce qui porte les stigmates de cette usurpation honteuse et impotente . Et à l’inverse reprendre à tous les niveaux du tissus social, l’action politique, avec les gens, sur des objectifs concrets sans aucune visée élective ni objectif électoral. Sans parti, sans élus, sans appareil, mais avec une ligne claire pour chaque action et l’organisation qu’elle impose. La force de la démarche qu’impose la situation c’est celle du refus, de la résistance, de l’altérité de pensée et de comportement, précisément l’inverse de la réaction. Chacun(e) dans la mesure de ses moyens, mais tous ces moyens mis en œuvre de manière concertée et mutualisée, sur un objectif, un terrain, un phénomène précis.

Bon, c'est déjà assez long, je vous laisse déjà dégoiser là dessus , pendant que je prépare la suite .
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Urbain

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