« I understand why European people take my creations as very Japanese. It is probably because if you see a creation as a whole, as 100 percent, I will always try to finish before arriving at 100. This five, seven, or ten percent we call empty or in between or uncompleted in Japanese. It’s when you go to shut a window or door and leave a space. We need this space, so I design space. Space has always been very important in Japanese traditional art of every genre »
Extrait de l’interview de Yohji Yamamoto pour le magazine en ligne The talks Août 2011 (Ici)
« We need this space, so I design space. »
Dans sa réflexion sur la notion d’espace, la notion de « l’entre », le créateur Yohji Yamamoto, en employant le terme « design » (to design: Realization of a concept or idea into a configuration) pose la question de création, de conception du vide telle une matière première à part entière.
Une idée qui dans son discours parait comme dûe, logique et irréfutable, mais qui pourtant amène à réflexion.
L’espace vide étant ce qu’il est: étendue indéfinie, et ce qu’il n’est pas: objet concret, perceptible par la vue et par le touché, il est difficile d’imaginer le façonner de même sorte que le tangible.
Cependant, Yohji Yamamoto le pense, l’inclu. Il lui offre 5, 7 ou 10% d’ampleur, de liberté. L’inachevé prend alors une autre dimension, la volonté de ne pas arriver à terme, de ne pas donner le point final.
Un parti pris: celui d’offrir à son oeuvre cette étendue, cette infinité, de lui laisser son propre espace d’expression.
Celui de savoir « perdre le contrôle », de prendre conscience qu’il n’est pas de notre ressort de conclure, mais bien de laisser libre. De donner le pouvoir à cette entité qui dépasse les limites de la création docile.
Une sensibilité mise en avant dans les photographies de David Sims (ici) ainsi que dans celles de Nick Knight (ici) où l’ampleur sert de base, tel un support sur lequel le vêtement repose.
Le volume, comme sculpté dans l’espace et dans le temps, suit la ligne du travail de Yohji Yamamoto, celle d’un mouvement saisi, d’un instant « T », vivant et indomptable, rappelant l’œuvre d’Irving Penn pour Issey Miyake (vue ici).
Ci-dessous, Nick Knight pour Yohji Yamamoto
Ci-dessous, David Sims pour Yohji Yamamoto
L’immatériel, l’espace, le vide…
… des idées abstraites que l’artiste Yves Klein exposa à la galerie Iris Clerc en 1958.
« La spécialisation de la sensibilité à l’état matière première en sensibilité picturale stabilisée », une succession de pièces aux murs peints de blancs, dénuées de tout œuvre saisissable. (Concept repris en 2009 au centre Georges Pompidou avec l’exposition »Le symposium »)
L’artiste, dans sa représentation du vide, n’utilisa aucune allégorie. Il tenta de s’en rapprocher, avec humilité, sans essayer de le résigner à « être ».
Une mise en avant de l’espace à l’état brut, sans réalité matérielle, dans sa pleine nature contradictoire.
Un corps qui nous est proche, une entité sur laquelle nos gestes et nos regards reposent, et qui pourtant échappe à nos sens.
Plus concret que l’idée, plus abstrait que l’objet, un être libre non reconnaissable, impossible à concevoir hors du champ de la philosophie, de l’art conceptuel(1).
(1) Mouvement de l’art contemporain apparu dans les années 1960 et dont les origines remontent au « ready-made » de Marcel Duchamp (ici), attachant plus d’importance à l’idée qu’à la matérialisation de l’oeuvre.
Galerie Iris Clerc lors de l’exposition
Art conceptuel, le temps comme l’espace: le Wabi-Sabi
« 1. represents a comprehensive Japanese world view or aesthetic centered on the acceptance of transience
2. The aesthetic principal is sometimes described as one of beauty that is « imperfect, impermanent, and incomplete » — Urban dictionary
De même manière, le principe du wabi-sabi comprend la notion d’infini. C’est le temps, comme l’espace chez Yohji Yamamoto, qui apportera sa sagesse, son histoire et sa beauté à l’oeuvre. Une beauté imparfaite puisque sans échéance elle ne finira de se magnifier. Sa liberté seule la sublimera.
Un concept artistique reposant sur la modestie face à la nature, à l’univers, aux dimensions qui intriguent et fascinent. Les œuvres prennent une dimension spirituelle, tels des dons au temps, à l’espace, à ce qui, « plus que nous », existe.
L’importance ici n’est pas la finalité. C’est la vie, le chemin qui créé la noblesse.
Une philosophie sans espérance, libératrice, une sagesse rare dans une société dont le désir vise ce qu’il ne possède pas déjà, et plus que tout ce qui ne dépend pas de lui. (Cf: « Le bonheur, désespérément » – André Comte-Sponville)
Là est peut être dissimulée la raison pour laquelle l’espace et le temps sont, pour beaucoup, considérés comme le plus grand des Luxe…