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Mener, Guerroyer, Mourir

Publié le 17 mai 2008 par Decrauze
Un documentaire de plus sur François Mitterrand conforte mon admiration pour l’homme privé. En outre le parcours tortueux de Fanfan Mité, comme je le surnommais de son vivant, a tout de même accouché d’un occupant de l’Elysée à la stature d’homme d’Etat : pas rien, rétrospectivement, lorsqu’on jauge la texture présidentielle de ses successeurs. La vraie tromperie vient des médias français qui, en 1994, ont feint de découvrir ce destin clair-obscur alors que Le Crapouillot (magazine non-conformiste en vente libre) consacrait dès 1972 une étude fouillée à la vie et aux contradictions du premier secrétaire du P.S.
L’homme a maintenu à tout prix la dignité de son apparence, ne laissant pas les affres de la maladie liquéfier son esprit. Au contraire, dans le drolatique Starko de Karl Zéro, on découvre un Chirac en abandon comportemental, décontraction avec coupe-vent trop large, jean usé, grosse écharpe rouge nouée, petit-chien-à-mémère, pincement des lèvres façon Heaulme et démarche de vieillard égrotant.
La fin de Mitterrand, 9 avenue Frédéric Le Play, n’a pas manqué de grandeur. Son choix de cesser alimentation et traitement, pour ne pas subir une décrépitude des sens et de l’esprit, l’extrême densité avec laquelle il a fait ses adieux à ses proches, ceux des deux familles, d’Assouan à Latche, permettant à chacun d’en retirer l’affection ou l’amour qui lui permette de vivre au mieux sa disparition, tout cela révèle une noblesse d’âme, quelles qu’aient été ses talents carnassiers pour atteindre et conserver le pouvoir. Le pouvoir : passion sur laquelle Madeleine Chapsal l’interroge à l’automne 1995 pour un ouvrage en préparation, autorisée à lui rendre visite dans son dernier logis parisien, et que j’accompagne jusqu’au troisième étage, accueillis par un impressionnant gorille en costume. Elle m’appellera, peu après, pour me délivrer son ressenti mêlé d’admiration et de tristesse pour cet homme dans son ultime et terrible combat. « Je souffre comme un chien… non comme deux chiens ! » confie-t-il à son fils Jean-Christophe. Une dignité gaullienne dans cette rectitude finale.
Seul regret : alors qu’il est au pied de l’immeuble bourgeois, dans la nuit du 2 au 3 janvier 1996, de retour d’une clinique qui a informé son médecin que dans la quinzaine suivante le cancer atteindrait le cervelet entraînant cécité, perte du langage et naufrage intellectuel (« Je sais ce qu’il me reste à faire » est la réponse sans ambiguïté de l’indomptable), il se ravise, referme la portière et demande à son chauffeur Pierre Tourlier de l’entraîner pour une dernière escapade au cœur de la capitale de son adoré pays. Refus du salarié qui argue de l’absence de son médecin Jean-Pierre Tarot. Si l’on peut admettre la réaction du fidèle conducteur de n’avoir pas souhaité endosser une telle responsabilité – et si Mitterrand était décédé pendant cette promenade nocturne imprévue ! – on regrette avec lui, a posteriori, de n’avoir pu offrir au vieil homme, décidé à en finir avec ce corps douloureux, ces derniers instants de liberté pour son regard perçant, pour sa culture infinie, pour tout son être avide de vivre cette parenthèse jouissive. Comprenant le message implicite dans le refus du chauffeur, ne pas prendre un risque inconsidéré, il renonce au dernier divertissement et rejoint son troisième étage, dont il ne sortira plus vivant.
Jacques Chirac sera le premier personnage non lié familialement à Mitterrand à venir se recueillir sur la dépouille du feu président, un peu plus de six mois après l’avoir raccompagné sur le perron de l’Elysée. L’hommage officiel qu’il lui rendra sur les écrans révèlera qu’au-delà l’adversaire politique il respectait l’homme d’Etat et admirait l’homme privé. Et politiquement, étaient-ils si opposés ? Mitterrand aux origines droitistes ; Chirac, le cœur à gauche… L’antagonisme s’est surtout exacerbé pour la conquête de la présidence de la République. Relativiser les oppositions passées pour honorer les qualités fondamentales, voilà l’intelligent et sensible geste de Chirac.
Rapprocher les destins pour mieux les distinguer, et s’interroger sur ce qui a permis à Mitterrand de réunir ses deux familles autour de son cercueil, alors que d’autres ne parviendront même pas à rassembler leur famille légitime au complet. Là où Mazarine Pingeot délivre des souvenirs affectueux pour son père, d’autres fustigeront les salauderies délinquantes de leur géniteur. D’Amstetten aux Ardennes, en dérivant par les plats pays, d’écoeurantes révélations édifient sur le néant paternel de ces enfumeurs de réalité, uniquement déterminés à soulager leurs sordides élans sexuels. Mentir, Gueuler, Manipuler.

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